Citroën GSA : la Citroën qu’il vous faut !
Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’histoire des Citroën à suspension hydropneumatique (les Hydroën, pour reprendre la formule à la fois juste et poétique de notre cher et regretté Thierry Astier), la GSA arrive rarement en tête de liste dans les fantasmes des collectionneurs. Souvent vilipendée en raison d’un design abâtardi et veuf des subtilités de la GS originelle, modèle de transition destiné à faire patienter la clientèle et les concessionnaires en attendant la BX, la petite familiale chevronnée a, de surcroît, longtemps traîné une image tout à fait injuste de « voiture de vieux » qui lui colle encore aux pare-chocs dans certains milieux. Au lendemain de son quarantième anniversaire, il est grand temps de réhabiliter une auto dont la fiche technique et les qualités routières méritent mieux que le purgatoire dans lequel beaucoup continuent de la reléguer.
Dans Une époque formidable, excellent film de et avec Gérard Jugnot, ce dernier incarne un cadre supérieur victime d’un licenciement qui va provoquer sa dégringolade de l’échelle sociale, jusqu’à le transformer en clochard. Symbole de sa déchéance : un soir, ayant dû revendre son break Volvo, le voici qui est contraint de rentrer chez lui en GSA. Cette scène, tournée au début des années 1990, en dit long sur l’image qui était celle de la voiture à l’époque : une haridelle ringarde, tout juste bonne à véhiculer des nécessiteux ou à servir de reprise subventionnée pour l’achat — soyons cruels — d’une Opel Astra ou d’une Ford Escort neuve, avec sièges en velours, direction assistée et barres de renfort dans les portières, c’est-à-dire ce dont l’automobiliste moyen pouvait alors rêver de mieux. Il faut dire qu’à ce moment-là, l’obsession de la fameuse qualité perçue avait déjà pris le pas sur toute autre considération. Les nombreuses excentricités de la Citroën, ses particularismes conceptuels et la désinvolture de sa finition dessinaient le portrait d’une auto trop singulière pour être attirante, et dont il était bien vu de se moquer. Et pourtant…
La GSA eut droit elle-aussi à une version breakA, comme améliorée
En 1979, le segment des familiales s’avérait déjà fort concurrentiel et les nouveautés y étaient fréquentes, en France comme ailleurs. En particulier, le succès très significatif des Peugeot 305 et Renault 18 avait contribué à renouveler et à moderniser l’offre. Bien sûr, ces deux berlines ne constituaient, en réalité, que de profondes actualisations de plateformes déjà anciennes, voire carrément périmées dans le cas de la Renault, dont l’essieu arrière rigide et les suspensions aux déhanchements cartoonesques réjouissaient davantage les amateurs de folklore que les amoureux du pilotage. Il n’empêche qu’en comparaison, la carrosserie de la GS, lancée près d’une décennie plus tôt, avait pris un sérieux coup de vieux, sans doute moins en raison de ses caractéristiques réelles que de l’usure du temps.
Gros succès commercial, la Citroën avait probablement été « trop vue » et, en dépit du restylage intervenu en 1977, son design apparaissait désormais daté, rattaché à une philosophie esthétique remontant à la fin des années 1960. Pourtant, cinquante ans après, sous l’œil des amateurs d’aujourd’hui, débarrassé des vaines préoccupations liées à la mode, la justesse de son dessin éclate au grand jour. La remarquable finesse des montants de carrosserie et la grande luminosité qu’ils autorisent, l’efficacité aérodynamique de l’ensemble et les nombreux détails et innovations typiques de la marque (roues arrière semi carénées, pare-chocs arrière solidaires de la malle, volant monobranche, etc.) ont dorénavant retrouvé l’admiration qui leur revient.
Néanmoins, et en dépit d’un contenu technique extrêmement flatteur pour l’époque, s’agissant d’une voiture d’à peine plus de quatre mètres de long — suspension hydropneumatique, quatre freins à disque (in board à l’avant), train avant avec pivot dans l’axe — l’auto n’était certes pas exempte de défauts et l’opération GSA, bien que réalisée avec un budget notoirement limité, avait pour but d’en corriger le plus flagrant, nous voulons parler de l’absence de hayon, de moins en moins acceptable sur une carrosserie bicorps à l’orée des années 80. S’y ajoutèrent des aménagements sans doute plus discutables ; ainsi, la planche de bord au dessin aérien fit-elle place à un mobilier nettement plus torturé, comme si les stylistes avaient souhaité tourner résolument le dos à l’insouciance des Trente Glorieuses, c’est-à-dire à l’élégance et à la pureté évocatrices de temps révolus, au profit d’un futurisme à la fois pessimiste et naïf, abritant, toutefois, de solides préoccupations ergonomiques.
Ainsi, le tableau de bord retrouvait-il les compteurs « pèse-personne », pourtant abandonnés depuis deux ans ; allant désormais par paire, comme sur la CX, ils se trouvaient enchâssés au sein d’un ensemble dominé par une silhouette de la voiture, celle-ci étant cernée par divers témoins d’alerte. Ce dispositif était censé attirer plus efficacement l’attention du conducteur en cas de problème mécanique mais, à la vérité, il a probablement réjoui avant tout les passionnés de Star Trekplutôt que les fanatiques de l’ingénierie aéronautique. En outre, les commodos traditionnels avaient disparu. À leur place trônaient deux satellites très représentatifs de ce dont le bureau d’études Citroën était encore capable à ce moment-là — soient des équipements tout d’abord déroutants, puis indispensables à l’utilisateur, leur rationalité et leur praticité ne se révélant qu’à l’usage… Pour le reste, les habitués de la GS retrouvèrent les marottes auxquelles ils étaient accoutumés, de la poignée centrale commandant le frein à main à l’emplacement absurde de l’autoradio, sans oublier la manette permettant d’ajuster la hauteur de la suspension.
A, comme atypique
Par ailleurs, en dehors de la greffe bienvenue d’une cinquième porte, l’aspect extérieur de la GSA, avec le recul du temps, s’apparentait quand même, pour l’essentiel, à un replâtrage maladroit réalisé à grand renfort de plastique noir et de bannissement quasi généralisé des chromes (à la surprenante exception des enjoliveurs de roues des versions Pallas jusqu’en 1981). Les nouveaux pare-chocs ont joué un rôle prépondérant dans l’alourdissement des formes mais, il convient de le reconnaître, le coefficient de pénétration dans l’air fut l’un des principaux bénéficiaires du restylage : avec une valeur inférieure à 0,32 sur la X3, la Citroën ridiculisait tout bonnement la totalité de ses rivales — lesquelles étaient encore loin de pouvoir soutenir la comparaison en termes de comportement routier comme de confort. Indéniablement, l’hydropneumatique maison conservait alors une nette longueur d’avance et il allait falloir attendre une bonne décennie pour que les réalisations classiques puissent la rattraper.
Car, bien entendu, la GSA conservait toutes les spécificités qui avaient caractérisé sa devancière et qui lui permettaient d’offrir à ses disciples une expérience de conduite strictement introuvable ailleurs. Le ronflement caractéristique du quatre cylindres à plat à refroidissement par air, l’impavidité dont l’auto faisait preuve vis-à-vis des intempéries, les vitesses qu’il était possible d’atteindre en virage — et en toute sérénité — ainsi que l’atmosphère générale du bord donnaient au conducteur comme à ses passagers l’impression délicieuse de ne pas voyager dans le même univers que leurs malheureux semblables, contraints de se coltiner d’épuisants et dangereux déplacements au volant de machines forcément moins sûres et moins confortables.
Moins sûres, moins confortables, peut-être, mais souvent mieux motorisées. Parce qu’il faut bien l’avouer, le flat fourCitroën, pour valeureux qu’il fût, souffrit jusqu’à sa disparition d’un déficit de puissance de plus en plus criant au fil des années. Brillant dans sa conception, mais plutôt souffreteux en comparaison des réalisations de la concurrence, l’appareil ne fut jamais en mesure de dépasser les 65 chevaux, une valeur ridicule si on la compare, par exemple, à ce dont Alfa Romeo était capable en partant du bloc de la « Sud » — une voiture à laquelle la GS a souvent été comparée, à juste titre. Cette lacune, d’autant plus regrettable compte tenu des qualités du châssis, a sans doute joué un rôle non négligeable dans l’édification d’une image faussée par un certain philistinisme, assimilant le modèle à un lugubre déplaçoir pour retraités ; ce qui en dit long sur l’ignorance d’une partie du public, n’ayant évidemment pas pris la peine d’en prendre le volant…
À, comme à redécouvrir
…alors qu’il suffit de parcourir les premières sinuosités d’une route de campagne au bitume rapiécé pour percevoir les innombrables sources de satisfaction dispensées par un exemplaire entretenu et chaussé comme il devrait l’être. À l’heure où la DS, la SM et, dans une moindre mesure, les premières GS voient leurs cotes respectives dépasser les possibilités d’un nombre croissant de collectionneurs, la GSA mériterait davantage d’attention. D’abord en raison de son intérêt technique, ensuite parce que c’est la dernière familiale Citroën de l’ère Michelin et enfin parce qu’elle ne réclame qu’une poignée de cerises pour entrer dans votre garage : trois à quatre mille euros peuvent largement suffire pour acquérir une voiture en bel état.
À l’évidence, nombreux sont ceux qui persistent à considérer qu’elle est moche — formulation n’ayant pas plus de signification que son contraire, étant donné le niveau de subjectivité qu’elle recèle. De fait, il s’agit bien d’une Citroën, donc d’une machine incapable de susciter des sentiments tiédasses : aux hommages de ses thuriféraires répondent les vociférations moqueuses de ses détracteurs. Mais qu’importe, au fond ? À l’instar de ses aînées, la GSA est une voiture cérébrale, vivante, qui implique, de la part de son conducteur, une sincère indifférence vis-à-vis de l’opinion dominante et des courants moutonniers. À vous de savoir les dépasser : c’est le prix — modique — dont il faut s’acquitter pour pouvoir profiter d’une authentique voiture d’ingénieurs. À tout prendre, c’est toujours mieux qu’une brouette approximative élaborée sous le joug du dieu Marketing…
Texte : Nicolas Fourny