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De nos jours, si vous faites irruption dans une concession Renault avec l’intention d’acquérir un coupé, vous tomberez immanquablement sur un vendeur entreprenant qui vous orientera vers le Rafale – c’est-à-dire un engin aussi éloigné qu’il est possible du concept qu’il revendique. Les philistins mis à part, tout le monde en convient : la notion même de « SUV coupé » n’a aucun sens et s’avère d’autant plus consternante que la firme française, il n’y a pas si longtemps, osait encore proposer un authentique coupé – nous voulons dire par là une automobile à deux portes, plus basse que la moyenne et à la physionomie suggestive. Comme chacun sait, le coupé Laguna n’a pas trouvé son public, pour des raisons que nous inventorions plus loin ; mais, comme pour d’autres tentatives françaises en la matière, cela ne signifie pas que l’auto soit dépourvue d’intérêt pour autant – et en particulier sa version de pointe, qui nous intéresse aujourd’hui…
Le jour se lève et les ghosneries commencent
La Laguna aura connu trois vies. Tout d’abord, il s’est agi d’une familiale d’aspect relativement classique – si l’on excepte son insolite bec de capot, qui fera couler beaucoup d’encre à sa sortie – prenant la suite de la valeureuse 21 et commercialisée de 1994 à 2001 ; le modèle rencontrera un indéniable succès commercial, avec plus de 2,3 millions d’exemplaires produits. C’est avec la deuxième génération de l’auto que les emmerdements vont arriver ; souffrant principalement d’une architecture électronique trop ambitieuse et mal maîtrisée, la Laguna II (2000-2007) va très vite se tailler une réputation peu enviable en matière de fiabilité, il est vrai absolument exécrable sur les premiers exemplaires. Renault corrigera le tir mais le mal était fait, ce dont témoigneront des volumes de production en net retrait par rapport à sa devancière (à peine plus d’un million unités produites). L’ex-Régie est donc attendue au tournant à l’automne de 2007, quand la Laguna III est présentée officiellement. Sous l’ère Ghosn – selon lequel les « voitures à vivre » doivent céder la place aux « voitures à vendre » –, les designers du Technocentre Renault sont priés de remiser toute originalité stylistique au profit d’une neutralité soi-disant plus à même de séduire le client européen lambda. Il est désormais question d’inspirer avant tout le sérieux et la solidité – condition sine qua non pour espérer reconquérir une clientèle échaudée par les déboires de la Laguna II et, par surcroît, de plus en plus séduite par les crossovers de tout poil, qui commencent déjà à pulluler…
Un coupé sous (in)Fluence
De la sorte, victimes d’un anonymat esthétique censé rassurer le chaland, la berline et le break Laguna III ne sont pas plus excitants à contempler qu’une Toyota Avensis. Ôtez les logos et les quidams peu sensibilisés à l’histoire de l’automobile seront bien en peine d’identifier la marque de ces voitures dépourvues de tout charisme… La substance serait-elle donc l’ennemie de la séduction ? Tel n’est pas l’avis des dirigeants de BMW, Peugeot ou Mercedes qui, bien au contraire, s’efforcent depuis longtemps de concevoir des modèles dotés d’une forte identité de marque. Pour la troisième génération de sa familiale, Renault a pour sa part délibérément choisi l’insipidité, au risque de camoufler les qualités d’un engin bien plus intéressant à fréquenter que la fadeur de son design pourrait le laisser supposer. Pour autant, tout n’a pas été sacrifié sur l’autel du conformisme et de la banalité ; la firme de Billancourt, attentive en particulier au succès du coupé Peugeot 406, a en effet décidé d’élargir son offre. Aux côtés de la berline et du break, est ainsi prévu – pour la première et la dernière fois – un dérivé à deux portes, strictement inédit à ce niveau de gamme chez Renault. Officialisé en avant-première, lors du Salon de Francfort 2007, par un (faux) concept car, le coupé Laguna doit en réalité beaucoup au (vrai) concept car baptisé Fluence – rien à voir avec l’horrible berline de série ayant récupéré ce joli nom par la suite… – et présenté en 2004.
Le chant du cygne de Patrick le Quément
Même aujourd’hui, contempler l’auto laisse songeur. On a l’impression que les responsables du projet X91 avaient, dès l’abord, décidé de scinder la gamme Laguna III en deux castes : pour les familles (aux goûts supposément conventionnels) , une berline et un break ennuyeux à mourir ; et, à l’intention des hédonistes, des individualistes et des égoïstes heureux de l’être, un authentique coupé (donc pas une banale berline simplement privée de deux de ses ouvrants) reprenant sans vergogne tous les codes du grand tourisme : carrosserie entièrement spécifique, ligne abaissée et praticité en retrait par rapport aux habitudes volontiers prosaïques du constructeur – ici, le hayon aux connotations utilitaristes n’a plus droit de cité ; le coupé Laguna hérite d’un coffre à ouverture classique. Et quel coffre ! Car c’est bien le design tout à la fois singulier et puissant de la poupe qui semble dicter l’allure tout entière de l’auto, aussi captivante à contempler de trois-quarts arrière que peu convaincante vue de face, avec une calandre « coupe-frites » pour le moins incongrue. Au contraire, le profil fastback est si élégamment revisité que plus d’un observateur comparera le coupé au losange à certaines Aston Martin ; on a déjà vu pire comme comparaison…
Deux fois trois égalent six !
Doté d’un éventail relativement large de motorisations essence et Diesel – Renault n’hésitera pas, pour relancer les ventes, à y implanter tardivement son très populacier 1.5 dCi ! – c’est bien entendu dans ses variantes les plus puissantes que le coupé Laguna s’avère le plus intéressant à mener. Et, au sommet de la gamme, on trouve, en toute simplicité, le V6 3,5 litres d’origine Nissan qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui. Arrêtons-nous un instant, voulez-vous, sur ce concept qui, quinze ans après, semble si étrange qu’on en viendrait presque à douter qu’il ait réellement existé : un coupé Renault à moteur six-cylindres (deux fois plus que dans un Rafale), développant 240 ch, capable d’atteindre les 243 km/h en pointe et d’abattre le 0 à 100 km/h en 8,1 secondes ! Le tout possiblement accompagné du meilleur châssis de sa catégorie à l’époque – car la Laguna III dissimule une botte secrète, sous la forme du remarquable système Renault 4Control ; le modèle propose ainsi, en exclusivité, un dispositif à quatre roues directrices avec lequel aucun constructeur allemand n’est alors en mesure de rivaliser. Au vrai, tout a été écrit quant à l’agilité diabolique que permet le 4Control. En soi, l’idée n’a rien de particulièrement novateur – on se souvient notamment des Honda et Mazda équipées de systèmes similaires dès la fin des années 1980 – mais les ingénieurs Renault, qui ne sont pas des manchots dans le domaine des liaisons au sol, ont brillamment actualisé le concept, à tel point que même un conducteur moyen ressentira immédiatement la différence notable existant entre une Laguna III dotée du 4Control et la même voiture à deux roues directrices.
C’est le moment d’acheter
Facilitant les manœuvres à basse vitesse (les roues arrière tournant alors dans le sens opposé aux roues avant), le système prend tout son intérêt dans les enchaînements de virages abordés à grande vitesse, où la logique de fonctionnement s’inverse. Bien conduit, et même si ses rivales le dominent nettement du point de vue des performances chiffrées, un coupé Laguna 3,5 litres équipé du 4Control peut largement rivaliser dans ces conditions avec une BMW 330i ou une Audi A5 3.2 FSi contemporaines – du moins si l’on se borne à évaluer ses compétences routières. Car, vous vous en doutez, ce n’est pas la même limonade lorsqu’on examine la qualité de finition ou d’assemblage – même si de notables progrès ont été accomplis à cet égard par rapport à la Laguna II (à la vérité, il n’était pas très difficile de faire mieux). Typique des réalisations françaises, le raffinement lacunaire de l’auto ne l’a certes pas aidée à renforcer sa crédibilité et donc à trouver son public ; quand Renault a stoppé sa carrière, après sept ans de commercialisation, seuls 54 840 exemplaires (dont seulement 3258 dotés du V6 Nissan) avaient quitté les chaînes de Sandouville. Aujourd’hui, le coupé Laguna végète tristement dans les bas-fonds de l’oubli, seuls quelques amateurs éclairés paraissant s’intéresser à son sort – d’où une cote très attractive, compte tenu de ses prestations d’ensemble et aussi de son intérêt historique : assurément, ce n’est pas demain que la firme au losange se risquera de nouveau à proposer un modèle comparable ! Au vu de ce qui précède, vous laisseriez-vous tenter ?
Texte : Nicolas Fourny