Si l’on vous parle d’une paisible citadine Renault transformée en GT à moteur central, sans doute songerez-vous en premier lieu à la glorieuse 5 Turbo qui, durant la première moitié des années 1980, parvint à réjouir tout autant les amateurs de pilotage que les lecteurs d’Échappement ou d’AUTOhebdo, lesquels suivirent assidûment et de longues années durant les exploits de l’engin sur les routes et les pistes d’innombrables épreuves, en France et ailleurs. Pourtant, et de façon tout à fait inattendue, deux décennies plus tard l’ex-Régie choisit de donner une descendance aussi tardive qu’incongrue à cette bestiole aussi caractérielle qu’attachante. Nous ne nous évertuerons pas ici à déterminer s’il s’agissait ou non d’une bonne idée mais, alors que l’auto fêtera bientôt son premier quart de siècle, il nous a semblé opportun de revenir sur l’itinéraire pour le moins contrarié de cette Clio que d’aucuns persistent à juger inconduisible mais que d’autres vénèrent…
Le marketing, ça peut rendre fou
Paul vous narre par ailleurs l’histoire quelque peu déjantée (au sens figuré) de la plus déraisonnable des R5 — tellement déraisonnable, en somme, que l’auto n’avait en réalité pas grand-chose à voir avec la petite berline à succès du Losange. À l’instar de la Peugeot 205 Turbo 16 apparue quelques années plus tard, la 5 Turbo ne faisait en effet qu’évoquer la physionomie générale du modèle dont elle empruntait l’identité, celle-ci dissimulant une architecture, des aptitudes routières et une vocation sans rapport avec sa matrice. Les plus jeunes de nos lecteurs ne s’en souviennent peut-être pas de l’insolent triomphe commercial de la première R5 (qui, à elle seule, représenta 16 % du marché français en 1980 !), dont le souvenir a longuement hanté les dirigeants de Renault. Si la Clio a immédiatement trouvé son public dès la présentation de sa première génération, la firme de Billancourt et ses concurrents avaient compris dès l’époque de la Supercinq que l’on ne reverrait plus jamais une telle domination ; de la sorte, quand la Clio II prit le relais en 1998, elle trouva sur son chemin une 206 quelque surdessinée mais particulièrement coriace et, comme la 205 en son temps, auréolée par les succès obtenus à son volant par Marcus Grönholm dans le cadre du championnat WRC. Quelque peu desservie par un physique sans doute trop inoffensif, la petite Renault avait probablement besoin, pour retrouver un peu de charisme, d’une variante « porte-drapeau », exclusive et sans équivalent chez ses rivales, porteuse si possible du parfum grisant de la compétition…
Un atout dans la Manche
Néanmoins, on le sait depuis que Céline a énoncé cet aphorisme fameux, l’histoire ne repasse pas les plats et, à la vérité, si la démarche originelle peut paraître comparable entre la 5 Turbo et la Clio V6, les dissemblances entre les deux modèles demeurent nombreuses et significatives. D’abord parce que, contrairement à son aïeule, la Clio à moteur central n’ambitionne pas de courir en championnat du monde des rallyes ; il s’agit dès l’abord, lorsque l’auto est présentée sous la forme d’un concept car lors du Mondial de l’Automobile de 1998, d’une machine destinée à un championnat monotype — et, accessoirement, de valoriser l’image de la version de série. Sont-ce les réactions très positives du public et de la presse spécialisée qui ont encouragé Renault à développer une voiture de route sur cette base avant tout vouée à la course ? Certains historiens se plaisent à le croire…Toujours est-il que TWR, la société du britannique Tom Walkinshaw, est alors missionnée par la firme française afin d’étudier la version routière de la Clio Renault Sport V6 24V (c’est l’appellation officielle de l’auto) puis d’en assurer la production. Le projet se concrétise rapidement et, à l’automne 2000, c’est-à-dire deux ans après la présentation du prototype, la voiture de série est commercialisée au prix de 240 000 francs (soit, pour situer les idées, l’équivalent d’une BMW 325Ci E46 ou d’une Audi TT quattro 225 ch). Trop chère, mon fils ? Pas tant que ça : en découvrant l’objet, même le béotien le plus obtus comprend qu’il ne se trouve pas en présence de la Clio 1.9D de son beau-frère…
Un charmant petit monstre
Ayant conservé la compacité de la Clio « civile », la V6 n’a toutefois rien d’un sleeper et les amateurs de discrétion sont priés d’aller voir ailleurs. À l’opposé par exemple d’une BMW 130i — qui apparaîtra au couchant de la Renault et dont les 265 chevaux sont strictement indécelables par le profane —, la truculente Renault-TWR revendique sans vergogne son typage. Très légèrement plus longue (+ 3 cm) mais sensiblement plus large (+ 19 cm) que ses sœurs de gamme, l’auto ne partage que très peu de composants avec icelles et c’est avec sauvagerie qu’elle jette au visage du badaud médusé sa quête de performances (on se demande ce qu’en penseraient les vertueux possesseurs de Clio V « R.S. Line » hybridées…). Réalisés en composite, la plupart des pièces constituant la carrosserie justifient en partie le prix de vente de la voiture, par ailleurs assemblée de façon quasi-artisanale et, comme on l’aura compris, en très petite série. Dans le dos du conducteur et de son passager, la banquette arrière a bien évidemment disparu au profit du V6 « L7X », développé conjointement par Renault et PSA pour prendre la suite du valeureux PRV. Apparu en 1996 et conçu « à la française » — comprenez à l’économie —, ce moteur a certes subi une cure de fortifiants pour équiper la Clio sommitale, mais celle-ci s’avère limitée : dans le contexte de l’époque, ses 230 ch n’ont rien de particulièrement impressionnant mais il est vrai que les quelque 1300 kilos de l’ensemble déterminent, en théorie du moins, un rapport poids/puissance plutôt favorable.
À quoi elle sert ?
S’ajoute à cela la satisfaction intellectuelle que peut procurer à elle seule l’existence d’une telle auto, à un moment où le consternant manque d’ambition des constructeurs français, face à l’implacable offensive germanique, devient chaque jour plus flagrant. Malheureusement, c’est à cela que se résument les motifs de contentement car, disons-le tout net, telle qu’elle apparaît au moment de sa naissance, la Clio V6 laisse perplexe plus d’un observateur. Inabouti dans son concept même — à titre d’exemple, la finition est révoltante de médiocrité pour une voiture de ce prix, ce qui esquinte la crédibilité de l’engin dès qu’on ouvre une portière —, le modèle déçoit aussi par son manque de polyvalence, les deux boîtes à gants proposées en remplacement du coffre à bagages pouvant éventuellement faire sourire l’acquéreur potentiel s’il est de bonne humeur. Mais là n’est pas le plus préoccupant ; en termes de praticité et même de qualité perçue, on peut pardonner beaucoup à une voiture de sport et même à une GT, à condition que le châssis et la mécanique apportent le plaisir attendu au conducteur, voire au pilote. Or, la mise au point de la Clio ainsi gréée laisse trop à désirer pour que la clientèle-cible puisse s’estimer convaincue. Incapable de rivaliser avec une compacte surmotorisée du type Golf V6 ou Audi S3 en termes de confort et de facilité d’usage, la Clio six-cylindres se révèle par surcroît bien trop délicate à maîtriser par le conducteur moyen, jusqu’à en devenir dangereuse dans certaines circonstances !
Crise identitaire
Bien sûr, ceux qui disposent des compétences requises pour exploiter un engin aussi exigeant nous rétorqueront qu’au demeurant, une telle auto n’a pas été conçue pour les conducteurs du dimanche et que la 5 Turbo elle-même n’était pas particulièrement facile à contrôler. Mais c’est précisément là que le bât blesse : alors que la R5 exhalait avant tout les remugles de la course, Renault a incontestablement raté le positionnement de sa Clio, présentée, avec une certaine inconséquence, comme un véhicule de prestige susceptible de concurrencer valablement les Porsche, Audi ou BMW de puissance comparable, sans en posséder ni l’efficacité routière, ni la polyvalence, ni le prestige, ni même les performances… À cette aune, et malgré une salutaire et profonde remise à niveau opérée en 2003, cette fois à Dieppe par les ingénieurs de Renault Sport, l’échec était hélas prévisible. Devenue tout à fois plus puissante (avec un gain de 25 ch), plus équilibrée et plus facile à apprivoiser grâce à un travail approfondi sur le châssis (empattement légèrement accru, nouvelles géométries de suspension, élargissement des voies, entre autres), la Clio V6 « phase 2 » — bénéficiant en parallèle des évolutions stylistiques du reste de la gamme — est, en quelque sorte, apparue telle qu’elle aurait dû naître. On pourra légitimement regretter les années perdues en raison d’une conception erratique mais, de toute façon, les caractéristiques mêmes de la voiture la rendaient difficile à expliquer (et donc à vendre) à une clientèle qu’il était difficile de détourner des spécialistes d’outre-Rhin. Aujourd’hui comme hier, il lui reste donc la tribu clairsemée de ceux que la frime indiffère, qui savent vraiment conduire (ça tombe bien, l’auto est dépourvue d’ESP !) et que la combinaison moteur central/empattement court n’effraie pas. Si vous en êtes et que vous mettez la main sur l’un des 2864 exemplaires produits, gageons que vous ne serez pas déçu !
Texte : Nicolas Fourny