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Renault 14 : une mal-aimée trop en avance sur son temps

Par Nicolas Fourny - 21/06/2024

« Sa poupe rondouillarde et ses rondeurs presque organiques prophétisent sans le savoir l’avènement du bio design, qui n’interviendra qu’une quinzaine d’années plus tard »

À tout jamais associée à la calamiteuse et célébrissime campagne publicitaire réalisée sur le thème de la poire, la Renault 14 n’a pourtant pas été le cuisant échec commercial que d’aucuns se plaisent à colporter. Près d’un million d’exemplaires construits en sept ans de carrière, ce n’est sans doute pas mirobolant mais on est tout de même très loin du désastre auquel on assimile trop souvent l’une des autos les plus intelligemment conçues et les plus modernes que la firme de Billancourt ait développées durant les années 1970. Paradoxalement, aujourd’hui encore bien des gens sont persuadés que c’est avant tout son design qui a nui à la carrière de la R14, alors que les véritables raisons de son relatif insuccès sont à rechercher ailleurs – en s’intéressant par exemple au comportement très contestable d’un réseau commercial peu enclin à diffuser une voiture animée par un moteur d’origine Peugeot. Injustement ringardisée puis décimée par la corrosion avant d’être achevée par les primes à la casse, cette Renault atypique a totalement disparu de nos routes, et ce dans une indifférence qu’elle ne méritait pas…

La première compacte de Renault

Un beau jour de mai 1976, l’esplanade des Invalides est littéralement envahie par une nuée de petites voitures orange dont les formes singulières vont faire couler beaucoup d’encre (au passage, imagine-t-on pareille scène de nos jours ? la réponse est contenue dans la question…). La nouvelle venue s’appelle Renault 14 et vient se greffer au sein d’un catalogue déjà très dense puisqu’il compte alors déjà neuf modèles ! Toutefois, le lancement de l’auto apparaît tout à fait pertinent, et même visionnaire car celle-ci s’inscrit dans un segment de marché encore balbutiant mais dont le développement, dans les années qui vont suivre, s’avérera foudroyant : celui des compactes. À l’époque cependant, cette catégorie n’est pas clairement définie mais chacun comprend qu’avec ses 4,02 mètres de long la 14 n’est ni une citadine, ni une familiale – cependant, le qualificatif de « voiture moyenne » ne la définit pas non plus de façon satisfaisante, car elle n’a pas grand-chose à voir avec le classicisme revendiqué d’une Peugeot 304 ou d’une… Renault 12. Comme souvent, les responsables de la Régie ont vu juste : il existe une clientèle en quête d’une auto plus habitable qu’une Renault 5, tout en conservant des dimensions raisonnables et sans perdre le bénéfice de la modularité qu’autorise le hayon arrière. Le succès de la Simca 1100, commercialisée dès 1967, n’a pourtant pas fait école jusqu’alors : contre toute attente, même la très originale Citroën GS n’a pas osé se doter d’une cinquième porte…

Un patchwork mécanique

Ceux qui, près de cinquante ans après sa présentation, continuent de se gausser de la R14 seraient bien inspirés d’inventorier ses caractéristiques, qui soulignent avec une cruauté involontaire la senescence de certaines solutions techniques alors très répandues chez Renault. Bénéficiant des accords passés avec Peugeot dix ans plus tôt, la voiture est ainsi le premier modèle du Losange disposant d’un moteur transversal – et pour cause : ce dernier n’est autre que le fameux « X » de la 104, qui a également légué son train avant à la R14… La voiture de Billancourt hérite donc de son implantation spécifique (le groupe est incliné de 72 degrés vers l’arrière et sa lubrification est commune avec celle de la boîte), sans oublier la fameuse cascade de pignons à l’origine du sifflement permettant d’identifier cette mécanique à coup sûr. À l’arrière en revanche, on retrouve un montage très proche de celui de la R5, avec des barres de torsion transversales – d’où un empattement légèrement différent à droite et à gauche. Les avantages du moteur transversal en termes d’habitabilité sont bien connus et les passagers de la R14 en profitent amplement (l’auto se révèle aussi logeable qu’une R16 plus longue de 22 centimètres !), tandis que le coffre s’avère très accueillant pour un modèle de cette taille. Avec, de surcroît, son moteur moderne, tout en alu et à arbre à cames en tête, la « 7 CV du bonheur », comme le clame le slogan du lancement, apparaît donc particulièrement bien armée et vient compléter très opportunément l’offre de Renault, qui continue de proposer sa très conservatrice R12, relevant de la même catégorie fiscale, aux clients réfractaires au progrès technique et n’appréciant guère la physionomie générale de la R14.

Le chef-d’œuvre de Robert Broyer

Car, quelles que soient ses qualités de fond, la voiture déconcerte une partie de la clientèle par ses partis-pris esthétiques ; de fait, sa poupe rondouillarde et ses rondeurs presque organiques prophétisent sans le savoir l’avènement du bio design, qui n’interviendra qu’une quinzaine d’années plus tard. Au demeurant, contemplez-la de trois quarts arrière et je veux bien être pendu si vous n’y décelez pas une étrange ressemblance avec une certaine 205… C’est le talentueux styliste Robert Broyer qui a signé la ligne de la R14, laquelle, en comparaison des autres 7 CV, semble arriver d’un autre monde avec son rétroviseur extérieur intégré, ses boucliers en matériaux composites très inspirés de la R5, son absence de gouttières et la générosité de ses vitrages. Tarifée 25 300 francs à l’automne de 1976 (environ 18 500 euros de 2023), la R14 TL se confronte directement à des modèles comme la 304 SLS (74,5 ch, 25 200 francs), la Citroën GS Club (59 ch, 24 100 francs) ou la vieillissante mais rapide Simca 1100 TI (82 ch, 25 930 francs), alors qu’une R12 TL de 54 ch exige 24 500 francs. Or, la GS mise à part, aucune de ces voitures ne peut rivaliser avec la modernité du compromis proposé par la Renault. Mais le fait est : les ventes, d’un niveau certes honorable, restent en-deçà des objectifs fixés par la direction commerciale de la Régie.

Les poires ne sont pas toutes juteuses

Les raisons de ce demi-échec sont multiples. Tout d’abord, il y a bien sûr ce design clivant, bousculant sans doute les habitudes d’un grand nombre de clients potentiels et qui constitue toujours une prise de risque. Mais la R14 déçoit aussi par sa très médiocre résistance à la corrosion (elle rouille encore plus vite qu’une R5, c’est tout dire), un comportement trop sous-vireur et une sous-motorisation flagrante – les chétifs 57 ch du seul moteur proposé au départ n’autorisent que des performances limitées, en particulier lorsque les utilisateurs de l’auto exploitent pleinement son habitabilité et ses capacités d’emport. Quant à la version de base (dénommée « L » pour « Luxe », et il est inutile de rigoler), son dépouillement digne d’une cellule de moine trappiste décourage la description (il s’en vendra d’ailleurs fort peu). Il faut donc impérativement réagir, ce qui va conduire Publicis – l’agence historique de la Régie – à concevoir une nouvelle campagne, très différente de la précédente, sur le thème de la poire, fruit auquel la R14 se trouve joyeusement assimilée ; et l’on se demande encore dans quels esprits torturés une idée aussi absurde a pu naître… Ce ratage emblématique va achever l’image de la malheureuse auto qui, commercialement parlant, ne s’en relèvera pas, d’autant plus que, de leur côté – et c’est peu de le dire – les concessionnaires et agents Renault n’ont pas fait preuve d’un enthousiasme délirant à l’idée de vendre puis d’entretenir une voiture regorgeant de composants Peugeot…

Portée disparue

Dans ces conditions, et en dépit d’un élargissement bienvenu de la gamme, d’un restylage et du lancement d’une version TS enfin correctement motorisée et disposant du meilleur niveau d’équipement de sa catégorie, rien n’y fait et, par-dessus le marché, la concurrence ne reste pas les bras croisés. En mars 1978, l’Auto-Journal, sous la plume de Gilles Guérithault, publie un comparatif opposant la R14 TL à la Simca Horizon GLS. Désignée voiture européenne de l’année, la voiture de Poissy domine sans partage sa rivale, notamment pour ce qui concerne les qualités routières, les performances et le niveau d’équipement. Face aux critiques et à la désaffection du public, la réaction de Renault aura été à la fois trop tardive et trop timorée, même si beaucoup de ses acquéreurs ont somme toute gardé un bon souvenir de leur R14. La leçon aura été retenue et le duo R9/R11, qui prendra le relais à partir de 1981, disposera d’une gamme bien plus étendue, aussi bien du point de vue des motorisations que des niveaux d’équipement. À l’heure actuelle, la « poire » commence d’intéresser les amateurs de youngtimers mal-aimées ; la difficulté majeure consiste à trouver un exemplaire à vendre – et impérativement en bel état d’origine car, étant donné la faible cote de l’objet, les éventuels projets de restauration sont difficilement soutenables… à moins bien sûr d’en tomber amoureux (les cas sont rares, mais ils existent : nous avons des noms !).

1218 cm3Cylindrée
57 chPuissance
142 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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