Youngtimers : les nouveaux talibans ?
Plus je fréquente les groupes Facebook de « soi-disant » amateurs de « Young », plus je vois disparaître l’esprit originel de ce mouvement né en réaction à la fermeture d’esprit du monde de la collection (Oldtimers). A ses débuts, la mouvance Youngtimers se voulait ouverte, amicale, sans pression de performance, de valeur ou de marque. Surtout, elle remettait en avant des modèles à fort potentiel nostalgique pour une génération d’adolescents durant les années 80 ou 90. Las, ce temps béni des débuts disparaît aujourd’hui, laissant la place à une génération d’ayatollah de la voiture cherchant à tout prix à les faire rentrer dans des cases et des catégories. Etrangement, dans le même temps, le monde de la collection retrouve une certaine souplesse. Désormais, le vent de liberté souffle sur les oldtimers, ou tous les modèles trouvent un intérêt (notamment les petites populaires des années 50 ou 60), tandis que le mouvement Young se rigidifie en cherchant à exclure toute voiture qui ne soit ni sportive, ni rare.
Pourtant, ce qui faisait le charme de ce mouvement Young, c’était la grande liberté qu’il permettait. Toute voiture « entre deux eaux », ni collection, ni occasion, qu’elle soit diesel ou essence, sportive ou non, de grande diffusion ou rare, pouvait entrer dans la catégorie pourvu que le propriétaire en soit fier, en ait la nostalgie (et les souvenirs d’enfance qui vont avec), et surtout pourvu qu’il roule avec. Car la grande nouveauté de la Youngtimer, c’était son utilisation quotidienne, voire comme voiture principale. Cette caractéristique qu’aujourd’hui nombre d’amateurs auto-proclamés oublient.
En fait, l’unique critère d’une Young, au début, c’était sa valeur sentimentale personnelle. Les rassemblements étaient l’occasion de se raconter ses souvenirs d’enfance. Peu importait la valeur réelle de la voiture, souvent dérisoire d’ailleurs, pourvu qu’on sauve l’espèce d’une part, et qu’on prenne du plaisir d’autre part. La sportivité n’était pas un gage de Young, mais une question de goût : la 205 GTI pouvait se garer à côté d’une 405 GLD, et leurs proprios respectifs d’admirer l’autre sans jalousie ni haine, de sortir le pif et le sauciflard pour discuter sans fin des bagnoles de l’enfance.
Aujourd’hui, ce n’est plus autant le cas, même si « l’esprit » perdure un peu. Souvent le conducteur de GTI regardera avec condescendance l’amateur de mazout, qui de son côté trouvera le Gtiste bien sectaire. Le pif, on se le garde pour soi, et on ne se mélange pas, parce que bon, on ne mélange pas les torchons et les serviettes (chacun se croyant serviette of course). La franche camaraderie laisse place à des catégories ne s’adressant plus la parole. Comme s’il y avait des vraies youngs et des sous-youngs : foutaise, il n’y a plus que des idiots.
L’amateur d’automobile devrait avoir soif de connaître les modèles, les histoires, les techniques, adorer les voitures moches comme les belles, s’intéresser et comprendre la passion de l’autre sans la dénigrer, aimer aussi les voitures dites de collection et continuer à suivre l’actualité de la voiture moderne, s’amuser des bizarreries de l’industrie automobile et regarder avec bienveillance et sans exclusive tout ses congénères un peu fous, hors normes, hors cadre. Au lieu de cela, il s’écharpe sur ce qui devrait être young ou pas, sur des dates, des catégories, des idées reçues.
La production automobile est d’une telle richesse qu’il y en a pour tous les goûts, et c’est tout son intérêt : de la populaire à la limousine, de l’anémique diesel à la petite sportive, de la voiture de masse à la plus exclusive, en V ou en ligne, en 4, 5, 6, 8 ou 12 cylindres, à carbu ou à injection, en coupé, berline, break, cabrio ou utilitaire, toutes sont intéressantes, ont une histoire, une image. Au lieu de cela, il est de bon ton de se moquer, de cataloguer, de juger, et d’excommunier. Il est beau le nouveau mouvement Young, ça fait envie.
Les talibans et les ayatollahs de la voiture sont de plus en plus nombreux, de plus en plus fermés, de plus en plus agressifs, oubliant la futilité de l’affaire. Le mouvement Young est devenu une religion effrayante avec ses grands prêtres, ses bûchers, son dogme et sa chasse aux sorcières. Dans cette nouvelle religion, on efface des pans entiers de culture pour ne garder que la Vérité proclamée, avec des dates rigides, des concepts abscons (« young, c’est sportif et rare »), des évangiles du bon youngtimer, des définitions assénées comme table de lois ! Bientôt, il y aura un Messie de la Young, un Pape de la Young, des évêques et des prêtres. Et bien entendu des tribunaux.
Pour éviter cette tendance accentuée par Internet, Facebook, l’anonymat et la protection de l’écran, il faudrait peut-être revenir à de la légèreté, de l’insouciance, de la liberté et de la camaraderie au lieu de s’embarquer dans une nouvelle guerre de religion d’autant plus ridicule qu’il ne s’agit que de bagnoles. Et puis, un peu de culture aussi, ça ne ferait pas ce mal, mais j’en demande beaucoup, c’est vrai.