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Peugeot 404 berline Injection : quand les notaires se dévergondaient

Par Nicolas Fourny - 31/12/2024

« La 404 à injection affichait en toutes lettres cette caractéristique sur sa carrosserie, telle une promesse de vélocité et de plaisir de conduite »

Chacun connaît les vertus typiques de la berline 404. Abrités sous les charmants détails d’une ligne qui a depuis longtemps quitté les rivages de la désuétude pour devenir un classique, sa solidité, sa fiabilité et le sérieux apporté à sa conception comme à sa fabrication ont édifié la réputation d’une automobile aimée de beaucoup d’entre nous. D’un classicisme revendiqué, sa fiche technique n’a pourtant pas toujours incarné la pondération ni la prudence dans l’innovation que l’on associe volontiers au Peugeot d’il y a soixante ans. Ainsi, dès l’automne de 1962 – c’est-à-dire bien avant les trois autres constructeurs français – la familiale de Sochaux s’équipa-t-elle d’une injection d’essence qui allait profondément transformer le typage du modèle, délaissant le terne prosaïsme des honnêtes pères de famille pour s’en aller réveiller les bas instincts et la soif de vitesse de notables provinciaux soudainement transformés en play-boys. Quand on y pense, c’est fou ce que l’on peut obtenir avec quelques chevaux supplémentaires, des chromes judicieusement répartis et un peu de cuir…

On n’était pas là pour rigoler

Bon, je dois bien le reconnaître, l’usage du terme play-boys dans l’introduction de cet article était sans doute un peu excessif, la plupart des conducteurs de 404 ressemblant tout de même davantage à Bernard Blier qu’à Warren Beatty. Pour autant, l’apparition de la variante dénommée « Super Luxe », à la fin de 1960, avait déjà représenté un jalon essentiel dans la longue histoire des familiales du Lion, jusqu’alors abonnées à un jansénisme de bon aloi, sous le capot comme dans l’habitacle – sans parler de liaisons au sol à la définition un peu rancie. Chacune en son temps, les 203, 403 puis 404 avaient su rassurer une clientèle peu soucieuse de suivre le Quai de Javel dans ses élucubrations techniques (pas forcément bien maîtrisées) et qui n’avait jamais été tentée non plus par le lymphatisme décourageant de la Renault Frégate. Moteurs robustes mais dépourvus de toute sophistication, transmission sempiternellement assurée par des roues arrière dépendant d’un essieu lugubrement rigide, freins à tambours à l’avant comme à l’arrière, on n’était visiblement pas là pour rigoler et les hédonistes étaient priés d’aller voir de l’autre côté des Alpes (chez Alfa Romeo par exemple) pour goûter aux joies du double arbre, des performances avantageuses et des carrosseries suggestives. À cette aune, il est savoureux de noter que la berline 404 de base était officiellement baptisée « Grand Tourisme », ce qui ne manquait pas d’optimisme étant donné les prestations objectives du brave quatre-cylindres (bloc fonte, culasse en alu) qui descendait plus ou moins directement de la 203…

Sus à la DS !

Lorsqu’on le considère depuis notre début de XXIe siècle abreuvé de surenchères techniques en tous genres, le système Kugelfischer ressemble un peu à une ébauche prometteuse mais surannée et, de fait, il allait encore falloir trois décennies à l’injection pour avoir définitivement la peau du carburateur. Il s’agissait bien sûr d’un système strictement mécanique (l’électronique Bosch n’allait apparaître que six ans plus tard sur l’anodine Volkswagen 1600 TL), mais les progrès par rapport au groupe 404 de base n’étaient pas niables : pour une cylindrée inchangée, la puissance passait de 72 à 85 ch SAE. Dès lors – et surtout à partir de l’année-modèle 1965, à partir duquel les ressources du moteur se renforcèrent encore, atteignant désormais 96 ch –, il n’est pas exagéré d’affirmer que, la variante Diesel mise à part, la berline Peugeot présenta deux factures bien distinctes, dans tous les sens du terme : il y avait la 404 « carbu », relativement abordable, solide, sobrement équipée et dont la simplicité mécanique rassurait les réfractaires à la nouveauté ; et puis l’Injection, qui affichait en toutes lettres cette caractéristique sur sa carrosserie, telle une promesse de vélocité et de plaisir de conduite – phraséologie inédite pour le Lion de ce temps-là. Les plus anciens d’entre nous se rappellent certainement ces réunions familiales interminables au cours desquelles les citroënistes et les peugeotistes s’affrontaient dans le cadre de joutes verbales qui ne s’arrêtaient jamais vraiment, et qui permettaient à chacun d’affirmer péremptoirement que sa bagnole était la meilleure, à l’aide d’arguments généralement fumeux. Et, jusqu’à ce que la brillante Renault 16 TS vienne troubler le jeu, il faut bien reconnaître que c’étaient la 404 et la DS – ou plutôt l’ID, aux tarifs plus comparables à ceux de la Peugeot – qui suscitaient les passions, les deux modèles ayant vu leur niveau de performances s’élever lentement au fil des millésimes et s’adressant à des clientèles relativement proches. Dans ce contexte, l’injection arriva à point nommé pour que le 1618 cm3 sochalien puisse rivaliser sans aucun complexe avec le gros 1911 cm3 de l’ex-Quai de Javel, poussé à 83 chevaux dès 1961. Exclusivement disponible en combinaison avec la finition « Super Luxe » dans un premier temps, la débonnaire franc-comtoise n’allait pas tarder à rencontrer une certaine Pallas sur son chemin, la Citroën recourant peu ou prou aux mêmes recettes que sa concurrente pour attirer les sybarites.

Du « populuxe », mais de qualité

Et ces recettes, on les connaît : chez Peugeot, elles ont longtemps symbolisé la frontière qui séparait le tout-venant du luxe. Un luxe populaire, bien entendu – il n’était naturellement pas question de concurrencer Jaguar ou Mercedes –, mais un luxe honnête, sans faux bois (et sans vrai bois non plus, d’ailleurs), qui ne se démarquait de l’ordinaire que par quelques détails ponctuels mais authentiques : du vrai cuir sur les sièges, de subtiles touches de chrome, des enjoliveurs de roues plus élaborés, etc. En revanche, inutile de s’attendre à trouver une direction assistée ou un climatiseur, les vitesses se passaient toujours au volant et le bloc instrumental n’était pas mieux loti que sur la version GT. Même si ses catalogues mettaient volontiers en scène la 404 ainsi gréée dans des propriétés patriciennes, le Lion demeurait un constructeur populaire, qui ne s’aventurait que très ponctuellement au-delà de son territoire naturel. Ce qui n’empêchait pas l’auto de satisfaire les conducteurs épris de dynamisme et de rapidité ; dans son ouvrage La Peugeot 404, la Lionne de Sochaux (éditions ETAI), Xavier Chauvin rapporte des mesures de performances d’époque qui permettent de situer le débat, évoquant un article d’Alain Bertaud dans L’Action Automobile : « La 404 obtient 18,8 secondes aux 400 mètres départ arrêté et 35 secondes aux 1000 mètres départ arrêté. La DS 19 est largement surclassée (21,3 et 38,6 secondes), tandis que la Sochalienne fait pratiquement jeu égal avec la BMW 1600 (19,2 et 36,2 secondes) et la redoutable Alfa Romeo Giulia TI (18,4 et 34,6 secondes). » Sans avoir l’air d’y toucher, la Peugeot s’était rapprochée de l’élite et ce n’était pas un mince exploit, même si les qualités routières de la 404 n’étaient pas toujours à la hauteur de sa mécanique (on songe en particulier au freinage, talon d’Achille bien connu des amateurs du modèle).

La plus singulière des 404

Bien moins cotées que le coupé et le cabriolet semblablement motorisés, les berlines Injection en état de prendre la route ont globalement disparu et, parmi elles, c’est bien sûr la « Super Luxe » qui s’avère la plus désirable. Le scénario est malheureusement bien connu : dans les années 70 et 80, ces voitures ont été ferraillées par dizaines de milliers avec une absence de scrupules qui a profondément décimé l’espèce. Seuls quelques amateurs éclairés ont eu la bonne idée de mettre à l’abri certains exemplaires, voire même de les restaurer dans les règles de l’art. De surcroît, l’injection Kugelfischer n’a pas très bonne réputation : les professionnels capables de l’entretenir ou de la remettre en état ne sont pas nombreux et cela a incité bon nombre de collectionneurs à se cantonner aux versions à carburateur, moins gratifiantes à conduire et un peu plus exigeantes en carburant, mais aussi moins complexes à entretenir. Il n’en demeure pas moins que l’engin demeure diablement séduisant, avec cette personnalité un peu disjointe – tantôt flirtant avec l’opulence et la sportivité, tantôt se recroquevillant dans la rusticité de ses origines. De la sorte, le pilote exigeant pestera contre l’implantation de la colonne de direction, dictant une position de conduite qui rappelle fâcheusement celle d’une fourgonnette. L’essieu arrière rigide n’est pas avare de sautillements en tous genres dès lors que le revêtement n’est pas parfaitement lisse et, sur le mouillé, l’auto peut à la fois se montrer sous-vireuse à l’approche des limites, avant (si l’on pousse la plaisanterie un peu trop loin) de basculer avec brutalité dans un survirage difficile à contrôler pour un conducteur moyen. D’un autre côté, les esprits téméraires pourront considérer la 404 comme une excellente école de pilotage et l’accastillage de la version « Super Luxe » s’éloigne assez franchement de l’austérité usuelle de la maison ; séjourner à son bord peut s’avérer très agréable, d’autant que la voiture se prête de bonne volonté à tous les styles de conduite, du plus paisible au plus entreprenant. Tout en elle énonce le roman sochalien des sixties, écartelé entre une circonspecte montée en gamme et la préservation de ses fondamentaux. Les charmes de l’auto sont nombreux et des amateurs bien trop jeunes pour qu’elle ait pu promener leurs enfances y cèdent encore aujourd’hui. Si vous êtes du nombre, de longs kilomètres de bonheur vous attendent !

1618 cm3Cylindrée
96 chPuissance
160 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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