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Au cours de sa longue carrière, la CX aura emprunté plusieurs identités, de la paisible berline familiale à moteur Diesel à la limousine de luxe, en passant par les breaks à l’empattement géant chéris des antiquaires. Bien sûr, ses dix-sept ans d’existence commerciale doivent moins au génie de ses concepteurs qu’aux difficultés financières de Citroën, contraint – comme souvent – de prolonger au-delà du raisonnable la présence de l’auto à son catalogue. À quelque chose malheur est bon toutefois, car c’est sans doute à ce long sursis que nous devons la plus performante de la série, à savoir la GTi Turbo qui nous intéresse aujourd’hui. Car il ne faut pas oublier que cette variante est apparue alors que la voiture approchait de sa fin de vie et que venaient de démarrer les études du projet Y30 qui, quatre ans plus tard, allait aboutir à la XM. Somptueux cadeau d’adieu pour la CX comme pour l’antédiluvien quatre-cylindres maison, le turbocompresseur a permis à Citroën de conclure avec panache le parcours de l’ultime modèle intégralement conçu par le bureau d’études de la firme, avant que Peugeot ne s’en empare. Ce n’est pas le moindre de ses mérites…
Comme un goût de trop peu
Quand la CX apparaît officiellement, à la fin du mois d’août 1974, l’accueil que lui réservent la presse spécialisée et le public est dans l’ensemble positif, mais on est évidemment très loin du choc et de l’engouement que l’on avait pu observer dix-neuf ans plus tôt lors de la présentation de la DS. Les temps ont bien changé, pour Citroën comme pour le reste du monde, plongé depuis un an dans les affres du premier choc pétrolier. Pour l’ex-quai de Javel, la crise se traduit de façon très concrète puisque, quelques semaines auparavant, Michelin a débuté le processus de cession du contrôle de la firme à Peugeot mais, au-delà des difficultés financières que traverse alors Citroën, la nouvelle berline ressemble fâcheusement, sous certains aspects, à un modèle étudié à l’économie par un bureau d’études désormais incapable d’innover de façon aussi spectaculaire qu’en 1955. Esthétiquement d’abord, puisque la CX s’apparente sans doute trop étroitement au design de la GS, lui-même influencé par le concept-car BMC 1800 Aerodinamica commis en 1967 par Pininfarina ; mécaniquement ensuite, car le moteur rotatif sous licence Wankel qui devait initialement animer la voiture a été prudemment rangé sur l’étagère des tartuferies à oublier. Moyennant quoi, la CX doit se contenter de reprendre les moteurs les moins performants de la DS et entame donc sa carrière avec le brave 4 cylindres maison apparu dix ans plus tôt sous cette forme. Les 2 litres et 2,2 litres à carburateur chargés de déplacer les versions 2000 et 2200 n’ont rien de particulièrement enthousiasmant et s’avèrent bien entendu incapables de rivaliser avec les chronos de la sommitale DS 23 à injection… Dans le même esprit, il n’existe pas de version « Pallas » et, pour des raisons obscures, la fameuse direction à rappel asservi (DIRAVI pour les intimes) de la SM est indisponible durant le premier millésime, même en option !
La première GTi de Citroën
Naturellement, la direction commerciale de Citroën déploie le narratif habituel dans ces circonstances : le nouveau modèle n’est pas destiné à remplacer la DS ; il vient s’inscrire entre celle-ci et la GS – ce qui est d’ailleurs exact si l’on considère les dimensions de la CX, plus compacte que son aînée. Mais l’obsolescence de la DS, trop coûteuse à produire et dont les ventes se sont effondrées depuis que l’Auto-Journal et ses confrères ont dévoilé le dessin et les caractéristiques de son successeur, la condamne à court terme, d’autant plus que Peugeot est bien décidé à assainir les finances de sa nouvelle filiale, ce qui implique de rationaliser la gamme. Au début de 1975, la SM puis la DS sont donc abandonnées ; dès lors, l’on pourrait croire que la voie est dorénavant libre pour d’éventuelles variantes plus ambitieuses de la CX mais, contre toute attente, Citroën va prendre tout son temps pour développer vers le haut la gamme de son nouveau fleuron. De la sorte, si la confidentielle Prestige à empattement long voit le jour dès février 1976, il faut attendre le mois de juin 1977 pour que survienne la première CX 2400 à injection et à boîte cinq vitesses, commercialisée sous l’appellation quelque peu incongrue de GTi ! Trois lettres qu’une certaine Golf a popularisé depuis l’année précédente mais qui siéent difficilement à une grande routière dont les prédispositions à la conduite sportive ne sont pas flagrantes. Au demeurant, le 2347 cm3, directement repris de feue la DS 23, n’a pas tellement évolué depuis 1972 et, cinq ans plus tard, ses 128 ch n’impressionnent plus grand-monde, même si les exceptionnelles qualités routières de la CX permettent d’en exploiter les ressources en toutes circonstances, ce qui n’est pas forcément le cas de certaines rivales germaniques dont le contrôle peut se révéler délicat lorsque la pluie se met à tomber…
Un 4 cylindres qui en vaut 6 (ou pas)
Le typage « sportif » de la GTi n’est du reste qu’un habillage qui va s’enrichir au fil du temps (jantes alliage, becquet arrière) et auquel une clientèle éprise de discrétion peut facilement renoncer puisque, très vite, le moteur 128 ch est également disponible sous la finition Pallas créée à l’automne 1975 et, bien sûr, dans la Prestige bien plus onéreuse et diffusée au compte-gouttes. De longues années durant, les choses vont demeurer en l’état ; contrairement aux apparences, les performances de la GTi, pourtant régulièrement mises en avant par la communication Citroën, ne surpassent pas celles d’une Pallas identiquement motorisée, sauf dans le domaine des reprises par la grâce d’une boîte plus courte – et ce sera également le cas à partir du l’été 1983, lorsque le moteur de l’engin, à la suite d’un ultime réalésage, atteindra la cylindrée exacte de 2500 cm3, ce qui commence à faire beaucoup pour un « quatre pattes »… Mais, au vrai, la marque n’avait d’autre choix que d’accroître la capacité thoracique du groupe, les études visant à implanter le V6 PRV sous le capot de la CX s’étant révélées infructueuses. Condamnés à se cantonner à la plèbe mécanique du ‘cylindres, les motoristes de l’ex-quai de Javel ne vont toutefois pas rester les bras croisés face à une concurrence de plus en plus relevée ; les 138 ch de la nouvelle CX 25 GTi ne sont en fait qu’une étape et, au milieu de la décennie 80, demeurent insuffisants, notamment en comparaison d’une Renault 25 qui, dès son apparition, crucifie littéralement la vieillissante Citroën et dont la très prochaine version V6 Turbo s’apprête à dominer la catégorie des routières françaises. Mais les joies de la suralimentation ne sont pas réservées à la clientèle de la Régie…
Le turbo à la rescousse
Des années durant, Xavier Karcher, qui dirige brillamment Citroën après avoir accompli l’essentiel de sa carrière chez Peugeot, l’assure sans sourciller en répondant à des sollicitations de plus en plus insistantes : il n’y aura jamais de CX turbo essence, la marque préférant mettre l’accent sur le 2,5 litres turbo Diesel qui, brièvement, conférera à la voiture le titre de berline la plus rapide du monde dans sa catégorie… Mais personne n’est dupe et, en octobre 1984, la révélation de la CX 25 GTi Turbo ne constitue en aucun cas une surprise, ce qui n’empêche pas les observateurs d’analyser très soigneusement les caractéristiques de l’auto. À présent affublé d’un turbocompresseur Garrett soufflant à 0,7 bar, le vaillant 2,5 litres exhale 168 ch à 5000 tours/minute, le couple atteignant pour sa part la valeur de 294 Nm à 3250 tours – des valeurs qui progressent respectivement de 22 et 40 % par rapport à la GTi atmosphérique. Sur le papier, les progrès ne sont pas niables, ce que confirment d’ailleurs des chronos en sensible amélioration, même s’ils demeurent en retrait des meilleures réalisations du moment (on songe à la R25 précitée mais aussi à la Lancia Thema turbo i.e., à la Saab 9000 ou à l’Audi 200). De fait, lorsque l’on dresse la liste de ses rivales potentielles, on constate qu’à l’exception de la Peugeot 505 Turbo injection, la CX doit affronter des modèles apparus une dizaine d’années après sa naissance. Et, en dépit de sa suprématie dans le domaine des qualités routières, la sénescence de la voiture se fait chaque jour plus criante, que l’on s’intéresse à son design, à la qualité de sa finition ou à des détails fonctionnels de moins en moins acceptables, tels que l’absence incompréhensible d’un hayon que la silhouette de la voiture suggère pourtant et accepterait sans dommage esthétique. Dans ces conditions, la GTi Turbo apparaît autant comme un porte-drapeau vecteur d’image que comme un moyen commode de rajeunir l’ensemble d’une gamme dont le restylage tardif, intervenu pour l’année-modèle 1986, ne convaincra pas grand-monde avec, pour l’essentiel, la greffe de boucliers lourdingues réalisés en plastique et un mobilier de bord qui, quoique intégralement renouvelé, réussira l’exploit de dégrader l’ergonomie générale de la voiture, sans que la finition ne bénéficie de progrès significatifs.
Celle qu’il faut avoir
C’est néanmoins sous cette apparence que la GTi Turbo connaîtra son apogée avec, pour le millésime 1987, l’ajout d’un échangeur air/air destiné à modérer l’appétit de la voiture en carburant et qui, officiellement du moins, n’a pas d’impact sur la puissance du moteur ; compte tenu de certaines mesures effectuées sur plusieurs exemplaires passés au banc, il est cependant permis d’en douter, les 168 ch mentionnés sur la fiche technique étant probablement demeurés en l’état afin de ne pas alourdir la prime d’assurance des heureux conducteurs de la plus délurée des CX. Également proposée en version Prestige, cette motorisation est la plus désirable de l’histoire du modèle, les performances autorisées par le turbo étant digérées sans aucune difficulté par le châssis de l’engin, sans la moindre perte de motricité – contrairement à ce que l’on pouvait alors constater chez Lancia ou Audi. Si la CX ainsi gréée a perdu l’admirable dépouillement des premières versions (on a le droit de ne pas apprécier l’accastillage un peu voyant imposé par Citroën et de regretter la disparition des compteurs « pèse-personne ») et si la philosophie de l’ensemble n’a rien à voir avec l’austérité efficiente d’une Mercedes-Benz 300 E, le charme opère presque à tous les coups, y compris vis-à-vis de ceux qui, spontanément, ne sont guère sensibles aux spécificités de la marque, au premier rang desquelles la suspension hydropneumatique ou la DIRAVI, qui exigent toujours une période plus ou moins longue d’acclimatation pour les mains du pilote comme pour l’estomac de ses passagers… À l’instar de ses sœurs de gamme, la CX GTi Turbo n’est pas une automobile « normale », tout simplement parce qu’elle n’est pas « normée » : elle date de l’époque où Citroën osait encore définir ses propres critères au lieu de se fondre servilement dans la grisaille des voitures ordinaires. À cet égard, cette auto dont les singularités comme la vélocité continuent de réjouir les amateurs est sans doute avant tout un précieux témoignage de temps révolus… Sachez en profiter avant qu’elle aussi ne devienne inaccessible !
Texte : Nicolas Fourny