Citroën GS 1220 : Des chiffres et des lettres
La « grosse » GS, c’était la 1 220 (en fait 1 222) — prononcer plutôt « douze-cent-vingt », c’est plus technique que le « mille-deux-cent-vingt » médiéval — la « petite » GS restant l’historique 1 015, 207 cm3 faisant la différence, un tiers de 2cv6. La GS 1 220, qui plus est Club, voire à « convertisseur » devenu C-Matic, répétait partout sur sa caisse qu’elle n’était pas la même GS. Elle a traversé la décennie 70 et bien malin celui qui saurait en croiser une aujourd’hui dans le trafic. Pourtant, sous cette motorisation, elle fut la plus cohérente et la plus produite des GS, avant la mue GSA.
Le Salon de l’Auto, porte de Versailles, du millésime 1970 était alléchant. Pensez, Simca-Chrysler présentait sa descendante des franco-américaines Vedette, mais sans V8, sinon de l’Ariane, les 160 et 180 plutôt proches des Taunus et Consul de chez Ford et des Rekord de chez Opel. Chez Renault, on allait voir la R12 Gordini, et chez Citroën, on n’en finissait pas d’écarquiller les yeux devant la SM et la GS, deux univers antagonistes et les raisonnables appréciaient les mutations de l’ID avec les DSpecial remplaçantes de l’ID 19 et DSuper de l’ID 20. Entre ces deux mondes et les satellites du bicylindre décliné de 2 chevaux, devenus 4 et 6, comme les Dyane, en Ami devenue 8, ou la Méhari de Roland de la Poype, un objet singulier destiné à devenir familier nourrissait la curiosité du chaland en quête d’une automobile. L’assuré de sa situation allait vers la voiture neuve, le timide, le prudent, ou l’impécunieux vers une « bonne petite occase ». Alors la GS Citroën en « occase », il faudrait attendre un tantinet. En 1970, l’industrie automobile française comptait encore quatre grandes marques généralistes et avait produit 2,75 millions de véhicules, loin du pic de 1990 à plus de 3,7 millions de véhicules, chiffre réduit de 40 % à la fin de l’actuelle décennie. Le monde automobile a changé à force de concentrations, délocalisations, division internationale du travail. Alors, au Salon 1970, on allait voir une voiture familiale qui montait et qui descendait comme la si célébrée DS et la Citroën SM qui émerveillaient. C’était l’époque où un constructeur automobile pouvait prendre des risques industriels insensés comme lancer un produit à la préparation inachevée au risque de sa propre perte.
Au Salon de l’Auto d’octobre 1972, le dernier d’avant le choc pétrolier d’octobre 1973, puisque salon et choc se déroulèrent alors simultanément, Citroën présenta la GS de la maturité, de l’équilibre technique que l’on reconnaissait à un monogramme collé sur le haut de chaque aile avant, « GS 1220 » sur fond noir répété sur l’ouvrant de la malle à droite et prolongé par la mention « Club » sur fond aluminium brossé pour le modèle flatteur et mieux équipé. Les voitures devenaient bavardes, à proclamer leur codification et ne gardant, dans ce cas, qu’une discrète mention « Citroën » sur le bandeau de plastique noir au pied de la lunette arrière.
Le moteur de presque un litre et quart rend la GS pertinente
Quatre cylindrées approchantes ont mû la GS et sa transformation GSA depuis la 1 015 cm3 (1970-1977) jusqu’à la 1 299 cm3 (1979-1986), passant de l’une à l’autre, secondées par le bloc 1 130 cm3. Au milieu, le moteur 1 220 cm3 installé dans les GS de 1972 à 1979 définit une automobile familiale des années 1970. La concurrence se situait dans un registre analogue de cylindrée, de 944 à 1294 cm3 pour la Simca 1100 (dont le 1 118 cm3), 1 288 et 1290 cm3 pour la majeure partie des Peugeot 304 et 1 289 cm3 pour les Renault 12. Cette litanie des cylindrées montre à quel point, depuis la massification de l’automobile contemporaine, on se contentait de peu pour l’usage domicile-travail ou école et les vacances du temps des quatre semaines de congés payés. La GS 1 220 cm3, produite à plus de 40 000 exemplaires à l’automne-hiver 1972, vit sa production atteindre son pic en 1973 à plus de 158 000 exemplaires, l’étiage s’installant entre 130 000 et 140 000 unités produites entre 1976 et 1978 après la cassure de 1974-1975 affectant le marché automobile dans son ensemble. À titre de comparaison, Citroën a produit près de 850 000 véhicules en 2018, dont près de 200 000 C4 et près de 400 000 C3 situables dans la lignée imaginée des GS.
La motorisation 1 220 cm3 couvre plus de 60 % de la production des GS et 46 % de l’ensemble GS/GSA, tous types confondus, berlines, breaks et modèles entreprise. Elle est donc la GS par excellence, discrète sous ses finitions diverses. La reconfiguration du moteur lui apporte une efficience par une légère augmentation de couple à un régime réduit d’un souffle abaissant aussi la puissance au litre. Toute considération dont ne devait pas se préoccuper l’acquéreur et dont le vendeur ne devait guère faire un argument commercial. Mais l’automobile, par ailleurs légère comme ses concurrentes françaises à moins d’une tonne, semble plus homogène de fonctionnement, atteignant quelque 150 kilomètres par heure et un kilomètre départ arrêté en un peu moins de 38 secondes, soit 2 secondes de moins que la 1 015.
En 2018, une C4 PureTech essence 1,2 (avec un quart de V12 cubant 1 199 cm3 contre 1 222 cm3 pour la GS en question) délivrait 110 ch et pesait 1 200 kg, un gain de puissance de près de 55 % pour un surpoids d’un tiers. Autrement dit, un monde. Mais, comparaison n’est pas raison puisque la configuration de ces moteurs est différente à presque un demi-siècle de distance. Au temps de la GS, on usait d’un moteur boxer, placé en porte-à-faux de l’essieu avant, refroidi par air. Il faut regarder chez Subaru de nos jours pour trouver une telle configuration mécanique à plat en automobile, favorisant l’abaissement du centre de gravité, l’équilibre du moteur et la tenue de route du véhicule. La presse automobile vantait, lors des essais, le freinage et louait évidemment la suspension hydropneumatique à correcteur d’assiette. Cette auto familiale concentrait bel et bien une somme de solutions techniques à la croisée des chemins de Panhard et Citroën avec l’usage du boxer par les deux constructeurs depuis l’après-guerre, augmenté de la suspension propre à Citroën, le tout freiné des quatre fers par des disques. La fluidité se percevait sans que le quidam sache à quoi cela corresponde, le fameux sCx dont Citroën allait faire le nom de baptême de sa grande voiture en 1974. La réussite de Citroën avec la 1 220 tient en cette maturation technique sans attenter au dessin originel de l’auto, l’alourdir et le rationaliser par le passage au hayon, ce qui fut fait avec la GSA. La praticité était dévolue à l’élégant break, présenté en septembre 1971 avec le moteur 1 015, dont un détail confirme le soin apporté au dessin : la lunette du hayon est recourbée sur le haut, comme un girafon fixe établissant la transition entre le toit et l’ouvrant dans sa totalité.
Le dessin reste lisse malgré le format contraint
La matrice instituée par le dessin de Paolo Martin, daté de 1967, proposait l’interprétation contemporaine de Pininfarina pour la BLMC 1100, un autre dessin plus fin et élancé de BLMC 1800 aboutissant au projet CX, les deux grâce à l’interprétation subtile de l’équipe de Robert Opron. Le principe restait « citroënien », une berline compacte à malle mais lunette fixe, comme sur la 2 chevaux 1966 et l’Ami 8. Une berline 6 glaces comme du temps de la B14 (1927), homogène, vouée au voyage hexagonal et non à une fonction aussi utilitaire comme le proclame un hayon. La GS, dessinée avec soin et souci aérodynamique compensant la modicité de la motorisation initiale, se rassemblait, s’unifiait par son gain de 20 % en cylindrée. Sa face avant avait été contrainte par le dispositif d’alimentation, mais la grille de calandre à grandes alvéoles n’était pas sans rappeler les nids d’abeilles des Miura (1966) et Marzal (1967) italiennes, géométrisme continué par l’effet de grandes surpiqûres croisées sur le skaï des panneaux intérieurs de portes. Le format court n’est pas propice à la finesse pour un véhicule à quatre portes, mais le lissé de la caisse élancée par l’arche juste échancrée de roue arrière, coiffée d’une surface vitrée périphérique, résolvait la question. La courbure douce des portières prenait bien la lumière, un méplat à la ceinture de caisse distribuait les accessoires, poignées de portières chromées, trappe à essence sur le côté droit, monogramme sur chaque aile avant. On la retrouvait en un dernier pliage à l’avant pour faire la transition avec le capot qui venait s’éteindre sous le montant central. Le méplat reprenait le montant arrière à la pointe de custode, fluidité ignorée sur le dessin de la M35-Heuliez (1969), mais bien dans le tracé du projet BLMC 1100. Ce dessin ne supporta pas le repentir, le fameux restyling du jargon actuel, à commencer par des baguettes superfétatoires en bas de caisse. Au passage, la GS perdit ses poignées intérieures en « escargot » issues de l’Ami 8 au profit de tirettes banales mais certainement plus facilement utilisables, un premier renoncement aux arts appliqués. Les GSX rendues visuellement plus vives par leurs couleurs acidulées étaient dépourvues de la bimbeloterie confinant au kitch, mais surjouaient leur côté « chevrons sauvages » avant l’arrivée de Monsieur Séguéla. Le noir mat remplaçait le fini chromé des entourages de baies et de la calandre munie de projecteurs additionnels façon Simca 1100.
En revanche, les critiques pleuvaient sur la finition intérieure, estimée contradictoire, de l’ensemble dont on regrettait qu’il ne tînt pas ses promesses une fois à bord. Pourtant, le dessin du meuble de bord, en plastique véritable mais « moussé », conservait cette parenté avec celui de la DS jusqu’en 1970 et de la SM. On ne parlait guère d’ergonomie, mais le duo GS (1970) et CX (1974) distribuait les dispositifs de conduite, certes selon des soucis de praticité mais aussi de cohérence visuelle, de composition, répétant à satiété la volonté d’exonérer l’espace de toute présence incongrue. La poignée de frein de service, immédiatement à la droite du volant, semblait vouloir vérifier la sentence « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place ». La GS perdit sa distinction stylistique intérieure en 1976 par l’abandon de la loupe tachymétrique et du compteur-tours en quart de rond portant sa courbe en diagramme. Cette année-là, Citroën produisit plus de 130 000 berlines et 37 000 breaks 1 220. N’était l’insuffisante qualité de l’aménagement intérieur, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec le dessin et dont on se souvient qu’elle n’était guère de meilleur aloi chez la concurrence, cette auto appartenait à un registre stylistique d’un troisième type face à ses trois concurrentes françaises, les traditionnelles berlines à trois volumes Peugeot 304 et Renault 12 et la compacte Simca 1100 à hayon. Leur encombrement général les associait, 4,12 m pour la GS, soit 2cm de moins que la 304, et aux deux extrémités, l’étirée R12 mesurant 4,30 m et la râblée Simca 1100 à 3,94 m.
Une voiture-cible pour la classe moyenne montante des années 70
Dans ce monde-là, on désignait son équipement automobile par la classification fiscale. La GS 1 220 était la nouvelle 7 ch Citroën, la presse d’alors suivant cette nomenclature fiscale. Il est vrai que de 1956 à 2001, l’automobiliste accomplissait son devoir automnal chez le buraliste pour s’acquitter de la vignette. La GS appartenait à la catégorie B (moins de 5 ans, 5 à 7 chevaux) et l’on rapportait un serpentin vert vif en 1972-1973 sur le pare-brise.
Au 31 janvier 1973, le SMIC horaire établi à 4,64 francs demandait l’équivalent de 3 220 heures de travail, soit 80 semaines de labeur pour accéder à la propriété d’une GS 1 220 Club, « tarif clés en mains », époque où le prix du litre d’essence ordinaire atteignait 1,69 francs. Autrement dit avec une heure travaillée, on pouvait s’offrir presque 3 litres d’essence, soit moins de la moitié de la consommation d’une 1 220 au kilomètre. Le salaire net moyen d’alors chez les professions intermédiaires, nettement supérieur au SMIC, approchait 2 000 francs mensuels. C’était la catégorie cible de la GS 1 220 Club (15 945 francs) et des berlines flatteuses comme la Simca 1100 Spécial (14 979 francs), la Renault 12 TS (15 542 francs) ou la Peugeot 304 S (16 054 francs). C’était du côté de ces sociotypes que l’on vit le plus de GS 1 220, couples stabilisés professionnellement, à deux salaires, souvent dans la fonction publique et énonçant son intérêt pour une modernité distinctive de leur registre. Mais comme le paysage automobile traduit des mouvements du paysage social, l’offre alla croissante et la GS 1 220 rencontra une rude concurrence au cours de la deuxième moitié de la décennie, perturbant son positionnement commercial. Les Renault 14 (1976) et 18 (1978), les Autos similaires en vente