

Dans l’histoire des petites sportives Citroën, l’AX Sport occupe une place un peu à part. Héritière de la Talbot Samba Rallye et brillante alternative aux GTI, elle ne s’adressait pas aux frimeurs ni aux postulants au Grand Prix des feux rouges, mais aux pilotes authentiques, qui surent apprécier sa proverbiale légèreté, la rage caractérielle de son moteur, sa simplicité et la qualité de son châssis. Produite durant peu de temps et très souvent coursifiée, l’auto est devenue plus difficile à trouver en état d’origine qu’une Ferrari F50 mais continue, fort injustement, de jouer les seconds rôles en collection, son aura n’atteignant pas celle des moins rustiques Saxo VTS ou des très convoitées 205 Rallye. Et pourtant, il suffit de parcourir n’importe quel itinéraire un peu sélectif à son volant pour en saisir la substantifique moelle : ce n’est pas une voiture, mais un inépuisable réservoir de joie de vivre et de conduire !



Une vocation tardive
Par rapport à Peugeot, Simca ou Renault, Citroën n’a fait irruption que tardivement dans la catégorie des petites sportives. Lancées en 1982, les Visa Chrono puis GT ont marqué les premières incursions de l’ex-Quai de Javel dans un segment de marché qui, jusqu’alors, ne semblait guère compatible avec l’ADN de la marque. Pour la plupart des gens, les Citroën c’étaient, depuis l’après-guerre, des autos innovantes, originales, confortables, tenant redoutablement bien la route, souvent révolutionnaires, mais dont la conduite s’avérait a priori plus cérébrale qu’émouvante. Préjugé ? Sans doute, du moins si l’on en croit les conclusions d’André Costa, essayeur de légende et âme de l’Auto-Journal à sa grande époque, qui n’avait pas hésité, en 1979, à cataloguer la GS X3 parmi les sportives authentiques et qui ne dédaignait pas, en quelques lignes, de livrer le mode d’emploi à suivre pour provoquer de jouissifs survirages au volant d’une CX ! Il n’empêche qu’avec ses peintures de guerre, ses élargisseurs d’ailes et son moteur vibrionnant, la Visa Chrono n’avait vraiment plus rien à voir avec les Citroën de grand-papa et, en dépit d’une carrière particulièrement brève, initia une tradition qui allait perdurer jusqu’à l’orée des années 2010. Présentée pour sa part au Salon de Paris 1986, aux côtés des versions « civiles » de la nouvelle citadine des Chevrons, l’AX Sport ressemblait vraiment beaucoup à une fille spirituelle de la Chrono – même si, comme on s’en doute, beaucoup de choses avaient changé…
Du sport dès le début
Les voitures intégralement nouvelles ne pullulent guère dans les salons et c’est peu dire que l’AX était attendue avec impatience, à la fois par la presse spécialisée, les disciples de la marque et, bien entendu, un réseau de concessionnaires assoiffés de renouveau et qui avaient de plus en plus de mal à vendre des Visa à une clientèle avant tout séduite par les toutes fraîches 205 et Supercinq. D’une légèreté inouïe, même pour l’époque, dotée de moteurs renouvelés, économique et performante, l’AX n’allait pas tarder à étoffer sa gamme et, contrairement à la Visa Chrono, apparue quatre ans après le lancement du modèle, sa première déclinaison sportive fut commercialisée peu de temps après le lancement des versions courantes. Dévoilée dès le mois d’octobre 1986, la Sport rejoint de la sorte le catalogue Citroën en mars suivant, pour une première série de 5000 voitures permettant l’homologation en groupe N, selon le règlement de la FIA à l’époque. Ainsi, avant même l’indispensable carrosserie à cinq portes – qui ne sera disponible que pour l’année-modèle 1988 –, avant même les versions à moteur Diesel, la direction commerciale de Citroën choisit de dynamiser d’emblée la nouvelle gamme avec une variante survitaminée, mais dont le typage est toutefois très éloigné de celui de ses nombreuses rivales potentielles…
Entre Samba et Visa
Car, en ce temps-là, s’est développé une sorte de sous-segment de marché, situé juste au-dessous des GTI et apparentées, et constitué de citadines présentées comme « dynamiques », dotées de moteurs plus puissants que la moyenne et, le plus souvent, décorées de façon suggestive – mais nettement moins onéreuses que les Peugeot 205 GTi, Renault Supercinq GT Turbo ou Fiat Uno Turbo i.e., sans même parler de la Golf, qui évolue désormais dans une autre catégorie. Dans cette antichambre servant de prélude à la véritable conduite sportive, on trouve plusieurs voitures destinées, pour l’essentiel, à des poseurs désireux de se démarquer de la masse, mais peu d’authentiques sportives. C’est le territoire des 205 XS, des Ford Fiesta XR2, des Supercinq TS ou des VW Polo GT – des modèles dont le ramage n’égale pas forcément le plumage, notamment lorsque l’on examine leurs liaisons au sol…Tel n’est pas le cas de l’AX qui, tout en succédant aux plus sportives des Visa, reprend sans le dire la philosophie de feue la Talbot Samba Rallye, disparue deux ans auparavant et qui, elle aussi, avait été développée en vue d’une homologation en compétition. Et les ressemblances entre les deux voitures ne s’arrêtent pas là : dépouillée à l’extrême à l’instar de son aînée, l’AX Sport mise tout sur les qualités de son châssis et, bien entendu, sur un moteur dont les caractéristiques, là encore, rappellent étrangement celles de la défunte Talbot !

715 kilos !
De fait, tout comme ç’avait été le cas pour la Samba, les concepteurs de l’AX Sport ont repris la base mécanique de la modeste exécution de base – ici, l’AX 14 de 65 ch – avant de lui octroyer une sérieuse cure de fortifiants. Pour la Citroën, les maîtres d’œuvre de l’opération ne sont autres que les ateliers nivernais de Joseph Le Bris, fondateur de Danielson, dont l’équipe était déjà brillamment intervenue sur le moteur de la BX Sport. Et la recette retenue pour l’AX éponyme relève du même esprit : avec une cylindrée ramenée à 1294 cm3 – afin de rester en-deçà des 1300 cm3, limite retenue pour les voitures engagées en groupe N –, le nouveau moteur TU reçoit une alimentation d’élite sous la forme de deux gros carburateurs Solex, qui s’apparentent de plus en plus à une survivance à l’heure de l’injection Bosch triomphante, mais qui réjouissent les fanas. S’y ajoutent une culasse retravaillée, de plus grosses soupapes et un arbre à cames spécifique, l’ensemble aboutissant à une puissance de 95 ch à 6800 tours/minute. Bien sûr, c’est vingt chevaux de moins qu’une 205 GTi 1.6, mais l’AX pèse tout de même 135 kilos de moins que la voiture de Sochaux et ses 715 kilos constituent un record de légèreté dans la catégorie. On peut aussi remarquer qu’à son lancement l’AX est facturée 67 700 francs (environ 20 000 euros de 2024), c’est-à-dire 20 % de moins que la Peugeot… Comparaison quelque peu spécieuse, à la vérité, car les deux modèles ne s’adressent pas à la même clientèle. La Citroën n’a strictement rien de chic, bannit toute sophistication et n’a pas été élaborée pour parader dans les beaux quartiers. Son équipement de base est rudimentaire, son insonorisation symbolique, ses jantes de série sont en tôle, etc. Un jansénisme revendiqué que les 205 puis 106 Rallye copieront à leur tour sans vergogne quelques années plus tard…
Introuvable… ou presque
À sa sortie, il faut bien l’avouer, l’AX Sport ne suscite pas que des compliments. Son austérité lui vaut les reproches d’une partie de la presse spécialisée, qui n’apprécie pas non plus le bruit omniprésent à tous les régimes – « le conducteur vit dans un climat d’intimité totale avec la mécanique » écrit ainsi l’Auto-Journal – mais les essayeurs de Sport Auto ou d’Échappement, s’ils apprécient les chronos et le comportement routier de l’engin, crucifient sans pitié un freinage indigent, découlant du choix incompréhensible de Citroën de doter la plus puissante des AX de roues de 13 pouces ! Citroën attend toute une année pour corriger le tir : au printemps 1988, l’AX Sport seconde série corrige certaines faiblesses du modèle initial en se dotant de jantes de 14 pouces, améliorant notablement le freinage par le montage de disques de plus grand diamètre, tandis que le combiné instrumental, repris de la GT, reçoit enfin un compte-tours lisible. Désormais intégrée à la gamme régulière, la Sport n’évoluera plus jusqu’à sa disparition, en 1991, et demeurera un modèle marginal, souvent acquis par des pilotes débutants qui trouvèrent en elle l’outil idéal pour accomplir leurs premiers pas en course et que Citroën utilisera également comme base pour développer l’AX Coupe, conçue dans l’optique d’un championnat monotype à vocation promotionnelle. Aux conducteurs épris de performances mais rebutés par les gros carbus caractériels de la Sport, Citroën proposera donc la GT, bien plus civilisée – ou aseptisée, ricaneront les puristes. Les deux modèles seront remplacés par l’AX GTi pour le millésime 1992. De nos jours, trouver une AX Sport en bel état d’origine et n’ayant pas couru ne relève pas de la mission impossible, mais presque : c’est sans doute la raison pour laquelle les plus beaux exemplaires dépassent désormais les 10 000 euros. Si l’objet vous tente, ne tardez pas trop !






Texte : Nicolas Fourny