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Renault Safrane Biturbo : le dernier tango à Billancourt

Nicolas Fourny - 24 mai 2024

« Trente ans après, l’auto conserve ses adeptes, seuls capables d’apprécier à sa juste valeur la dernière grande Renault aussi ambitieuse techniquement »

Aussi étrange que cela puisse paraître à ceux qui s’apprêtent à signer un bon de commande pour un Rafale (le SUV, pas l’avion) sous-motorisé mais censé représenter ce que Renault sait faire de mieux de nos jours, il y a une trentaine d’années Billancourt osait encore défier BMW, Mercedes-Benz et Audi avec une berline d’un tout autre calibre. En apparence et à la lecture de sa fiche technique, la Safrane Biturbo ne nourrissait plus aucun complexe vis-à-vis de ses rivales allemandes et il est juste d’écrire que le modèle constituait même un authentique morceau de bravoure, rassemblant le meilleur des ressources techniques de l’époque. Et pourtant, non seulement la tentative s’est soldée par un cuisant échec mais, de surcroît, par la suite le constructeur français ne s’est plus jamais risqué dans la catégorie des grandes routières à caractère sportif. Comme on va le voir, c’est fort dommage car, objectivement, il ne manquait pas grand-chose à cet engin aussi imparfait qu’attachant pour connaître un tout autre destin…

Sus aux Allemands !

La soi-disant malédiction qui, depuis l’après-guerre, poursuit les constructeurs français dans le domaine du haut de gamme n’en est pas une : la preuve, la Renault 25 est tout de même parvenue à s’écouler à plus de 780 000 exemplaires en huit ans de carrière – score honorable en grande partie dû, il est vrai, à son succès sur le marché français, les résultats du modèle à l’exportation s’étant avérés moins satisfaisants, en particulier dans les pays d’Europe du nord. Dès lors, quand les responsables de la Régie consolident les réflexions devant mener au remplacement de leur grande berline, leurs ambitions ne sont pas minces : il s’agit d’aboutir à une voiture enfin capable de s’imposer outre-Rhin, ce qui suppose des exigences nouvelles en termes de qualité et de fiabilité, sans parler d’une fiche technique capable de rivaliser avec la capacité d’innovation du trio germanique évoqué plus haut. Si la 25 n’était, somme toute, qu’une 20/30 opportunément recarrossée et dont les moteurs les plus répandus n’avaient été actualisés qu’à la marge, le projet X54, qui va aboutir à la Safrane dévoilée officiellement en février 1992, repart d’une feuille blanche à bien des égards – à commencer par l’implantation du groupe motopropulseur, désormais monté transversalement. Entièrement nouvelle, la plateforme accueille toutefois des moteurs déjà connus, à l’exception du terne 2.5dT d’origine Sofim et, sur un mode plus réjouissant, du PRV suralimenté de la Biturbo, annoncée dès le lancement de la gamme mais dont la commercialisation effective n’intervient qu’à l’automne de 1993.

L’introuvable huit-cylindres

En son temps, la 25 V6 Turbo n’aura pas amusé le terrain, égalant sans vergogne les chronos d’une Audi 200 Turbo ou d’une Mercedes 300 E. Bien sûr, la silhouette bicorps du modèle, avec en plus cette bulle insolite en guise de hayon, ainsi qu’un mobilier de bord dû au talent du regretté Marcello Gandini et conséquemment clivant, ne l’ont pas aidée à s’imposer en dépit de prestations d’ensemble plus qu’honorables – sans oublier, persifleront les mauvaises langues, une qualité de finition typiquement française ce qui, à l’époque, ne pouvait s’apparenter à un compliment… On l’aura compris, son héritière directe est donc attendue au tournant et, compte tenu à la fois de l’alourdissement significatif de la Safrane par rapport à sa devancière et de l’incessante course à la puissance concomitamment opérée à Stuttgart, Munich et Ingolstadt, les concepteurs de la Renault sommitale n’ont pas d’autre choix que de suivre le mouvement, en allant beaucoup plus loin que les 205 ch des ultimes 25 V6 Turbo, tout en se débrouillant pour atteindre une qualité perçue à la hauteur des enjeux. Or, à ce moment-là les berlines surmotorisées de référence sont toutes passées au V8, qu’il s’agisse de la BMW 540i (286 ch), de la Mercedes E 420 (279 ch) ou de l’Audi 100 S4 4.2 (280 ch) mais, comme on s’en doute, il n’est pas question pour la firme française de consentir à un tel investissement – rappelons que c’est justement sous la pression de Renault que l’industrialisation du fantomatique V8 PRV a été abandonnée en 1977… C’est donc, une fois encore, le valeureux V6 éponyme qui s’y colle !

L’inusable PRV

On l’a vu, la Safrane porte ses moteurs en travers et le V6 ne fait pas exception à la règle, Renault n’ayant heureusement pas réédité le montage pour le moins amphigourique des 21. Ce choix engendre la conception d’une nouvelle boîte de vitesses et va également conduire les responsables du projet à adopter le principe d’une double suralimentation, laquelle, contre toute attente, ne vise pas à obtenir une puissance particulièrement élevée, mais découle plus prosaïquement d’un manque d’espace disponible sous le capot. De la sorte, les motoristes du préparateur allemand Hartge, à qui Renault a sous-traité l’adaptation du V6, dotent ce dernier d’une paire de petits turbocompresseurs KKK soufflant à 0,55 bar – contrairement à PSA, le Losange boude les culasses à quatre soupapes par cylindre que l’on trouve dans les 605 et XM les mieux motorisées et animées par le même bloc de 2963 cm3. Dans ces conditions, la puissance maximale atteint 268 ch à 5500 tours/minute, le couple culminant pour sa part à 365 Nm à 2500 tours. Sur le papier, la concurrence française est enterrée : par rapport aux 605 SV24 et XM V6.24, la Safrane dispose de 68 ch supplémentaires et, par-dessus le marché, transmet celle-ci par le biais d’une transmission intégrale à laquelle les cousines PSA n’ont pas droit. Au demeurant, on l’a vu, la Renault entend viser bien plus haut… et c’est là que le bât blesse.

À bout de souffle ?

Même s’il vaut bien mieux que la réputation que certains cuistres lui ont faite, le V6 PRV ainsi gréé, même avec le renfort de ses deux turbos, ne peut pas grand-chose contre les V8 de la concurrence, plus costauds en matière de couple (pour mémoire, le V8 Mercedes sort alors 410 Nm, ses homologues Audi et BMW revendiquant tous deux 400 Nm). Loin d’être anecdotiques, ces écarts conditionnent le typage et limitent les ressources concrètes du moteur français, dont les 90 ch au litre demeurent relativement modestes pour un groupe suralimenté (au même moment, la M3 E36 parvient à tirer plus de 95 ch au litre de son 3 litres atmosphérique !). C’est que, si la boîte a été renforcée pour encaisser le couple, il a néanmoins fallu brider celui-ci afin de préserver la transmission – en vain, si l’on considère la médiocre longévité dont elle fera preuve… Cela se ressent sans ambiguïté au volant : en 1995, j’ai personnellement parcouru plusieurs milliers de kilomètres au volant de deux Safrane Biturbo successives et puis témoigner du comportement relativement décevant du PRV dans cette configuration. Assez convaincante jusqu’aux alentours de 200 km/h, la poussée devient nettement moins forte au-delà, à tel point qu’il m’a fallu parcourir pied au plancher de très longues lignes droites pour que l’aiguille du tachymètre se stabilise enfin autour du chiffre magique des 250 km/h revendiqués par Renault (la voiture étant d’ailleurs bridée à cette vitesse, à l’instar des Allemandes). En l’espèce, la Safrane paie cher les efforts consentis pour développer une voiture à quatre roues motrices et à la finition irréprochable : l’auto pèse tout de même 360 kg de plus qu’une 25 V6 Turbo, aussi performante en reprises que sa descendante. Et c’est d’autant plus dommage que, dans l’absolu, la Biturbo demeure rapide et s’avère très agréable à mener, avec des qualités routières de premier ordre, accompagnées par un confort postural et acoustique digne des meilleures !

Une voiture à vivre (et à beaucoup aimer)

Grande routière accomplie, équipée princièrement en finition Baccara, l’auto n’est pas moins agréable à conduire ou à habiter qu’une Mercedes, mais se révèle malheureusement insuffisamment aboutie sous certains aspects. Ainsi, la dureté de la commande de boîte défie la description tandis que les amortisseurs pilotés sont encore moins fiables que le système EDC monté dans certaines BMW contemporaines, le tout étant affiché à un tarif difficile à accepter : en novembre 1993, la Safrane Biturbo RXE s’échange contre un chèque de 385 000 francs (environ 95 000 euros de 2023), la Baccara atteignant 435 000 francs. Au même moment, une Mercedes E 420 vaut 420 000 francs, une BMW 540i 379 900 francs, une Audi S4 4.2 398 000 francs. Mais il y a pire : 20 % plus chère qu’une 605 SV24, la Biturbo « de base » ne se montre pas beaucoup plus performante malgré une puissance sensiblement supérieure et, en définitive, ne peut opposer à la Sochalienne que sa transmission intégrale, par ailleurs source de tels ennuis que Renault l’abandonnera purement et simplement pour l’ensemble de la gamme Safrane lors du restylage de 1996. C’est aussi à cette époque que la Biturbo quittera discrètement le catalogue, après seulement 806 unités construites, dont très peu sont encore en état de rouler. Comme pour les Safrane V6 atmosphériques, la fragilité de la transmission et, dans une moindre mesure, les emmerdements générés par la suspension pilotée ont mené bien des exemplaires à l’abandon ou à la casse, les coûts de réparation étant disproportionnés par rapport à une cote désespérément basse. Il n’empêche que, trente ans après, l’auto conserve ses adeptes, seuls capables d’apprécier à sa juste valeur la dernière grande Renault aussi ambitieuse techniquement et sans doute nostalgiques d’un temps où, sous la férule de Raymond H. Lévy puis de Louis Schweitzer, la marque française « osait » encore… Serez-vous du nombre ?

2963 cm3Cylindrée
268 chPuissance
250 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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