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Peugeot 504 Commerciale : éloge de la simplicité

Par Nicolas Fourny - 07/03/2025

« C’est en ouvrant la portière avant que l’observateur comprenait à quelle mélancolie Peugeot le convoquait, en ayant dessiné un mobilier de bord dont l’austérité rappelait irrésistiblement celle de la camionnette J7 »

Par facilité de langage, on a l’habitude de nommer « breaks » la totalité des 504 à empattement long apparues au printemps de 1971. En réalité, comme ç’avait déjà été le cas de la 404, Peugeot avait élaboré une véritable gamme, structurée selon la diversité des besoins de l’utilisateur. De la sorte, si la silhouette était toujours la même, entre le break « Grand Luxe » ou la Familiale, et la très humble Commerciale d’entrée de gamme, l’atmosphère du bord, le confort général et les détails de la fiche technique présentaient des différences appréciables. C’est à ce dernier modèle que nous nous intéressons ici : pensée avant tout comme un outil de travail, austère jusqu’à la caricature et dramatiquement sous-motorisée, elle a connu le destin de tous les utilitaires ou apparentés : usée jusqu’à la corde (et au-delà) puis abandonnée dans une casse ou, le plus souvent, expédiée en Afrique pour y couler des vieux jours rien moins que paisibles. C’est pourquoi il ne reste que très peu d’exemplaires survivants de cette machine dure au mal, étrangère à toute fantaisie, conçue quasi exclusivement pour les besognes éprouvantes et qui, cinquante ans après son apparition, méritait bien quelques lignes en forme d’hommage. Si vous lisez ce qui suit — et à la condition que votre âme soit quelque peu perverse —, vous découvrirez que le dénuement n’est pas forcément incompatible avec une certaine forme de séduction…

Le charme discret du prolétariat

De là où il se trouve aujourd’hui, Luis Buñuel n’est plus en mesure de nous faire un procès pour avoir ainsi tourné en dérision le titre du film qu’il réalisa en 1972, et qui fut directement contemporain de la 504 Commerciale. Convenez-en avec nous, Luis : comment résister au réemploi, certes un rien sarcastique, d’une locution convenant si idéalement à une auto dont les attraits ne se dévoilent pas au premier venu ? Rappelons brièvement les faits. La berline 504 avait été présentée à l’automne de 1968. Incarnation même de l’esprit de sérieux, évitant soigneusement toute innovation trop tapageuse, elle poursuivait la lente montée en gamme opérée par Sochaux depuis l’après-guerre et qui avait très opportunément accompagné l’élévation du niveau de vie de sa clientèle, tout au long des Trente Glorieuses ; après les 7 chevaux de la 203, les 8 chevaux de la 403 puis les 9 chevaux de la 404, la nouvelle familiale Peugeot, avec sa physionomie dont seuls les phares trapézoïdaux et la ligne de coffre étrangement brisée sortaient de l’ordinaire, n’envisageait pas d’effaroucher qui que ce soit et ça tombait bien : la clientèle visée, raisonnablement bourgeoise, n’avait surtout pas envie d’être bousculée comme on pouvait l’être lorsqu’on appartenait à la singulière tribu des citroënistes. Fidèles aux traditions de la maison, les concepteurs de la 504 s’étaient appuyés sur des solutions éprouvées et, comme de coutume, bon nombre d’entre elles figuraient déjà à l’inventaire du modèle précédent, à commencer par les moteurs, issus du même tonneau que ceux de la 404. Seules les roues arrière, désormais indépendantes, et les sièges avant à appuie-tête escamotables — issus de l’éphémère coopération avec la Régie Renault commencée en 1966 — sortaient quelque peu des sentiers battus. Cela n’empêcha pas la 504 de remporter très vite un grand succès, d’autant plus qu’à l’instar de ses devancières, elle ne tarda pas à multiplier les carrosseries ; deux ans après les coupés et cabriolets lancés à Genève en mars 1969, les versions « longues » firent leur entrée, s’adressant, comme on s’en doute, à une tout autre cible que les dérivés récréatifs assemblés chez Pininfarina.

Heureux les pauvres…

… car le royaume de l’essieu est à eux. De l’essieu arrière rigide, bien entendu car, comme les autres 504 « longues », la Commerciale n’avait pas droit aux quatre roues indépendantes des berlines, essentiellement pour des raisons liées aux capacités de la voiture en termes de charge utile (la 505 suivra le même chemin, mais Peugeot n’osera jamais la décliner en une variante aussi démunie que celle qui nous occupe aujourd’hui). On l’a vu, la Familiale, le Break, le Break Super-Luxe et la Commerciale pas luxueuse du tout partageaient le même généreux squelette : construite sur un empattement de 2,90 mètres (16 centimètres de plus que la berline) et d’une longueur totale de 4,80 mètres, la carrosserie des 504 à hayon se caractérisait par un porte-à-faux arrière long comme un discours de Fidel Castro mais conforme à la destination de l’engin, et par un curieux décrochement du toit au niveau du montant C. L’ensemble témoignait d’une certaine recherche esthétique, l’inclinaison conjointe du dessin des larges portières arrière et de la custode dynamisant quelque peu le profil. À l’arrière, des blocs optiques intégrés de forme verticale optimisaient la largeur du hayon, qui descendait jusqu’au pare-chocs, le compartiment de charge ne souffrant par-là même d’aucun seuil. Toutes les conditions étaient donc réunies pour répondre aux besoins des artisans, des représentants de commerce ou des familles nombreuses, auxquelles la Familiale, avec ses sept places assises, s’adressait directement. Toutefois, une lecture attentive de la brochure dédiée aux trois acolytes révélait une répartition des rôles qui ne devait rien au hasard : si le Break et la Familiale se risquaient — avec une pusillanimité typique de la marque — vers l’évocation d’une certaine opulence, comme le proclamait le revêtement du coffre en acajou stratifié (ça ne s’invente pas), la Commerciale, quant à elle, paraissait d’emblée cantonnée aux plus viles servitudes. Interloqués par un tarif inhabituellement agressif chez Peugeot, ceux qui prirent la peine d’examiner l’objet en détail ne tardèrent pas à comprendre d’où provenaient les économies qui avaient permis à la firme franc-comtoise d’afficher un prix de vente de seulement 15800 francs — 17900 euros de 2022 —, soit tout de même 9 % de moins que le Break de base…

Break ou commerciale, ce n'est pas le même voyage

Dès l’abord, on remarquait une différence de taille avec le reste de la gamme : le regard ! Les célèbres « yeux de Sophia Loren », trop coûteux sans doute, avaient été remplacés par une paire de projecteurs circulaires noyés dans des enjoliveurs en plastique gris épousant la forme des phares habituels des « vraies » 504. Sous le choc provoqué par cette découverte, l’observateur ne remarquait probablement pas l’absence des butoirs de pare-chocs ni la calandre spécifique à cinq barrettes, mais c’est en ouvrant la portière avant qu’il comprenait à quelle mélancolie Peugeot le convoquait, en ayant dessiné un mobilier de bord dont l’austérité rappelait irrésistiblement celle de la camionnette J7. Sans rapport avec l’élégance classique de l’habitacle des autres 504, la Commerciale présentait en effet un lugubre patchwork des composants les moins onéreux disponibles à ce moment-là : le tableau de bord lui-même provenait de la 304, le volant était celui de la 404, tandis que la boîte à gants avait été remplacée par un vide-poches pauvrement garni et dépourvu de fermeture ; seul le levier de vitesses au volant était commun au reste de la gamme. De surcroît, les occupants étaient priés de ne pas oublier leur montre car l’horloge avait disparu, emportée par la fièvre sadique de la trop fameuse « commission de la hache », ainsi surnommée dans les couloirs du siège social de l’avenue de la Grande-Armée, car constituée de comptables acharnés à réduire au maximum les coûts de production. Enfin, les sièges n’étaient pas non plus ceux des autres 504 et procuraient un confort postural en net recul à leurs occupants. Pourtant, dans le tout premier catalogue, édité en avril 1971, une Commerciale bleu ciel est mise en scène en compagnie d’une famille hilare — sans doute parce que le pilote n’avait pas encore essayé de faire avancer la voiture. La lecture de ses caractéristiques avait pourtant de quoi effrayer le plus janséniste des conducteurs : en version essence, l’auto récupérait le 1796 cm3 des premières 504, dégonflé à 73 ch, ce qui n’était déjà pas le Pérou ; mais ce n’était encore qu’une aimable plaisanterie en comparaison de la variante à moteur Diesel, qui se coltinait le 1948 cm3 Indenor de la 404 ! À la clé, 53,5 ch, une vitesse maximale équivalente à celle d’une 2CV 6 et des accélérations que la pudeur nous interdit de chiffrer. Avec un poids total autorisé d’environ deux tonnes, on imagine à quoi pouvait ressembler l’ascension d’un col alpin ou le remorquage d’une caravane Digue de Paris à Montélimar…

Entre Sarcelles et la vallée de Chevreuse

Dans le même dépliant, notre 504 azuréenne se plie à diverses tâches censées illustrer sa grande polyvalence. Son espace de chargement, intégralement tôlé, reçoit successivement des ballots de paille ou des baguettes de pain et, pour transporter tout ce saint-frusquin, il est possible de démonter le siège avant droit, ce qui, après avoir rabattu la banquette, aboutit à un volume utile réellement impressionnant. De fait, la voiture, nous dit Peugeot, est « aussi agréable pour le travail que pour le tourisme ».  Au demeurant, il est très instructif de comparer cet argumentaire avec celui qui présente le Break Super-Luxe : « Ces gens raffinés découvriront le luxe, l’harmonie de la planche de bord très complète où chaque détail a été étudié pour le bien-être de tous. » Sur les photos d’illustration, on découvre un club d’équitation et une demeure patricienne flanqués de personnages que l’on croirait sortis d’un film de Claude Chabrol. De loin, on pourrait même croire que les fauteuils marron sont tendus de cuir (mais, évidemment, ce n’est que du simili). Un demi-siècle plus tard, ces images nous attendrissent par la naïveté limpide de leur message. Elles éclairent crûment les strates de la société pompidolienne et sa hiérarchie de classe solidement organisée, où la progression sur l’échelle sociale se mesurait à quelques chromes supplémentaires ou à dix chevaux en plus sous le capot — toute ressemblance avec la période actuelle serait fortuite… Néanmoins, au cours des millésimes suivants, la Commerciale est peu à peu rentrée dans le rang ; par exemple, dès 1972, elle reçut les mêmes phares que ses sœurs de gamme, avant d’être rebaptisée « L » (pour « Luxe », ne riez pas), au moment où une berline éponyme et identiquement dépouillée faisait son apparition. Par la suite, son équipement se normalisa et devint plus acceptable, tout en restant, comme il se devait, en deçà de celui des versions GL. Par conséquent, de nos jours, ce sont bien sûr les toutes premières Commerciales qu’il faut traquer : pour les amateurs du genre, c’est leur rusticité qui fait tout leur intérêt. Comme les autres 504 « longues », il y a longtemps que ces voitures ont disparu du marché français mais il suffit de se balader dans les salons allemands comme le Techno Classica à Essen pour découvrir de très beaux exemplaires dont le prix dépasse fréquemment les 15000 euros. C’est cher, dites-vous ? Certes, mais ça vaut toujours mieux que les clapiers à roulettes dévorés par la rouille usuellement proposés en France et prétendument en bon état. Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris : si ces voitures vous attirent, il n’y a plus de temps à perdre !

 





Texte : Nicolas Fourny

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