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BMW Z8 : le monde ne lui suffisait pas

Par Nicolas Fourny - 08/11/2022

Depuis un peu plus de trois décennies, les BMW de la série « Z » se sont exprimées dans des registres bien différents, depuis le véritable laboratoire roulant qu’était la Z1 de 1988 jusqu’aux confidentiels Z4 actuels, en passant par un Z3 polymorphe né sous la forme d’un roadster populaire et modestement motorisé avant de se muer en une fascinante petite brute frappée du « M » emblématique…

Depuis un peu plus de trois décennies, les BMW de la série « Z » se sont exprimées dans des registres bien différents, depuis le véritable laboratoire roulant qu’était la Z1 de 1988 jusqu’aux confidentiels Z4 actuels, en passant par un Z3 polymorphe né sous la forme d’un roadster populaire et modestement motorisé avant de se muer en une fascinante petite brute frappée du « M » emblématique… Toutefois, c’est une machine d’un tout autre calibre que l’on trouve au firmament de cette déjà longue histoire — une capiteuse décapotable au design saisissant et qui rassemblait sous une robe de haute couture le meilleur du Freude am Fahren de son temps. Vous avez bien sûr reconnu la Z8 et, dans les lignes qui suivent, il s’agira en toute simplicité de redécouvrir l’une des plus captivantes BMW de l’histoire…

Agent Z07 au rapport

Après avoir connu une réussite éclatante dans la plupart des segments de marché auxquels elle s’était attaquée depuis la fin des années 1960, la Bayerische Motoren Werke dut constater, à l’orée du XXIe siècle, qu’elle s’était pourtant cassé les dents sur l’un des plus significatifs en termes d’image de marque : celui des coupés et cabriolets de grand prestige, capables de se mesurer valablement aux Mercedes-Benz SL ou CL, sans parler de cibles plus renommées encore — nous songeons par exemple à Maserati. Ainsi, la valeureuse série 8 E31, incontestable réussite technique, s’était-elle soldée par un échec aussi injuste que retentissant et sa carrière s’était achevée en 1999 dans l’indifférence générale, sans qu’il ait été question de lui donner un successeur de même typage. Néanmoins, deux ans auparavant, les visiteurs du Salon de Tokyo avaient eu la surprise de tomber sur un concept-car qui recelait de précieux indices quant aux pistes qu’entendait désormais suivre la firme bavaroise. Incarnation même d’un rétro-design tout à la fois nostalgique et enthousiaste, la Z07 ne se contentait pas d’adresser un respectueux clin d’œil à la 507 dessinée 44 ans plus tôt par le comte Albrecht von Goertz ; par sa conception, son architecture générale et l’exotisme des matériaux utilisés pour sa construction, l’auto se projetait résolument dans l’avenir (rappelons que, chez BMW, « Z » signifie zukunft). Et bon nombre de ses caractéristiques semblaient indiquer qu’une industrialisation était envisageable : le prototype n’avait pas grand-chose à voir avec ces créatures irréalistes que l’on croisait fréquemment dans les salons d’autrefois et qui ne connaissaient aucune traduction concrète par la suite. De fait, au Salon de Francfort 1999, c’est sous une forme très proche que fut présentée la version de production, nommée Z8 !

Vous l’avez vue, le mal est fait

Depuis plus de vingt ans, le nom de Henrik Fisker résonne familièrement aux oreilles des amateurs de belles carrosseries. De la sorte, avant de se fourvoyer dans des mésaventures électrifiées, l’homme a commis plusieurs dessins mémorables, au premier rang desquels on citera l’Aston Martin DB9 — mais c’est bien à Munich qu’il a débuté sa carrière, et la Z8 apparaît comme l’irréfutable climax de son parcours chez BMW. Près d’un quart de siècle après son apparition, le temps ne semble avoir aucune prise sur cette longue carrosserie aux galbes suggestifs, qui réussit le tour de force de multiplier les citations aux années 1950 tout en apparaissant ancrée dans la modernité. Quel que soit l’angle sous lequel on la contemple, la Z8 semble vouloir traduire dans le monde tridimensionnel le propos célèbre d’Antoine de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Les proportions générales de la voiture s’inscrivent dans un classicisme revendiqué : nous sommes en présence d’un roadster biplace dont long capot suggère la puissance, rejetant l’habitacle à l’aplomb du train arrière. La proue réinterprète plaisamment le thème du double haricot, avec une subtilité et une élégance dont les équipes de Christopher Weil — l’actuel taulier du style extérieur BMW — feraient bien de s’inspirer, tandis que les flancs se signalent avant tout par une simplicité bienvenue et même rafraîchissante lorsque l’on considère la vulgarité tapageuse de la série 8 G14… À l’arrière, l’extrême finesse des blocs optiques au xénon demeure aujourd’hui encore un authentique morceau de bravoure dont, avec une grande habileté, le raffinement évite tout maniérisme.

Le sens de l’affect

Les réjouissances se poursuivent à l’intérieur, lui aussi entièrement original et n’affichant aucune parenté avec les habitacles des autres BMW, mis à part le pommeau du levier de vitesse et la sérigraphie des compteurs. Le mobilier se singularise par l’implantation centrale du bloc instrumental ; le volant convoque très opportunément les mânes de l’après-guerre ; l’ensemble séduit par un dépouillement formel, ennemi de toute ostentation mais qui n’exclut cependant pas le luxe, comme en témoigne la qualité irréprochable des matériaux employés et le soin apporté à leur assemblage. La Z8 accueille ses occupants comme si elle voulait rendre hommage au siècle finissant auquel elle appartient. Et il est vrai que par la suite, on ne reverra plus jamais cette admirable retenue dans l’expression de la technique : ici, la compétence de l’ingénierie n’éprouve pas le besoin de vous sauter au visage à grand renfort d’écrans surdimensionnés ou de gadgets inutiles. L’essentiel est là, mais sans aucune affectation (est-ce un hasard si, quelques années plus tard, on retrouvera une philosophie comparable dans l’aménagement des Rolls-Royce made in Goodwood ?). C’est à l’examen de sa fiche technique que la substance de l’auto s’évalue puis se révèle : pour son roadster superlatif, BMW s’est fendu d’une plateforme spécifique et, pour la première fois à Munich, c’est l’aluminium qui a été retenu, aussi bien pour la structure que pour la carrosserie et les trains roulants. Évidemment, cela ne suffit pas à conférer à la Z8 la gracilité d’une Lotus Elise et les 1585 kilos du modèle ne font que confirmer sa vocation de grand tourer au long cours. Pour autant, le rapport poids/puissance demeure plus que fréquentable, grâce au chef-d’œuvre mécanique tapi sous le capot…

Un V8, sinon rien

Car la Z8 n’a pas lésiné non plus au chapitre de la motorisation, en s’appropriant sans vergogne le V8 type S62 et la boîte mécanique à six vitesses de la M5 E39. Les 400 chevaux n’amusent pas la galerie et assurent un niveau de performances toujours respectable de nos jours, les voitures capables de descendre sous les 25 secondes au kilomètre départ arrêté n’étant pas si nombreuses, même en 2022. Au début des années 2000, il fallait recourir aux services d’une Ferrari 360 ou d’une Mercedes SL 55 AMG (certes plus puissante, mais aussi sensiblement plus lourde), aux tarifs comparables, pour pouvoir engager la conversation avec la BMW sommitale et l’énoncé de ces références suffit à situer le débat. Il n’en demeure pas moins qu’à la différence de ses rivales plus ou moins directes, la Z8 n’a pas connu de descendance et sa production aux volumes volontairement limités (le tarif pour le moins dispendieux — par exemple près de 130 000 euros en 2003 — y ayant puissamment aidé) lui a permis de se construire une image très à part dans l’histoire de la firme bavaroise. Collector quasi instantané, sa cote n’est jamais tombée bien bas et, à présent, elle semble bien partie pour tutoyer durablement les cimes, ce qui ne manquera pas de faire réagir les pleurnichards habituels, toujours prêts à braire contre les vilains spéculateurs. Laissez-les dire : si l’auto est à votre portée, vous ne regretterez pas d’être sorti des sentiers battus, même si la Z8 ne porte ni cheval cabré ni taureau furieux sur son porte-clés. Aussi désirable qu’addictive, cette BMW occupe une place de choix dans l’imaginaire des collectionneurs, mais aussi des cinéphiles…

Il n’y a pas que les Aston Martin dans la vie

Pierce Brosnan a joué dans quatre James Bond et, dans trois de ces films, en vertu d’un juteux accord conclu entre EON Productions et le constructeur allemand, c’est au volant de BMW à deux et quatre roues que le plus fameux des agents secrets a accompli des missions aux scénarios parfois contestables mais toujours distrayants. Dans The World is not Enough, sorti à point nommé au moment même où débutait la commercialisation de la Z8, le roadster bavarois est abondamment filmé, aussi bien dans des prestations strictement routières que lors de la mise en œuvre des nombreux équipements mis au point par le fidèle Q (interprété pour la dernière fois par le regretté Desmond Llewelyn), parmi lesquels un lance-missiles astucieusement dissimulé dans l’une des ouïes latérales. Comme souvent lorsque 007 prend le volant d’une voiture, la BMW (ou plutôt une réplique d’icelle) finit en morceaux, épargnant ainsi l’un des 5703 exemplaires construits (dont 555 variantes Alpina) avec la parcimonie délibérée ayant écarté d’office toute remarque déplaisante relative à la réussite commerciale de l’auto. De toute façon, là n’était pas le sujet : la Z8 est tout à la fois un manifeste, la démonstration d’un savoir-faire et un affectueux hommage à une histoire qui, si elle est moins longue et moins dense que celle de la grande rivale stuttgartoise, n’en recèle pas moins bon nombre d’inoubliables jalons. Au même titre que la 507 ou la M1, la dernière BMW de son espèce relève assurément de cette catégorie !





Texte : Nicolas Fourny

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