Currus Citroën U55 "Cityrama" : le futur à portée de main
Currus ? Non, je ne vous ramène pas au bon vieux temps de vos cours de latin, mais dans les années 50, en 1956 pour être précis. Cette année là, malgré la tourmente naissante (Crise de Suez, tandis que les « événements d’Algérie » durent déjà depuis 2 ans) et l’instabilité chronique d’une 4ème République qui vit ses dernières heures sans le savoir, les Français ont déjà oublié la Seconde Guerre mondiale. L’heure est à la croissance, à la consommation, au tourisme et au futurisme. La Citroën DS et son pendant ID (lire aussi : Citroën ID) amène un peu de futurisme dans l’automobile, tandis que les bus ou camions deviennent aussi des supports pour la « réclame », comme on appelle encore la publicité.
En 1956 justement apparaît une nouvelle compagnie dédiée au tourisme parisien : Cityrama avec pour objectif d’offrir aux touristes venus de province ou de l’étranger la possibilité de visiter Paris en un minimum de temps, tout en profitant à plein du paysage et de l’architecture. En fait, l’ancêtre de l’Open Tour d’aujourd’hui (l’Open Tour a d’ailleurs été exploité par Cityrama en collaboration avec la RATP dès 1998, avant la prise de contrôle totale par la Régie en 2015). Dans l’optique de frapper les esprits tout en offrant un maximum de vision aux touristes, la jeune société va faire appel au « plus ancien carrossier de Paris », Currus, pour réaliser des bus au design futuriste et aux larges verrières.
Currus est devenu « le plus ancien de la capitale » un peu par hasard : lancée en 1900 par Nathan Levy en rachetant la Carrosserie Perrotin & Bollinger et ses locaux de la rue Poliveau, dans le XIIIème (les amateurs de la « Traversée de Paris se souviennent bien de cette rue), c’est en s’offrant en 1906 une autre carrosserie, Chastel & David (créée en 1805) que Currus (le char en latin) récupère ce titre. Et encore, c’est aussi parce que bien des carrosseries de l’époque ont quitté Paris pour la proche banlieue. Assez rapidement, Currus va se spécialiser dans le carrossage de châssis pour créer des autobus ou autocars. Dans les années 30, la carrosserie parisienne va souvent innover, avec des structures en métal soudées au châssis (en remplacement du bois), voire en utilisant le plexiglas !
La guerre va mettre un coup d’arrêt aux activités de Currus et l’entreprise, juive, est réquisitionnée par les allemands. Il faudra atteindre le retour du fils Lévy en 1945 pour voir la carrosserie repartir et se spécialiser encore plus dans les autocars sur commande spéciale d’un côté, et dans la réalisation de commandes pour les administrations, notamment la transformation de Type H en « paniers à salade » (lire aussi : Citroën Type H), puis la transformation à partir de 1952 des 4CV en « voitures pie ».
C’est dans ce contexte que Cityrama passe sa commande à Currus, avec un cahier des charges dans l’air du temps : un véhicule fururiste, au look inimitable, à impériale (« à l’anglaise ») et à la surface vitrée la plus large possible. Dans la même veine que ce que fait Philippe Charbonneaux notamment chez Bernard (lire aussi : Camions Bernard) ou ailleurs, le bureau de style de Currus va livrer, sur la base d’un châssis Citroën U55, une version spéciale « Cityrama » pour son client parisien.
Admirez sur les photos combien ce Currus U55 Cityrama se distingue de la circulation parisienne, même des années après ! Sans doute 5 à 10 exemplaires seront livrés (minimum 3 comme en témoigne le trio sur la photo), mais ils resteront gravés dans la mémoire des parisiens mais aussi de nombreux cinéphiles puisque le Bus Cityrama apparaîtra dans le film « Zazie dans le Métro » de Louis Malle en 1960, puis 5 ans plus tard dans « Le Corniaud » de Gérard Oury. Dans le courant des années 60, Cityrama restera fidèle à Currus en commandant un nouveau bus, plus classique, sur un châssis de Saviem S105.
La deuxième version « Currus Cityrama », sur base SAVIEM, est beaucoup moins excentriqueCurrus, de son côté, fera son beurre en transformant le Type H en une moderne version CH14 (C pour Currus, H pour Type H, et 14 pour 14 places) qui équipera un certain nombre de compagnies de cars ou d’autobus (y compris la RATP pour des petites lignes à faible trafic), puis en lançant une version plus grande, l’Orsay. Sans compter la lucrative transformation de Citroën ID en ambulances. Malheureusement, Currus ratera le virage des années 70. Le lancement de nouveaux modèles chez Citroën, devenu son « fournisseur attitré » et le manque d’investissement conduira les fils Lévy à déposer le bilan en 1975.
Un CH14 aux couleurs de la RATPReste dans l’imaginaire populaire cet extraordinaire U55 Cityrama, témoin et symbole d’une époque révolue, à mi-chemin entre consumérisme et artisanat, entre futur et passé, une époque colorée baignée par le rock n’roll puis les yéyés !