Seat Ronda: l'objet de la discorde !
L’histoire de la Seat Ronda aurait pu être paisible, celle d’une voiture de milieu de gamme faisant le job, sans casser des briques ni faire tourner les têtes. Pourtant, elle fera l’objet d’un retentissant procès (du moins en Espagne) qui pourrira la vie des dirigeants de Seat qui avaient d’autres chats à fouetter à ce moment là ! L’histoire de la Ronda, c’est un peu celle d’un divorce à l’amiable qui tourne au vinaigre lorsqu’il s’agit de se partager le patrimoine. Flash back !
Revenons en 1979. A cette époque, tout semblait (en surface) encore rose entre Fiat et Seat, qui en détenait 36 %, et cette année-là, la marque espagnole lançait la Ritmo, copie conforme ou presque de sa sœur italienne! Pourtant, en coulisse, la situation n’est pas aussi idyllique ! Franco est mort en 1975, et l’INI, holding regroupant toutes les participations industrielles de l’Etat Espagnol, est chargée de se débarrasser des poids morts et des sources de pertes financières. Le nouveau Royaume d’Espagne a besoin de cash, et veut solder la période franquiste !
C’est tout naturellement vers son partenaire historique italien que l’INI va se tourner, proposant à Fiat de racheter l’intégralité du capital de la marque espagnole. Depuis 1976 déjà, le constructeur turinois rêve d’obtenir au moins la majorité. Chacun des protagoniste croit à une solution rapide ! Erreur. Si Fiat se verrait bien mettre la main sur Seat, ce ne sera pas à n’importe quel prix, ni n’importe comment. On envoie alors un bataillon d’experts et de comptables pour auditer l’entreprise.
La réalité de la situation de Seat apparaît alors aux dirigeants de Fiat : l’entreprise est surendettée, mal gérée, et surtout en sureffectif. Sans abandonner l’idée de racheter Seat, les italiens demandent à l’INI d’apurer les comptes et de solder les dettes. Un premier accord est signé en 1979 et Fiat participe à une augmentation de capital à hauteur de 3 milliards de pesetas. Le projet initial prévoyait une prise de contrôle effective par Fiat en juin 1980, mais de son côté, la marque italienne doit gérer ses propres problèmes, notamment des grèves interminables, et devient inflexible : si la situation financière n’est pas redressée, ils n’iront pas plus loin dans les négociations ! Le gouvernement Espagnol refuse toute intervention (en avait-il les moyens financiers?) et la réaction de Fiat ne se fait pas attendre très longtemps : elle décide de revendre sa participation pour 1 peseta ! Et l’INI se retrouve avec 95 % du capital… Le divorce était acté !
Grand prince, Fiat signe tout de même en mai 1981 un accord de coopération, autorisant à Seat de continuer à produire les 127, Ritmo et Panda, à condition qu’elles soient significativement modifiées pour éviter toute confusion avec les modèles Fiat. Car en rompant l’accord qui la liait à Seat, Fiat implicitement lui rendait la possibilité d’exporter vers l’Europe notamment, ou ces modèles rentreraient en concurrence avec les siens.
C’est ainsi que les 3 modèles reçurent des restylages plus ou moins profonds, donnant naissance à la Fura (ex-127), la Marbella (ex-Panda) et à la Ronda (ex-Ritmo) en 1982 ! Mais la présentation de la Ronda cette année-là fait bondir les dirigeants italiens : les modifications esthétiques reçues par la Ritmo espagnole devenue Ronda ressemblent étrangement… à leur propre projet de restylage de la Fiat Ritmo, prévu un peu plus tard. En août 1982, Fiat signifie à Seat son mécontentement et lui demande de revoir la copie. Sans arriver à trouver d’accords, Fiat finit par porter plainte auprès de la Cour Internationale d’Arbitrage à Paris en novembre 82, accusant Seat de n’avoir pas respecté ses engagements de « différenciation significative de la carrosserie extérieure » prévue dans les accords de 1981.
La Ronda présentée à la Cour Internationale d’Arbitrage, avec en jaune les pièces modifiées !Seat en retour attaque Fiat auprès de la même cours de justice, considérant que c’est une tentative délibérée de l’empêcher d’exporter ses modèles en Europe. Et pour répondre aux accusations de Fiat, Seat fait réaliser une Ronda dont toutes les modifications sont peintes en jaune, sur fond noir pour les pièces communes, et ce pour l’intérieur comme l’extérieur (la planche de bord était totalement nouvelle). Le résultat est assez édifiant, suffisamment en tout cas pour impressionner les trois juges de la Cour, qui reconnaissent à Seat, en 1983, le droit de produire la Ronda. Plus généralement, ils l’autorisent à exporter vers le reste de l’Europe. Fiat aura perdu sur toute la ligne, car à l’heure de restyler la Ritmo, elle se limitera à des améliorations techniques sans vraiment retoucher la ligne, afin de rester démarquée de la Ronda espagnole !
De son côté, Seat vit une nouvelle vie : l’Etat Espagnol a accepté de recapitaliser l’entreprise à hauteur de 180 milliards de pesetas (ce qu’il avait pourtant refuser à Fiat) et l’INI entre en négociation avec les Allemands de Volkswagen, qui prendra une première participation de 50 % pour 40 milliards de pesetas. Le début de cette collaboration passe aussi par des modifications sur la Ronda : les moteurs d’origine Fiat sont revisités par Porsche, leur offrant bain de jouvence et gain de puissance. Ils équiperont la Ronda à partir de 1984.
La Ronda fut exportée jusqu’en Allemagne, où elle se vendra à 10 000 exemplaires !Lorsque l’heure de la retraite arriva en 1986, la Ronda, qui avait tant fait peur à Fiat, n’avait pourtant réussi à séduire que 177 869 acheteurs. Mais elle marquait, grâce au procès gagné et à sa seconde série marquée du P (pour Porsche), une nouvelle ère : finie la tutelle Fiat, et place au sérieux « à l’allemande ». L’arrivée de l’Ibiza en 1984, première voiture conçue sans Fiat, ouvrait de nouvelles perspectives à la marque espagnole. Le 23 décembre 1986, VW montait à 75 % du capital, puis à 99,99 % en 1990 : Seat devenait définitivement allemande, devenant la marque « populaire et jeune » du groupe Volkswagen !