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Citroën Axel : la servante écarlate

Par Nicolas Fourny - 15/06/2021

Certaines autos peuvent susciter des sentiments inattendus, allant de l’hilarité à l’incrédulité, en passant par une forme de consternation. Ces réactions sont souvent corrélées à des singularités conceptuelles ou aux aspects plus ou moins improbables des péripéties industrielles et commerciales pouvant affecter le destin d’un modèle. Il en va ainsi de l’éphémère, baroque et surprenante Axel, née dans les brumes hostiles des pays de l’Est pour finir par atterrir, contre toute attente, sur les routes d’une Europe occidentale qui n’en demandait pas tant. Souvent confondue avec une Visa à trois portes, seuls les citroënistes invétérés se souviennent encore de sa timide existence, cruellement marquée par une si piètre qualité de fabrication que les concessionnaires de la marque s’arrangèrent souvent pour éviter de la vendre. Peu goûtée à l’époque, cette Citroën encore plus étrange que les autres a désormais complètement disparu du paysage. Les rares survivantes méritent-elles d’être sauvées ? Examinons ensemble la question…

Je ne suis pas mort, je dors

Les abonnés à Facebook qui suivent la page intitulée « Les Chevrons d’Alsace Lorraine » ont sans doute pris connaissance, avec une émotion légitime, du sauvetage intervenu à la fin du mois de mai dernier et qui concernait une Axel 12 TRS de 1988. La sortie de grange idéale : 76 000 kilomètres d’origine, très empoussiérée mais bien vivante et ne demandant qu’à reprendre la route, comme en témoigne la suite des aventures de l’auto, relatée au même endroit avec une passion communicative. Bien sûr, les individus allergiques aux excentricités citroënistes de ce temps-là détourneront rapidement le regard de ce singulier petit coach qui, il faut bien l’avouer, n’aurait jamais dû quitter sa Roumanie natale mais qui, pour les thuriféraires de la firme française, recèle les précieux repères d’une épopée révolue. Avec son flat-four à refroidissement par air, son habitacle joyeusement marronnasse, son volant monobranche, ses satellites de commande spécifiques — très différents de ceux d’une Visa ou d’une GSA — et ses jantes en alliage léger dédiées aux coûteux pneumatiques TRX, cette Axel exhumée d’un long sommeil ressemble en définitive à ce qu’elle est : une sorte de patchwork de composants rassemblés tant bien que mal pour aboutir à une voiture ayant laissé plus d’un observateur perplexe lorsqu’elle fit irruption sur le marché français, en juillet 1984…

En attendant l’AX (ou pas)

Rappelons qu’à ce moment-là, le bas de la gamme Citroën était occupé par quatre modèles. La 2CV 6 et la Méhari agonisaient dans la discrétion et n’attiraient plus que quelques hurluberlus nostalgiques, tandis que la LNA et la Visa s’efforçaient de batailler contre les redoutables concurrentes qu’étaient la Renault 5, la Ford Fiesta ou la Peugeot 205. L’arrivée très prochaine de la Supercinq donnait des sueurs froides aux responsables de la firme, qui savaient avec quelle impatience leurs concessionnaires et agents attendaient le lancement de la future AX. Malheureusement, celle-ci n’allait apparaître que deux ans après ; d’un certain point de vue, et avec beaucoup d’imagination, l’Axel pouvait éventuellement passer pour un modèle de transition, destiné à faire patienter une clientèle de plus en plus clairsemée, en dépit du dynamisme d’une direction commerciale jamais en retard d’une idée pour dissimuler le vieillissement préoccupant du catalogue.

Évidemment, une hypothèse aussi farfelue ne résistait pas à un examen sérieux, surtout lorsque l’on découvrait les substrats de l’engin, qui arrivait en droite ligne d’une usine édifiée dans la riante cité de Craiova, située dans la province d’Olténie — laquelle avait donné son nom à la version locale du modèle, baptisé Oltcit (une version cabriolet a même été tentée). Issue d’un projet mort-né, puis recyclé dans le cadre d’une coopération industrielle avec le sympathique régime dictatorial mis en place par Nicolae Ceausescu, l’Oltcit ambitionnait de renouveler le parc roulant d’une Roumanie enkystée dans la médiocrité communiste. Sur les photographies réalisées pour la brochure endogène, on pouvait découvrir un jeune couple aussi à l’aise que deux pingouins égarés dans les rues de Tamanrasset, vêtu dans le respect du folklore et évoluant autour d’un exemplaire dont l’extrême dépouillement signait la vocation : on n’était pas là pour se distraire mais pour se déplacer dans les meilleures conditions possibles avec autre chose qu’une carriole — et, étant donné l’état du réseau routier du pays à cette époque, les particularismes de la suspension Citroën ne constituaient sans doute pas la plus mauvaise des solutions ! 

Les tribulations du projet Y

Nous parlons bien de suspension Citroën car, à la vérité, et contrairement à la Visa, l’Oltcit ne devait strictement rien à la banque d’organes Peugeot. Ses origines remontaient au projet Y, étudié avant que Michelin ne cède le contrôle de l’ex-Quai de Javel au constructeur franc-comtois. Il était question de développer une citadine moderne à hayon arrière vouée à remplacer l’Ami 8, ayant recours à des solutions innovantes typiques de la marque, que Gilles Colboc décrit dans son ouvrage La Citroën Visa de mon père (éditions E.T.A.I.) : « À l’avant, deux triangles forment un parallélogramme inégal, et deux barres de torsion ancrées sur le bras inférieur vont s’ancrer sur une lame de flexion transversale qui assure la fonction d’antiroulis. À l’arrière, on trouve une solution à deux étages, deux barres de torsion courtes reliées à une traverse articulée elle-même sur deux gros silentblocs. Par leur torsion, ces derniers jouent le rôle de barre antiroulis. »

Cependant, cette architecture ambitieuse ne devait pas survivre à l’arrivée de Peugeot qui, pour des raisons financières, imposa la réutilisation de la plateforme de la 104, réorientant de la sorte le projet vers la Visa que nous connaissons. Toutefois, ayant remporté l’appel d’offres lancé par le gouvernement roumain en 1976, Citroën s’employa alors à industrialiser ce qui subsistait du projet Y, aboutissant à une voiture bien plus intéressante que l’image qu’en a retenu la mémoire collective. Commercialisée en Roumanie avec le bicylindre 652 cm3 des Visa Spécial et Club ou avec le quatre-cylindres de la GSA, c’est exclusivement avec ce dernier que la voiture fut exportée vers l’Europe de l’Ouest, sous le joli nom d’Axel…

Elle en donnait un max !

Cet intertitre reprend l’argumentaire choisi pour la campagne de lancement, durant l’été de 1984 : « Pour 37000 francs, j’en donne un max », clamaient les affiches en 4×3 et les visuels en pleine page dans les magazines spécialisés. C’était là un tarif particulièrement compétitif, à peine supérieur à celui d’une 2 CV6 Charleston, et inférieur de 15 % à celui de la 205 la plus accessible. En réalité, l’Axel reprenait à son compte la stratégie des Lada 1200, Zastava Yugo ou Polski-Fiat 125 : il s’agissait de tirer profit des coûts de production alors en vigueur derrière le rideau de fer pour afficher des prix de vente agressifs, susceptibles d’attirer une clientèle jusqu’alors contrainte de recourir au marché de l’occasion. Hélas, les premiers acquéreurs de l’engin ne tardèrent pas à s’apercevoir que les mêmes causes engendraient les mêmes effets : souffrant de méthodes de fabrication primitives, d’une consommation excessive et d’une fiabilité déplorable, l’Axel se tailla très rapidement une lugubre réputation de « voiture à emmerdes ».

« Le prix s’oublie, la qualité reste », affirmait un vieux slogan stuttgartois ; en l’occurrence, il n’est pas exagéré d’affirmer que Citroën avait réussi à dévoyer ce raisonnement. Il n’est pas agréable de circuler au volant d’une voiture qui, jour après jour, défaillance après défaillance, vous rappelle avec perversité qu’elle ne vous a pas coûté cher et, en toute logique, le bilan commercial fut à l’avenant : avec moins de 30000 unités écoulées en France jusqu’en 1988, le modèle a connu l’échec cuisant auquel on pouvait s’attendre. Je me souviens très bien de l’expression désabusée des hôtesses du stand Citroën au Mondial de l’Automobile de cette année-là, qui distribuaient par lots de dix les dernières brochures consacrées à l’Axel à des amateurs de bizarreries dans mon genre…

Pas seulement une partie de rigolade

Une voiture peu onéreuse assemblée en Roumanie sur la base de composants français habilement recyclés, voilà une histoire qui en rappelle une autre, bien plus récente mais sanctionnée par un succès commercial aussi retentissant que cynique. Il y a quarante ans, les stratèges de Citroën s’avérèrent nettement moins efficaces que ceux de Dacia au XXIe siècle ; pourtant, contrairement à la première Logan, la fiche technique de l’Axel n’est pas celle d’un véhicule conçu au rabais et, si elle était sortie des usines d’Aulnay-sous-Bois ou de Rennes-la-Janais, il est probable que cette machine torturée et paradoxale aurait connu un sort plus enviable. À titre d’exemple, les sensations de conduite de l’Axel, son confort postural et ses qualités routières ridiculisent les approximations d’une Opel Corsa contemporaine ; aujourd’hui encore, prendre le volant d’un des rares exemplaires en état de rouler vous donnera le sourire si vous appréciez les automobiles à forte personnalité.

Avec, dans le meilleur des cas, 61,5 chevaux (ça ne s’invente pas) pour moins de 900 kilos à vide, l’auto s’insère sans difficultés dans le trafic actuel et le flat-four fait preuve d’une réelle bonne volonté. Il n’empêche qu’il faut une bonne dose de philosophie pour tolérer les multiples insuffisances mentionnées plus haut et la fragilité globale de l’ensemble, qu’il s’agisse de la finition de l’habitacle ou des déboires occasionnés par la mécanique elle-même (le carburateur, d’origine Solex mais fabriqué en Roumanie, ayant à lui seul poussé plus d’un propriétaire au suicide). De la philosophie, et probablement de l’amour aussi, indispensable pour, en fin de compte, apprécier à sa juste valeur cette Citroën aux charmes ambigus et qui, contrairement à bien d’autres modèles de la marque, vaut à peine plus qu’une poignée de cerises. Dans la séquence tristement formatée que nous traversons, pour rouler différent, il n’y a peut-être pas mieux ! 

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