Camel Trophy : l’ode à l’aventure automobile
Si l’automobile a pris une telle place dans l’imaginaire populaire, c’est qu’en plus d’être pratique, elle a toujours porté en elle une part de liberté, de rêve et d’aventure comme aucun autre produit commercial sur la planète. Certes, la performance et la vitesse firent beaucoup pour la passion automobile au travers du sport auto, mais l’aventure devint très tôt un outil promotionnel important : Citroën avec la Croisière Noire puis la Croisière Jaune, Renault avec les missions Gradis. Plus tard, ce sera le Paris-Dakar qui popularisera le rallye-raid et, un an après, le Camel Trophy qui nous intéresse aujourd’hui.
Contrairement au Paris-Dakar, le Camel Trophy n’est pas une course de masse : en 1979, 170 équipages s’élançaient vers l’Afrique sous la houlette de Thierry Sabine tandis qu’en 1980, pour la première édition du Camel Trophy, seuls 3 Jeep s’attaquaient à la jungle amazonienne. Cette différence fondamentale vient sans doute des origines même de la course. En effet, l’idée du Camel Trophy n’était pas, au début, de créer un événement pérenne, mais plutôt d’organiser ponctuellement une opération de communication pour promouvoir la marque de cigarettes Camel (appartenant au groupe RJ Reynolds). L’opération fut menée, au départ, par l’agence de publicité Team, du groupe BBDO, à Düsseldorf. Pour un produit marketing, c’était sacrément bien pensé.
De la Jeep CJ au Land Rover
A l’origine : un périple pour 3 équipages, en Jeep CJ, à la roots, pour découvrir l’enfer vert qu’est l’Amazonie, via la Transamazônica de Belem à Benjamin Constant, petite ville amazonienne portant le nom d’un célèbre militaire et homme politique brésilien (lui-même portant le nom du romancier français et homme politique sous la Révolution). 4 920 km de galères pour une aventure sans pareil qui donnera des idées à RJR, le commanditaire, et bientôt à un nouveau sponsor d’importance : Land Rover.
Dès 1980, les retombées sont énormes pour un “petit raid” de 3 équipages car la force de frappe publicitaire du groupe Reynolds aura permis une visibilité maximum, déclenchant la curiosité médiatique. Avec le Camel Trophy, peu importait quel équipage gagnait réellement la course : l’intérêt était ailleurs. L’aventure, la galère, l’entraide, l’état d’esprit, la découverte de paysages ou de population prenaient le dessus sur la compétition sportive pure et dure (d’ailleurs, à partir de 1986, fut créé le “Team Spirit Awards”, presque aussi important que la victoire elle-même aux yeux des concurrents). A tel point que ne serait-ce que participer au Camel Trophy relevait déjà d’une petite victoire : au fil des années, les candidatures allaient arriver crescendo, obligeant à une drastique sélection. En 1986, pour la première participation d’une équipe française, près de 60 000 candidatures avaient été reçues et seuls ceux combinant condition physique, capacités de conduite en tout-terrain et surtout résistance mentale pouvaient prétendre à espérer une éventuelle sélection.
La cigarette finance l’aventure
A cette époque, on pouvait encore concilier aventure en pleine nature, automobile et cigarettes… Les budgets publicitaires des cigarettiers (comme des alcooliers) étaient pour beaucoup dans l’opulence de la presse automobile par exemple (la Loi Evin fragilisera l’économie de la presse en général et auto en particulier par la suite). Personne ne s’étonnait qu’une aventure en pleine nature, extraordinaire et riche en relations humaines puisse être soutenue par un fabricant de tabac et une marque de gros 4×4.
Avec l’arrivée de Land Rover en 1981 (avec des Range Rover), l’affaire allait prendre une nouvelle dimension : si la course restait encore de dimension modeste (5 équipages), la renommée allait grandir encore un peu plus. Pour RJR, sa marque Camel changeait de dimension au-delà des espérances, séduisant particulièrement les jeunes accros tant au tabac qu’à cette course devenue rapidement mythique. Pour Land Rover, c’était l’occasion de mettre en avant ses produits et surtout leurs capacités de franchissement hors du commun.
De Land Rover Série III au Freelander
En 1982, le Land Rover Série III 88 remplaçait le Range, qui n’avait pourtant pas démérité. En 84, place à des Land 110 avant de passer aux 90 en 1985 et 1986 (année de la victoire d’un équipage français pour sa première participation). En 1987, retour au Range dans sa version TD, puis à nouveau le 110 en 1988 et 1989. Ce fut à partir de 1990 que Land Rover décida de mettre en avant une réelle nouveauté : le Discovery 200 Tdi puis 300 Tdi (à partir de 1995). En 1998, la marque anglaise mettait en avant son petit dernier, le Freelander.
Tous les véhicules participants au Camel Trophy provenaient de chez Land Rover. Ils recevaient une préparation spécifique (notamment une garde au sol plus élevée pour recevoir de plus grosses roues et tout un ensemble d’éléments propres au tout-terrain, type snorkel) et des équipements souvent réalisés spécialement pour l’aventure. Au fil du temps, RJR entrevit le potentiel de cette course presque unique en son genre et créa une filiale dédiée, World Brands Inc destinée à gérer la marque Camel Trophy, tant pour l’organisation du rallye que pour la diffusion de produits dérivés typés “aventure” : montres, vêtements, etc. Avec le temps, la marque avait gagné en notoriété et commençait à prendre une certaine indépendance vis-à-vis de la marque de cigarette éponyme.
La fin d’un mythe
D’un autre côté, les temps changeaient : la lutte contre le tabac devenait une priorité dans un certain nombre de pays occidentaux, à tel point que WBI, dirigé par l’intrépide Iain Chapmann, finira par être attaqué en justice pour faire la promotion du tabac par l’intermédiaire de produits dérivés. Du côté de Land Rover, le passage du groupe Rover au groupe BMW puis à Ford modifia sa façon de penser, d’autant que malgré les qualités intrinsèques de franchissement de ses modèles, la mode n’était plus à la glorification du 4×4 mais plutôt à celle du SUV. Autant dire que la communication “baroud” comptait beaucoup moins.
Résultat, en 1998, les deux partenaires décidèrent de se séparer après une dernière épreuve “classique” (certains disaient que le Camel Trophy s’était de toute façon assagi depuis déjà pas mal d’années). WBI tenta de relancer l’affaire sous une autre forme (notamment avec des bateaux en 2000) mais le Camel Trophy avait fait son temps. Il restera cependant pour de nombreux enfants, adolescents ou jeunes hommes des années 80 et 90 comme la référence ultime de l’Aventure Automobile avec deux grands A.
Aujourd’hui, un certain nombre de Land ayant survécu au Camel Trophy se collectionnent de par le monde, à tel point qu’un Camel Trophy Owners Club a vu le jour il y a une dizaine d’année. Pour rentrer dans ce cercle très fermé des possesseurs d’un vrai Land “Camel Trophy”, il vous faudra vous armer de patience et disposer d’un compte en banque garni, sans compter la difficulté pour retrouver certains des éléments spécifiques prévus pour l’épreuve. Mais pour un passionné de 4×4 et d’aventure à l’ancienne, trouver la perle rare sera sans doute un challenge intéressant.