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Talbot Solara : faire du neuf avec du vieux

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 25/11/2020

Nous sommes le 15 avril 1980, à Versailles. Devant la presse ébahie, Talbot présente sa toute première nouveauté depuis sa (re)création et le rachat de Chrysler Europe : la Solara. Suivront bientôt la grande Tagora (au Salon de Paris de la même année), puis la petite Samba l’année suivante. La troisième marque généraliste du tout jeune groupe PSA semblait en marche pour conquérir l’Europe. Bien que moderne, la nouvelle Solara ne peut cacher ses origines datant de plus de cinq ans déjà. Pourtant, la berline frappée du T ne manquait pas de qualités et réussira à se vendre correctement dans le tourment des années 80 et de l’éphémère marque de Poissy.

Pour bien appréhender  la Solara, il faut comprendre la vision de Peugeot et le positionnement potentiel de Talbot au sein du groupe PSA. Citroën occupe, depuis son rachat progressif à partir de 1974, la place de l’originalité, tant technique que stylistique. Avec ses berlines CX et GS, la ligne fastback est sa spécialité. Chez Peugeot, on préfère le classicisme du tricorps et la respectabilité provinciale : la marque est la digne représentante des “bourgeois de province” avec ses 305, 504 puis 505 et la statutaire 604. Pour intégrer Chrysler Europe et ses nombreuses marques, notamment Simca en France, on décide donc de lancer une nouvelle marque, Talbot, trouvée dans la corbeille de mariage (Simca avait racheté Talbot-Lago à la fin des années 50 pour finir par tuer la marque une première fois).

Une tricorps plus statutaire

Il faut désormais “positionner” Talbot entre Citroën l’originale et Peugeot la conservatrice. L’axe choisi n’est pas idiot, avec le recul : sans s’imaginer premium ni sportive, Talbot se verra attribuer le “dynamisme chic”, qu’on appellerait “access premium” aujourd’hui. Or, malgré un certain succès sur le marché européen, la gamme 1307/1308/1309, encore relativement jeune (lancement en 1975), et rebaptisée 1510 lors du lancement de Talbot, ne colle pas vraiment à cette image : il faut dire que chez Peugeot, on n’est pas vraiment fan du hayon et du fastback. En outre, Chrysler Europe, devenue Talbot, possède une usine en Espagne, à Valverde, où l’on est friand de tricorps (Renault-FASA ira même jusqu’à proposer une version tricorps de la Renault 5, appelée Siete).

Aussi, pour inaugurer la nouvelle marque et mieux coller au positionnement, décide-t-on d’offrir à la 1510 une sœur plus statutaire (pense-t-on) et tricorps. L’opération est facile (la base technique est la même) et le développement rapide. On hésite un temps à l’appeler 1620 mais l’heure est au changement : désormais, les Talbot auront un nom, à tendance “latine”. La grande berline qui se profile s’appellera Tagora (pour remplacer les 160/180 et 2 litres), la petite se nommera Samba et, entre les deux, se glisse la nouvelle Solara. Tout cela semble logique sur le papier mais la transition sera tellement mal gérée que la 1510 conserve seule ses chiffres dans la gamme quand, dans le même temps, certains modèles, dont l’Horizon et même les premières Solara, conserveront des badges Simca ou Chrysler en plus du T cerclé. À force de ne vouloir brusquer personne, on déboussole tout le monde.

Moderne et dynamique

Pour rentabiliser au maximum l’investissement, point de moteurs Peugeot sous le capot, mais essentiellement des moteurs “Poissy” : 1 442 cc de 70 ou 85 chevaux, et 1 592 cc de 88 chevaux (puis 90 à partir de 1982, tandis qu’une version dégonflée à 70 ch prendra le relais du 1.5). Rien de très époustouflant mais des moteurs solides et éprouvés, au bruit caractéristique. Côté finitions, on commence avec une LS assez basique, une GL un peu mieux équipée, puis une GLS grimpant d’un cran et enfin, en haut de la gamme, la SX (avec notamment le verrouillage centralisé de série, comble du luxe). On n’est pas encore tout à fait premium ni tout à fait sportif, mais l’idée est là, d’autant qu’on propose un tarif relativement attractif.

Ne vous moquez pas car beaucoup, comme moi à l’époque, trouvaient cette Solara diablement moderne face à une 305 dont le restylage tardait à venir (il faudra attendre juillet 1982). Son air de famille avec la grande Tagora, possédant en outre le PRV le plus puissant du moment dans sa version SX, lui donnait un avantage certain. Son design a certes un peu vieilli aujourd’hui mais semblait totalement dans le coup au début des années 80. Enfin, avec ses séries spéciales comme la Pullman ou l’Executive, on pouvait presque toucher le luxe du doigt (un peu comme boire un Canada Dry et non de l’alcool, mais peu importe).

La triste carrière d’une voiture méconnue

Pourtant, rien ne se passera comme prévu. La crise issue du krach pétrolier de 1979, suite au renversement du Shah d’Iran, touche de plein fouet PSA qui se trouve dans une situation difficile. Au début pourtant, les intentions étaient là, et Ligier portait haut les couleurs de Talbot sur les circuits de Formule 1. Il ne suffit pourtant pas d’en avoir l’intention, encore faut-il en avoir les moyens et PSA se retrouve vite en situation de quasi-faillite. Rapidement, on comprend que tenir de front trois marques n’est pas tenable. La décision de supprimer Talbot tardera mais les grèves à Poissy n’arrangeront rien, sans parler de la qualité catastrophique en sortie de chaîne. 

On fait aussi des erreurs, notamment en fusionnant les réseaux Peugeot et ex-Simca. Beaucoup partiront à la concurrence, et les Peugeotistes traîneront toujours des pieds pour vendre ou entretenir des Talbot. Certes, la petite Samba (sur base Peugeot 104) est une réussite mais il est déjà trop tard. Dans ce contexte, la Solara ne s’en tirera pas trop mal. Malgré le restylage réussi de la 305, le lancement chez Citroën de la moderne BX (remplaçante des GSA) et la concurrence rude d’une Renault 18 (pour ne parler que des concurrentes françaises), la Solara trouvera tout de même 184 976 clients jusqu’en 1986. Certes, la fin sera difficile, uniquement fabriquée en Espagne et les derniers stocks s’écouleront en bradant à tout va. 

Aujourd’hui, ces voitures ont totalement disparu de la circulation. Il existe bien quelques passionnés de Simca-Talbot qui préservent des modèles, mais il devient rare d’en trouver dans les petites annonces. Cependant, si vous en voyez passer une, n’hésitez pas à sauver l’espèce (pas d’injection, que du carburateur, et un look très 70/80), surtout s’il s’agit d’une Executive, d’une Pullman, d’une SX ou d’une Escorial (série spéciale espagnole).

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