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Citroën C6 : destin tragique pour un possible chef-d'oeuvre

Par Nicolas Fourny - 30/09/2023

« Aussi captivante à l’arrêt qu’en mouvement, ne ressemblant à aucune autre automobile contemporaine, son charisme demeure intact »

Alors que la DS, la CX puis la XM ont, chacune à leur tour, longuement végété dans l’univers peu reluisant des bagnoles d’occasion avant de susciter l’intérêt des passionnés, la C6 a ceci de particulier que, très peu de temps après l’arrêt de sa fabrication, un petit groupe de citroënistes avisés l’ont transformée d’emblée en automobile de collection (on en a même vu un exemplaire mis en vente chez Artcurial). Ceux qui la conduisent aujourd’hui, une décennie après sa disparition du catalogue Citroën, semblent ainsi appartenir à une peuplade d’automobilistes viscéralement attachés aux singularités de leur machine et capables de la défendre bec et ongles contre ses contempteurs – lesquels ne sont pas rares, qu’il s’agisse d’anciens propriétaires lassés des fantaisies électroniques de l’engin ou de philistins spécialisés dans le french bashing. Tout à la fois voiture d’usage (on en connaît qui s’en servent chaque jour que Dieu fait) et objet de collection, la dernière des grandes Citroën ensorcelle les uns et exaspère les autres, traînant dans son sillage autant de sentiments sincères que de préjugés. Alors, faut-il céder à ses charmes ? Telle est la question à laquelle nous allons tenter de répondre…

La secte Citroën

Si vous avez envie de semer la zizanie au cours d’une soirée entre collectionneurs dont vous jugez l’atmosphère trop paisible, il existe un moyen imparable d’y parvenir : il suffit soit d’affirmer que la Citroën C6 est la meilleure voiture de tous les temps, soit au contraire de la vilipender en estimant que, sous une physionomie avantageuse, il s’agit avant tout d’un nid à emmerdements en tous genres. Dans les deux cas, les engueulades sont à peu près garanties et, de fait, cette auto semble avoir été conçue pour susciter des polémiques – comme toutes les « vraies » Citroën, serait-on tenté d’écrire. Et il est vrai que, comme la DS ou la XM en leur temps, la C6 a perpétué l’une des plus discutables traditions de la maison ; à savoir commercialiser des voitures à la mise au point insuffisante, en laissant le soin aux premiers acquéreurs (voire même aux suivants) d’essuyer les plâtres… Longtemps, et à l’inverse de tous ses concurrents, Citroën n’a pas cherché à conquérir le plus grand nombre possible de clients mais, au contraire, à hypnotiser une petite tribu d’inconditionnels, prêts à tout pardonner à leur marque fétiche et acceptant de la sorte des pannes dont la fréquence et la gravité auraient poussé au suicide n’importe quel dirigeant de chez Toyota ou Honda. Malheureusement, les années 1960 sont loin et, au XXIe siècle, certaines erreurs ne pardonnent pas, surtout lorsque l’on affiche des tarifs de 50 000 euros ou plus…

Rennes, année zéro

À l’exception notable des DS et CX (plus d’un million d’exemplaires chacune), les constructeurs français n’ont jamais été fichus d’apprendre à vendre correctement leurs berlines haut de gamme. Depuis les années 1970, leurs échecs ont été aussi nombreux que cuisants, et les motifs en sont documentés depuis des lustres : motorisations en retrait par rapport à la concurrence, pusillanimité de certains concessionnaires, finition lacunaire et fiabilité parfois discutable ont ruiné la carrière de modèles aussi différents que la Peugeot 604 ou la Renault Vel Satis, pour ne retenir que ces deux exemples. En son temps, la XM n’a hélas pas fait exception à la règle et, après des débuts prometteurs, ses ventes se sont rapidement effondrées pour ne plus jamais revenir au niveau des ambitions initiales de Citroën, malgré des efforts indéniables et constants pour fiabiliser la voiture. Moyennant quoi, au printemps 2000, quand l’usine de Rennes-la-Janais construit la dernière XM, environ 330 000 unités ont été fabriquées. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser et, momentanément, les Chevrons abandonnent le segment des routières haut de gamme ; c’est la lugubre C5, présentée au Salon de Paris à l’automne suivant, qui est officiellement chargée de prendre le relais. Mais personne n’est dupe et la malheureuse auto, affublée d’un design maladroit et d’un habitacle pathétique (faux bois d’anthologie sur le tableau de bord et cuir médiocre en guise de sellerie) manque cruellement de ressources pour repartir à la conquête des amateurs de belles allemandes.

La C6 Lignage, un manifeste esthétique

Pourtant, au Salon de Genève 1999, l’ex-Quai de Javel a fait sensation en présentant un concept-car susceptible de remonter le moral des citroënistes. La C6 Lignage semble annoncer l’avenir de la firme en haut de gamme en puisant sans vergogne dans l’histoire d’icelle ; les références à la CX sont irréfutables mais le prototype, habilement dessiné par Marc Pinson, ne tombe pas dans le piège d’un rétro-design alors très à la mode. En dépit de certaines bizarreries qui resteront lettre morte (le bonsaï posé entre les sièges arrière !), la C6 Lignage dépasse son statut de simple concept pour devenir un véritable manifeste esthétique. Elle annonce aussi la future nomenclature Citroën – toujours en vigueur de nos jours – et la réutilisation du nom « C6 » (celui de l’un des plus fastueux modèles d’avant-guerre) n’est pas anodine ; alors que la XM se meurt dans l’indifférence générale, la marque réaffirme puissamment son intention de demeurer présente dans le segment H – celui des Mercedes Classe E ou des BMW série 5, en réfutant leur classicisme au profit d’une identité forte et revendiquée. Toutefois, le plan produit de l’époque relègue le projet à de lointains horizons ; les priorités de Citroën sont ailleurs et les derniers irréductibles de la XM vont devoir attendre six longues années pour qu’apparaisse la C6 de série. À cet égard, un esprit chagrin pourrait noter que, chez Peugeot, la 607 a vu le jour très peu de temps après la disparition de la 605 – chacun pourra en tirer ses propres conclusions quant à la discrimination commerciale dont Citroën a été régulièrement la victime au sein de PSA…

Quelques roses et beaucoup d’épines

Les visiteurs du Salon de Genève 2005 peuvent donc enfin découvrir la C6 dans sa version définitive. La forte personnalité du modèle est unanimement saluée par les observateurs comme par le public, à l’aplomb d’une ligne respectueuse des substrats du concept-car ; lorsqu’on la contemple de l’extérieur, l’auto se rattache incontestablement à la tradition des grandes Citroën, clivantes et singulières, ne pouvant susciter que des réactions tranchées : on aime ou on déteste ! L’auteur de ces lignes doit le confesser : tombé immédiatement amoureux de ce design, près de deux décennies après je reste fasciné par la C6 lorsqu’elle apparaît dans la circulation. Aussi captivante à l’arrêt qu’en mouvement, ne ressemblant à aucune autre automobile contemporaine, son charisme demeure intact et, lorsque vous en prenez le volant, les sensations de conduite s’avèrent à la hauteur de ce que suggère l’insolite majesté de ses lignes. Chez PSA, on sait concevoir des liaisons au sol et la suspension Hydractive 3, associée au train avant à pivots découplés que la voiture partage avec la 407, confère à l’engin des qualités routières qui tutoient les références de l’époque – voire même les surpassent dans certaines conditions. On l’aura compris, la C6 ne se lance pas sans munitions à l’assaut d’un marché exigeant et très difficile à (re)conquérir pour un constructeur généraliste souffrant d’un tel passif. Malheureusement, elle va également décevoir sur plusieurs plans, à commencer par le style du mobilier de bord, massif, dépourvu de classe et reprenant trop de composants bas de gamme récupérés sur les étagères de PSA. Bien sûr, la cinématique et les boiseries des élégants vide-poches latéraux constituent d’authentiques morceaux de bravoure, mais ce n’est évidemment pas suffisant pour convaincre et, par exemple, la comparaison avec l’habitacle d’une Audi A6 est particulièrement cruelle pour la Citroën, dont le misérable bloc instrumental (un écran minuscule peuplé de chiffres digitaux semblables à ceux des calculatrices Texas Instruments que j’utilisais au collège) n’est pas rattrapé par l’affichage tête haute (équipement il est vrai rarissime à ce moment-là). Au sommet d’une console centrale haute comme la muraille de Chine, on trouve un écran dédié aux diverses fonctions de bord et accueillant un GPS déjà obsolète ; au-dessous, les commandes de climatisation, serties dans un plastique sans cachet, sont communes à la C5 phase 2 et à la 407 – les comptables de PSA sont manifestement passés par là… De surcroît, la gamme des moteurs proposée au départ est bien trop limitée et, par-dessus le marché, les deux V6 (215 ch pour l’essence et 204 ch pour le Diesel), littéralement mis à genoux par le poids de la voiture, apparaissent d’ores et déjà dépassés par les meilleures réalisations du moment.

Savoir aimer

Sept ans plus tard, Citroën arrête les frais après seulement 23 384 exemplaires fabriqués. À ce niveau, ce n’est plus un échec, c’est une tragédie – en comparaison, la 607 pourrait presque passer pour un succès commercial ! Que s’est-il passé pour que la carrière d’une voiture aussi bien accueillie soit sanctionnée par un tel désastre ? La déroute s’explique aisément. En premier lieu, il apparaît que PSA a une fois encore commercialisé un modèle dont, comme à l’époque de la XM ou de la SM, l’extrême complexité technique (notamment pour ce qui concerne le V6 HDi et la suspension) s’est avérée insuffisamment maîtrisée, par ses concepteurs comme par le réseau, ce dernier étant plus habitué à recevoir des C3 ou des C4 dans ses ateliers. Ensuite, c’est peu dire que le modèle a été médiocrement soutenu par son constructeur, dont la récurrente inconstance aura été fatale à la C6. Après un lancement ambitieux (campagnes de marketing audacieuses et bien ciblées, documentations commerciales et dossiers de presse extrêmement soignés), la mévente de l’auto a très vite découragé les dirigeants de Citroën, qui l’ont purement et simplement abandonnée à son sort. Pas un seul restylage en sept ans de production, une animation de gamme à peu près inexistante et une communication mutique dès la fin de la première année de commercialisation : en bon français, ça s’appelle un abandon en rase campagne ! Pour autant, depuis sa disparition des catalogues la C6 continue de subjuguer une coterie d’amateurs au rang desquels on compte un certain nombre d’ayatollahs perfusés à la mauvaise foi, mais dont les plus lucides reconnaissent sans trop se faire prier que leur machine n’est pas avare en caprices de toutes sortes, dont la résolution est souvent onéreuse – mais ça ne les empêche pas d’aimer passionnément leur voiture.  Un comportement courant chez certains propriétaires de Lamborghini ou de Jaguar, mais plus surprenant quand il s’agit d’un constructeur de masse… Il faut le savoir, rouler en C6 au quotidien peut coûter cher et, si vous tentez l’aventure, il conviendra de faire preuve de philosophie et de prévoir une enveloppe significative en prévision des coups durs qui ne manqueront pas de survenir. Par ailleurs, les professionnels capables d’entretenir et de réparer correctement le modèle ne courent pas les rues, ce qui explique que bon nombre de C6 aient déjà fini à la casse après avoir siphonné le compte en banque de leurs infortunés conducteurs. Ce qui n’empêche pas les amoureux de cette automobile aussi attachante qu’irritante de continuer à la défendre contre vents et marées ! Comme Victor Hugo l’a écrit : « … ce qu’il y a d’inexplicable, c’est que plus cette passion est aveugle, plus elle est tenace. » Dont acte…

2946 cm3Cylindrée
215 chPuissance
230 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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