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Renault 30 : la scoumoune française ?

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 23/02/2016

Ah le haut de gamme automobile français ! Toute une histoire, où la grande se mêle à la petite. Alors qu’avant-guerre, les Bugatti, Delahaye, Voisin, Delage ou Hispano-Suiza, rivalisaient avec les plus luxueuses et puissantes anglaises, il n’en sera plus jamais de même après-guerre. La faute à la décision politique de favoriser la production de petites voitures afin de motoriser la France entière et de relancer la machine par le volume ! Il y aura bien sûr des tentatives, comme Facel Vega (lire aussi : Facel Vega Excellence) qui paiera un lourd tribut pour ses moteurs américains, ou Monica (lire aussi : Monica 560), sans véritable succès.

Sketch de la Renault 30, dessinée par Gaston Juchet !Sketch de la Renault 30, dessinée par Gaston Juchet !

Les constructeurs français tentèrent pourtant de se maintenir dans ce secteur, et notamment Citroën avec sa DS pétrie de qualité et technologiquement en avance, mais sans avoir les moyens financiers d’investir dans des moteurs plus valorisant pour une clientèle éprise de vitesse et de grosses cylindrées. Chez Peugeot, en gestionnaire prudent, on décidait d’y aller pas à pas, se cantonnant dans la grosse familiale (403, 404, 504) ou développant la gamme par le bas (204). Enfin, chez Renault, on tenta plusieurs formules : rebadger une Nash en Renault Rambler (lire aussi : Renault Rambler) ou bien faire monter en gamme son originale Renault 16 (lire aussi : Renault 16 ). Bref, dans les années 60, le haut de gamme français se cherche.

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Alors que Citroën croit avoir trouver la martingale en s’offrant Maserati et ses moteurs V6 chantant (mais pointus), Renault et Peugeot décident de s’allier pour enfin s’offrir des moteurs V8 et V6 qui leur permettraient de se battre à armes égales avec les allemandes qui, de plus en plus, s’imposaient comme les championnes du haut de gamme ! L’alliance des deux constructeurs pour produire des gros moteurs entraîne chez l’un comme chez l’autre l’étude d’un modèle haut de gamme : pour Peugeot, ce sera la 604 (lire aussi : Peugeot 604) tandis que chez Renault, on planche sur la Renault 30 !

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Chez Peugeot, on reste traditionnel, et la 604 sera une grande berline 3 volumes, statutaires, et propulsion, motorisée soit par des V6, soit des moteurs diesel. Chez Renault, on va jouer la carte de l’originalité, poussant la logique de la Renault 16 à son extrême, avec une grande berline à hayon, déclinée en R20 pour l’entrée de gamme 4 cylindres, et R30 pour le haut de gamme V6 (mais aussi des turbo diesel à partir de 1982, 2.1 litres et 80 ch). La R30, contrairement à sa concurrente 604, inaugure la traction avec son moteur en porte à faux avant ! En fait, la Renault 30 est l’antithèse de la 604, son négatif.

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Finalement, point de V8 sous le capot des deux berlines françaises. La crise pétrolière de 1973 obligera Peugeot et Renault à revoir leurs plans, en s’alliant avec Volvo pour réduire les coûts, et en abandonnant le V8 pour se concentrer sur un V6 qui aura le défaut, à ses débuts, d’être un peu bancal à cause de son ouverture à 90°. Ce défaut sera corrigé ensuite notamment par l’adoption de manetons décalés, mais pas avant les années 80. Autre défaut : un rendement plutôt faible. Au lancement de la Renault 30 en mars 1975, le V6 de 2,7 litres ne propose que 131 petits chevaux ! En 1978, la R30 TX verra sa puissance heureusement passer à 142 ch. Malgré ses 6 cylindres, la Renault 30 reste bien loin des références allemandes.

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Son dessin particulier, dû à Gaston Juchet (qui dessina aussi la Renault 16), n’est pas moche. Mais si les français commençaient à se faire à ce type de design, habitués par les R4 ou R16, ce ne sera pas le cas à l’export, où l’on préfère à ce niveau de gamme des carrosseries 3 volumes (ce qui n’empêchera pas Peugeot de se casser les dents avec sa classique 604). Chez Renault, la décision de proposer une Renault 20 plus abordable et moins gourmande sera salutaire. Présentée en novembre 1975, elle permettra de vendre 607 405 exemplaires jusqu’en 1984, amortissant les coûts de développement de la Renault 30. Elle aura même droit à une cousine roumaine, la Dacia 2000 (lire aussi : Dacia 2000). Mais ne se différenciant visuellement de sa grande sœur que par ses phares rectangulaires, elle lui ôtait ce côté exclusif impératif sur le créneau. La 30 aura beau avoir un V6, elle ne réussira pas à se démarquer.

La Renault 20 permettra d'amortir les coûts, mais contribuera à brouiller l'image de la Renault 30 !La Renault 20 permettra d’amortir les coûts, mais contribuera à brouiller l’image de la Renault 30 !

Si le dessin de la R30 pouvait surprendre à ce niveau de gamme, et si la présence de la R20 pouvait brouiller son image, le vrai problème restera surtout les performances décevantes de la grande Renault. Un exemple illustre bien ce problème : celui de l’unique Renault 30 de la Brigade Rapide d’Intervention de la Gendarmerie Nationale. Dès 1976, le ministère de la Défense s’intéresse à cette voiture, dotée d’un V6 et donc potentiellement apte à intégrer la BRI. Un modèle sera donc commandé à Renault pour test mais ne convaincra pas ! Finalement, la Gendarmerie optera pour la CX 2400, plus performante malgré 2 cylindres de moins, et surtout moins gourmande ! La Renault 30 de la BRI ne restera donc en service que 6 mois à la brigade de Nemours, sur l’autoroute A6 !

Un seul exemplaire de la R30 sera testé par la BRI, sans succès ! On lui préferera la CX 2400Un seul exemplaire de la R30 sera testé par la BRI, sans succès ! On lui préferera la CX 2400

Cette petite histoire illustre bien la problématique de la Renault 30 ! Son V6 ne lui donnait aucun avantage en terme de performance, et consommait beaucoup trop. Malgré l’aspect pratique de son hayon, sa ligne rebutait certains clients potentiels, ou rappelait trop la « populaire » Renault 20 pour d’autres. Malgré un riche équipement, cela ne suffisait pas pour vraiment émerger sur ce marché qui semblait définitivement fermé aux français : seuls 136 403 exemplaires seront vendus jusqu’en 1983. Sortie la même année, mais vendue jusqu’en 1985, la 604 ne fera pas beaucoup mieux, avec 153 252 exemplaires. Ce double échec français (triple si l’on rajoute la Talbot Tagora, lire aussi : Talbot Tagora) scellera le sort du haut de gamme tricolore.

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Bien sûr, nos constructeurs ne baisseront pas les bras. Ainsi Renault lancera-t-il sa R25 pour remplacer le duo 20/30, avec succès certes mais surtout en France. Malgré un V6 PRV retravaillé et enfin performant, le mal était fait ! PSA connût encore plus de difficulté avec sa XM et sa 605 dont les espoirs furent ruinés par des défauts de jeunesse rédhibitoires ! D’une certaine manière, nos constructeurs continuent à payer leur frilosité du début des années 70, renonçant à produire des V8 et V6 aboutis par peur conjoncturelle, sans avoir de vision à long terme du marché. Aujourd’hui, les constructeurs allemands proposent des L6, V6, V8 ou V12 et réussissent à les vendre, malgré les crises successives. La défaite française est actée depuis longtemps, et désormais, on ne veut plus entendre parler de gros moteurs. Il suffit de voir le discours tenu aujourd’hui par les communicants de Renault pour le lancement de la Talisman : « il n’y aura pas autre chose que des 4 cylindres » (lire aussi : Renault Talisman). 40 ans après, les choix stratégiques en demi-teinte se paient encore au prix fort !

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Alors quel est l’intérêt aujourd’hui de cette Renault 30 ? Un intérêt historique d’abord : elle est d’une certaine manière le symbole de son époque. Son originalité stylistique est aussi un argument de poids, tout comme son équipement ! Pour le reste c’est à vous de voir. Moi j’avoue que son côté « loser » me plaît, et puis finalement, ces doubles phares à l’avant lui vont bien et suffisent, avec le recul, à la distinguer d’une Renault 20 qui commence à se faire aussi rare sur les routes.


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