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Renault Espace Quadra : l'aboutissement d'un concept

Par Nicolas Fourny - 07/01/2025

« Exclusivement associée à la motorisation la plus puissante, cette transmission dégrade légèrement les performances, mais le bénéfice en matière de sécurité active n’est pas niable »

Apparue il y a exactement quarante ans, la première Renault Espace – la vraie, celle conçue avec Matra – et ses descendantes immédiates relèvent désormais du monde de la collection, même s’il subsiste encore quelques cuistres pour tordre le nez à cette idée. Pourtant, et au-delà de ses caractéristiques propres, le modèle symbolise à lui seul l’esprit Renault de cette époque, synonyme d’innovations stylistiques et architecturales se traduisant par autant de prises de risque. De fait, le premier monospace européen – ce néologisme découlant directement de son appellation – a marqué son époque en défrichant des chemins encore inexplorés, sans hésiter à proposer des solutions absolument inédites en termes de praticité et de modularité. Dans les oubliettes d’une histoire déjà longue, se blottissent cependant des variantes aussi marginales que méconnues, qui ne manquent pourtant pas d’intérêt, à commencer par l’éphémère version Quadra !

La première voiture à vivre

L’épopée de la Renault Espace est à présent bien connue. Elle a commencé un beau jour de l’été 1984, lorsque la Régie Renault, en plein renouvellement de son catalogue juste après avoir commercialisé la 25 et à la veille du lancement de la Supercinq, présenta de surcroît le plus innovant des modèles jamais commercialisés par la firme de Billancourt, sous la forme d’un véhicule monocorps aux caractéristiques proprement révolutionnaires. Bien sûr, on pourra toujours objecter que, vingt-huit ans auparavant, Fiat avait déjà présenté une autre familiale monovolume – nous avons nommé la très baroque 600 Multipla –, ou que Chrysler, avec ses vans du type T-115 et commercialisés dès 1983 sous les noms de Dodge Caravan, Plymouth Voyager et Chrysler Town & Country avait, de peu, brûlé la politesse contemporaine à Renault. Mais l’Espace, conçue par le bureau d’études Matra sous la férule de Philippe Guédon, en étroite collaboration avec les équipes du Losange après que le projet initial avait été rejeté par Peugeot puis Citroën, renvoyait la proposition américaine à la préhistoire pour ce qui concernait l’exploitation et la modularité de l’habitacle, sans parler d’un rapport habitabilité/encombrement absolument sans concurrence sur le marché européen. Comparée par d’aucuns à une sorte de camionnette améliorée, l’Espace appartenait en réalité à cette nouvelle catégorie d’automobiles conçues de l’intérieur vers l’extérieur, et avant tout orientées vers le confort, la flexibilité et la praticité d’usage.

Un peu de génie français

La forme monovolume et une hauteur inusitée (1,66 m, versus 1,40 m pour une berline 25) autorisaient la mise en œuvre de solutions inédites destinées à l’agrément de tous les occupants – et pas seulement du conducteur. La générosité des vitrages, les sièges avant pivotants, les sièges arrière individuels entièrement escamotables, déplaçables à l’envi ou transformables en tablette, en combinaison avec les deux toits ouvrants optionnels, définissaient un habitacle très lumineux et modulable, susceptible de se plier à tous les usages imaginables, de la voyageuse accueillante pour cinq personnes au petit fourgon de déménagement. Le tout sans sacrifier les performances, ni les qualités routières, en tous points dignes d’une berline ou d’un break classiques. « Vous avez des enfants ? Alors arrangez-vous pour qu’ils n’aperçoivent pas cet engin, sous peine d’achat obligatoire » écrivirent Marianne Antoine et Florence Rémy, le célèbre duo de chroniqueuses de l’Auto-Journal, lors du premier banc d’essai de l’Espace P23. Pourtant, malgré une presse spécialisée souvent élogieuse, les ventes mettront un peu de temps à décoller – seuls neuf exemplaires seront ainsi immatriculés en France durant le premier mois de commercialisation… Néanmoins, dès l’année suivante le succès ne tardera pas à dépasser les prévisions des deux associés, l’usine Matra de Romorantin se voyant soutenue par celle d’Alpine à Dieppe, réquisitionnée pour parvenir à répondre à la demande. 

Pour deux roues (motrices) de plus

Un peu plus de trois ans après, c’est déjà l’heure du restylage pour la première génération d’Espace. Au début de 1988, l’auto bénéficie de la sorte d’un rajeunissement bienvenu et abandonne les blocs optiques hérités du Trafic au profit d’équipements plus modernes et qui éloignent définitivement le modèle de toute connotation utilitariste – le dérivé fourgonnette, un temps envisagé, ne verra d’ailleurs pas le jour. Pour le reste, les substrats techniques ne changent pas et l’Espace conserve ses moteurs (essence et turbo Diesel) implantés longitudinalement, pour un éventail de puissances allant de 88 à 120 ch. C’est toutefois à ce moment-là que Renault et Matra décident d’enrichir la gamme d’une variante à transmission intégrale, en pleine cohérence avec la philosophie d’un modèle résolument orienté vers les loisirs. Par-dessus le marché, depuis le début des années 80, sous l’influence d’Audi, plusieurs constructeurs ont développé des berlines et des breaks à quatre roues motrices (permanentes ou non), et des firmes comme Alfa Romeo, Ford, Mercedes-Benz ou BMW ont d’ores et déjà franchi le pas. S’inscrivant dans cette tendance, Renault va, à son tour, concevoir des dérivés toutes roues motrices full time, bien plus évolués que les rustiques breaks 18 puis 21 4×4 à pont arrière enclenchable.

La Quadrature du cercle

Tout comme les futures berlines 21 puis Safrane mêmement nommées, l’Espace Quadra (une dénomination qui vaudra à Renault quelques démêlés d’ordre juridique avec Audi, la firme bavaroise estimant que celle-ci rappelait un peu trop ses quattro) hérite donc d’un système à visco-coupleur central, répartissant la puissance selon un rapport fondamental de 65 % / 35 %, en faveur de l’essieu avant ; l’ensemble travaille sans intervention humaine à la répartition du couple entre les deux essieux. Exclusivement associée à la motorisation la plus puissante (le quatre-cylindres 2 litres « Douvrin » à injection de 120 ch), cette transmission dégrade légèrement les performances, mais le bénéfice en matière de sécurité active n’est pas niable, tandis que ni l’habitabilité ni la capacité d’emport – l’ingéniosité des équipes Matra n’était pas une légende – ne sont pénalisées par la greffe du pont arrière. Commercialisée au tarif de 168 200 francs à son lancement pour la version TXE (soit environ 48 000 euros de 2023), l’Espace Quadra exige un supplément de 20 % par rapport à la 2 litres à deux roues motrices identiquement motorisée, ce qui en fait, et de loin, la version la plus onéreuse de la gamme.

Si vous en trouvez une…

Ce positionnement quelque peu élitiste explique en grande partie l’insuccès de la formule en dehors de contrées telles que la Suisse ou l’Autriche – on peut d’ailleurs en dire autant des autres françaises contemporaines à quatre roues motrices, qu’il s’agisse des Peugeot 405 ou des Citroën BX par exemple, qui n’ont obtenu elles aussi qu’un succès d’estime. Cela n’empêchera pas Renault et Matra de persister avec la deuxième génération d’Espace, présentée en 1991, et qui conservera jusqu’au bout des versions Quadra, dotées cette fois d’un 2,2 litres ramené à seulement 110 ch et dont la diffusion sera de plus en plus anecdotique. On se prend à rêver de ce qu’aurait pu donner une Espace V6, forte de 153 ch, dotée de cette transmission… En 1996, la messe était dite, et l’Espace III ne sera plus disponible qu’en traction. Quand on considère la forte proportion de SUV à deux roues motrices qui s’arrachent actuellement sur le marché européen, cet échec commercial était sans doute prévisible ; pour le collectionneur d’aujourd’hui, il reste le plaisir de traquer les quelques exemplaires survivants, dont l’éventuelle restauration ne sera pas non plus une sinécure, étant donné la piètre qualité de fabrication des premières Espace et la raréfaction des pièces spécifiques. Mais ce drôle d’engin, unique dans la production française, mérite amplement quelques efforts !

1995 cm3Cylindrée
120 chPuissance
170 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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