C’est, ces jours-ci, la production Netflix dont tout le monde parle : Black Doves, mini-série dont la capacité à faire l’événement tient autant au charisme de ses acteurs qu’à la qualité du scénario ou à une mise en scène digne des meilleurs thrillers – et qui agrège, de façon inédite, le climat froid et métallique des séries d’espionnage à cette forme de cynisme bienveillant, typiquement british, des comédies romantiques trempées dans l’acide, avec en plus une bonne dose d’esprit queer. Et, si nous nous y intéressons, c’est aussi parce que les producteurs de Black Doves ont choisi de faire figurer à l’écran plusieurs modèles d’automobiles dont la seule présence éveille l’intérêt des collectionneurs de youngtimers, à commencer, bien entendu, par la très classieuse BMW 635 CSi conduite par l’un des personnages principaux…
Anatomie d’un chef-d’œuvre télévisuel
Si vous êtes abonné à Netflix, vous savez que la plateforme propose à la fois des séries au long cours, comme The Diplomat ou House of Cards, et des formats plus courts, en général limités à cinq ou six épisodes. Black Doves (les Colombes Noires en français – mais évitez à tout prix la VF, qui massacre littéralement les dialogues) relève de cette seconde catégorie. Il s’agit d’un récit bref et étincelant, dans lequel la violence, souvent crue et omniprésente, est très intelligemment pondérée par l’humour distancié des personnages principaux et par les intrigues sentimentales qui jalonnent les arrière-plans de l’intrigue, laquelle se déroule entièrement à Londres. Black Doves est le nom d’une organisation occulte dirigée par Reed, créature aussi ironique qu’impitoyable et dont les activités, selon ses propres termes, consiste à recueillir des secrets d’État et autres informations confidentielles puis à les vendre au plus offrant. Helen Webb (merveilleuse Keira Knightley, sombre et solaire à la fois) est la plus talentueuse de ses recrues puisqu’elle est parvenue à épouser le ministre de la Défense. Lorsqu’elle se trouve en danger, Reed rappelle l’un de ses anciens collaborateurs et ami proche d’Helen, Sam Young (Ben Whishaw, impeccable comme toujours), tueur professionnel exilé depuis sept ans, pour qu’il revienne la protéger. La BMW de Sam apparaît dès le premier épisode, alors qu’il vient la récupérer à sa descente d’avion. L’auto, de couleur Burgundrot Metallic, est esseulée sur un parking et rejoint sans tarder la circulation de 2024 au sein de laquelle elle dénote joyeusement, cernée par les SUV grisâtres qui sont devenus l’ordinaire déprimant des grandes villes.
Ex-fan des eighties
Construite sur le principe du flash-back, la série met en scène l’évolution de ses personnages durant une décennie. Quand Helen fait la connaissance de Sam, il se déplace à bord d’une rutilante Ford Escort XR3i noire – nous sommes alors en 2014, ce qui signifie que le modèle est depuis longtemps un collector, en particulier outre-Manche, où les Escort sportives font de nos jours l’objet d’un culte comparable à celui des Golf GTI en Allemagne. L’auto est une Mk3 (1980-1986), nantie d’un vaillant quatre-cylindres CVH – série de moteurs que Jeremy Clarkson considérait comme « si rugueux que même Moulinex ne les aurait pas utilisés » et dont certains plaisantins assimilèrent l’acronyme à Considerable Vibration and Harshness. D’une cylindrée de 1596 cm3 et doté d’une injection Bosch K-Jetronic à partir de l’automne 1982, ce moulin a priori peu enthousiasmant entend néanmoins ferrailler avec courage contre le brillant 1,8 litre que la Golf adopte au même moment. Bien entendu le combat est inégal ; comme beaucoup d’autres compactes, l’Escort n’est qu’un outsider inabouti face à la voiture de Wolfsburg, mais l’engin a néanmoins ses adeptes, qu’ils soient amoureux de la marque (perversion très répandue en Angleterre) ou soucieux de ne pas céder au conformisme ambiant. Dans l’absolu, les 105 ch que délivre le brave CVH au maximum de ses possibilités ne déméritent pas, mais on est loin de l’agrément du moteur de la Golf, à la fois coupleux à bas régime et rageur dans les hautes rotations. Il n’empêche que, de ce côté-ci du Channel, il est devenu bien plus difficile de dénicher une belle Escort XR3 ou XR3i qu’une Golf GTI contemporaine…
De l’Escort à la Série 6
Trois ans plus tard, Helen a fait ses classes sous la férule de Sam. Elle attend des jumeaux et, pour sa part, son acolyte file le parfait amour avec son compagnon Michael, un artiste à qui il fait croire qu’il travaille pour une compagnie d’assurances au lieu de trucider ses semblables. Et l’Escort a disparu du paysage, avantageusement remplacée par la 635 CSi évoquée plus haut. C’est avec ce moteur que la Série 6 E24 – l’un des chefs-d’œuvre du designer français Paul Bracq – a été la plus diffusée, certainement parce que cette variante incarne le meilleur compromis de la gamme : le 3,4 litres M30 développe sans sourciller les 218 ch qui lui permettent de croiser à des allures que la loi réprouvait déjà il y a quarante ans, le tout en goûtant à la tessiture quasiment érotique du « six pattes » bavarois. Y avait-il mieux à l’époque ? La réponse est contenue dans la question… Climax absolu des BMW shark nose, la première Série 6 rassemble tous les suffrages pour les amateurs du genre et, dans Black Doves, l’auto est filmée presque amoureusement, sous tous les angles ; il faut la voir s’arrêter devant le Royal Lancaster ou bien foncer pour échapper à une armada de BMW bien plus récentes. Pourtant, son propriétaire, élégant, d’une sensibilité déplacée – « You’ve got a warm heart and blood on your hands », résumera avec lucidité l’une de ses relations – au verbe subtil et volontiers narquois, n’a rien d’une caricature de gangster de l’East End, mais son duo avec le coupé munichois (souvent considéré comme une bagnole de truand) est, indéniablement, l’une des chouettes trouvailles de la série.
La revanche de la XJ40
Helen roule elle aussi en BMW ce jour de 2017 où elle vient sauver la vie de Sam et de Michael en exécutant froidement le tueur qui s’apprêtait à les occire. La scène se passe dans une rue déserte et, derrière elle, l’on aperçoit sa Série 3 Compact E36 – un modèle désormais trentenaire mais sur lequel, c’est peu de le dire, les collectionneurs d’aujourd’hui ne se précipitent guère. En somme, on lui reproche la même chose qu’au moment de son apparition : perçue comme une BMW au rabais, avec sa planche de bord austère et son train arrière archaïque issu de l’E30, l’auto n’a jamais vraiment convaincu. Elle n’est pourtant pas inintéressante, en particulier en version 323ti, dont les 170 ch suffisent amplement pour s’amuser. Et puis, en sus d’une petite tribu de Range Rover Classic, P38 ou L322, le glorieux passé de l’industrie locale est également représenté par la Jaguar XJ40 de Reed. Singulier destin que celui de cette auto, vertement critiquée par les puristes à sa sortie en raison de ses phares rectangulaires et qui, quatre décennies plus tard, se voit souvent préférer sa remplaçante par les collectionneurs – nous avons nommé la X300, habilement restylée de façon à rappeler les générations précédentes. Il suffit cependant de la contempler dans les quelques scènes de la série où elle apparaît pour en éprouver le charisme et l’intemporalité ; ses prestations, si elles demeurent statiques, parviennent à lui restituer le prestige qui était le sien lorsqu’elle stationnait devant le 10 Downing Street, à la fin des années 80, au lieu de se dégrader tristement entre les mains de propriétaires impécunieux. Alors, laquelle choisir ? Peut-être l’Escort pour tous les jours, la 635 CSi pour le week-end et la XJ40 pour les transhumances estivales. Dans tous les cas, et tout comme en visionnant Black Doves, vous ne vous ennuierez pas !
Texte : Nicolas Fourny / Photos : Photos : Netflix
