Quelque peu coincée entre la mythique E28 et une E39 que bien des amateurs considèrent comme la meilleure itération de la série, la M5 E34 (1988-1995) a depuis longtemps sombré dans un oubli relatif car, même si les connaisseurs les plus affûtés savent se rappeler son existence au moment du choix, le modèle n’est pas le plus emblématique parmi les voitures développées par la division M de la firme bavaroise. Dernière M5 à moteur six-cylindres (et quel moteur !), disponible aussi bien en berline qu’en break Touring, l’auto fête ses 36 ans cette année dans une forme d’indifférence qui ne peut qu’inciter à sa redécouverte. D’autant qu’en comparaison de certaines de ses descendantes, la E34 fait preuve d’une discrétion fort appréciable – du moins quand elle ne tombe pas entre de mauvaises mains…
La fin du shark nose
Quand la Série 5 E28 tire sa révérence après un peu moins de sept ans de carrière, au début de 1988, chacun convient que l’auto, certes très attachante et chère au cœur des béhèmistes patentés, a fait son temps. D’un design sans doute trop proche de sa devancière, la dernière berline shark nose de Munich a indéniablement beaucoup vieilli et, en comparaison des Mercedes-Benz W124, Opel Omega, Ford Scorpio ou Audi 100 et 200 « C3 », s’apparente désormais à une machine démodée victime de l’outrage des ans. C’est donc peu dire que BMW est attendu au tournant – et pas seulement par les amateurs du survirage qu’il est si facile de provoquer, volontairement ou pas, au volant d’une E28. D’autant plus que, deux ans auparavant, la firme à l’hélice a impressionné les observateurs en présentant une Série 7 aussi inspirée du point de vue stylistique qu’en termes de qualités routières qui, pour la première fois, sont parvenues à surpasser la Classe S. Très inspirée – c’est un euphémisme – par la Série 7 E32, la nouvelle Fünfer est due à un projet initial d’Ercole Spada (le père de la E32) que J Mays s’est chargé de finaliser, sous la férule de Claus Luthe, à la tête du style BMW depuis 1976. Les quinze ans qui la séparent de la E12 se perçoivent à chaque détail ; aérodynamique, solidement charpentée tout en exsudant une certaine latinité, la Série 5 entre avec fracas dans une modernité revendiquée et se donne les moyens de contester la domination de Mercedes dans le segment.
Un certain embourgeoisement
Si BMW jouit, depuis l’avènement de la Neue Klasse en 1961, d’une excellente réputation auprès des conducteurs sportifs, la marque n’en a pour autant jamais oublié de proposer une gamme étendue, susceptible de couvrir un large spectre, allant des variantes les plus affûtées aux motorisations plus modestes destinées à une clientèle davantage soucieuse de représentativité sociale que de performances chiffrées. La E34 ne fait pas exception à la règle et, si à ses débuts la gamme ne comporte que des moteurs six-cylindres, la très policée 520i et ses 129 ch n’offrent somme toute que des chronos quelconques – même s’ils sont obtenus dans le feulement toujours grisant du six-cylindres M20. Par surcroît, et même dans le cas de la puissante 535i, chacun perçoit une évolution significative du typage de l’engin. Les postures de gangsta car de la E28 ont disparu au profit d’un embourgeoisement du style et d’une certaine édulcoration du comportement – ce qui revient surtout à dire que l’auto est devenue moins délicate à maîtriser pour le conducteur moyen, en particulier sur le mouillé… BMW semble dorénavant en quête de respectabilité et les premiers essais parus dans la presse spécialisée traduisent les conséquences de ce nouveau paradigme : aussi bien finie qu’une W124 et bénéficiant de trains roulants particulièrement élaborés, la Série 5 se fait à présent plus consensuelle, moins brutale dans ses attitudes, ce qui rassure les uns et déçoit (un peu) les autres…
La suite de l’histoire
Pour autant, BMW n’oublie pas ses fondamentaux et dévoile, dès l’automne de 1988, la nouvelle M5, alors que la E28 avait dû patienter trois ans pour voir débarquer sa version sommitale, pour laquelle la division M s’était en gros contentée de glisser sous le capot de l’engin le fabuleux moteur de la très éphémère berlinette M1. Construite à seulement 2241 exemplaires, aussi puissante que sulfureuse, la première M5 de l’histoire s’était très vite taillé une réputation de machine exigeante et rétive dont le châssis n’était peut-être pas tout à fait à la hauteur des démoniaques ressources de sa mécanique. Rien de tel avec la E34 qui, si elle reprend les fondamentaux de son aînée et s’inscrit dans la grande tradition maison – moteur six-cylindres 24 soupapes et propulsion –, a profondément changé à bien des égards et, fort logiquement, suit la tendance générale des autres Série 5. La nouvelle M5 se fait nettement plus discrète que la E28 et il faut l’œil d’un spécialiste pour la distinguer d’une 524td (j’exagère, mais à peine). À l’évidence, ses concepteurs n’ont pas souhaité reconduire le tapage esthétique de la M5 originelle et ont retenu une formule dont Mercedes saura s’inspirer, en 1991, pour sa 500 E : ici, la puissance est subtilement suggérée par des détails de bon aloi (jantes alu spécifiques de 17 pouces à ailettes, boucliers légèrement modifiés) et – fort heureusement – nul appendice superflu ne vient défigurer la carrosserie de l’auto.
Un bonheur accessible
Ayant fait l’objet d’évolutions mesurées, le S38B36 descend très directement du M88 de la M1. Sa cylindrée a évolué à la marge et le groupe atteint à présent 3535 cm3 pour une puissance de 315 ch à 6900 tours/minute – autres temps, autres mœurs : rappelons que le S58 suralimenté actuel, ne dépassant pas les 3 litres de cylindrée et monté entre autres dans la M3 Competition G80, délivre ses 510 ch dès 6250 tours… En ce temps-là, BMW laisse Alpina jouer avec le turbo et, pour longtemps encore, va défendre la noblesse des moteurs atmosphériques et l’ivresse des hauts régimes. Poussé jusqu’à 3,8 litres et 340 ch en 1992, ce groupe d’anthologie dépasse alors, en termes de puissance pure, les Ferrari 348 ou Porsche 911 Turbo contemporaines mais la M5 pèse son poids et, si elle sait faire montre d’une certaine agilité jusque dans les tracés les plus sélectifs, il ne s’agit en aucun cas d’une sportive pure et dure, mais d’une berline confortable, parmi les plus véloces de son époque, accueillante pour quatre et très généreusement motorisée – ce qui, chacun l’aura compris, n’est pas du tout la même chose. À la condition de ne pas l’oublier, l’engin est toujours en mesure, trente-six ans après sa naissance, de dispenser des plaisirs qui sont ceux de son temps : ABS et autobloquant sont les seuls outils susceptibles de vous venir en aide si vous le poussez dans ses retranchements… Longtemps dans le creux de la vague, la M5 E34 commence à sortir de son purgatoire mais peut encore se dénicher à des prix alléchants pour une telle auto : sur le marché allemand (en mettant de côté la version Touring, aussi rare que convoitée), les prix des plus beaux exemplaires dépassent rarement les 50 000 euros et, en France, certaines voitures sont en vente pour la moitié de ce prix. Je ne saurais trop vous recommander de ne point trop attendre…
Texte : Nicolas Fourny