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Volkswagen Golf IV V6 4Motion : je ne veux jamais l’oublier

Par Nicolas Fourny - 15/08/2022

Comme aurait pu le faire remarquer le professeur Rollin dans la série Palace, la vie moderne est littéralement saturée d’interrogations existentielles qui nous tourmentent chaque jour que Dieu fait (ou pas). Quelques exemples : Luca de Meo va-t-il relancer la production de la Vel Satis ? Aston Martin va-t-il attaquer Ferrari pour plagiat après avoir découvert la Roma ? La prochaine Alfa Romeo GTV sortira-t-elle avant 2040 ? Quand doit se réunir le tribunal chargé de juger les responsables actuels du design BMW ? Y a-t-il vraiment des gens qui achètent des Dacia Duster avec des sièges en cuir ? Faut-il réhabiliter la Mercedes Vaneo ? Les électrochocs sont-ils efficaces pour soigner les propriétaires de Citroën C3 Pluriel ? Si vous deviez acheter une Golf IV, laquelle faudrait-il choisir ? À toutes ces questions fondamentales nous nous engageons à apporter des réponses, et nous allons commencer par la dernière d’entre elles…

Ceci n’est pas un plaidoyer

Lorsqu’on évoque la Golf IV ailleurs qu’en des rassemblements de disciples exaltés comme à Wörthersee, en général les quolibets ne tardent pas à fuser ; il est fréquemment question de débitmètres défaillants, de moteurs de lève-vitres facétieux et d’amortisseurs dont le comportement présente une fâcheuse ressemblance avec celui des pompes à vélo. Benchmark absolu pour les uns, véhicule à la réputation surfaite pour les autres — le débat ne sera sans doute jamais tranché mais cela ne nous interdit pas, près d’un quart de siècle après son apparition, de nous pencher sur le cas de cette quatrième génération qui, qu’on le veuille ou non et aussi imparfaite qu’elle fût, a marqué son temps.

D’abord parce que c’est probablement à partir de son lancement qu’une bonne partie de la clientèle européenne s’est mise à confondre la qualité perçue avec la qualité au sens large (soin apporté à la fabrication en général, robustesse des composants, fiabilité mécanique et électronique, durabilité, etc.). Il faut dire qu’après la déception qu’avaient provoqué la Golf III, ses plastiques douteux et sa propension à la rouille, VW se devait de redresser la barre et cela fut bien le cas, au moins en termes d’ambiance générale. Certes aussi joyeux qu’un ouvrage de Nathalie Sarraute, le mobilier de bord de la « IV » a immédiatement incarné une sorte de référence absolue, par le sérieux apporté à sa conception et aux matériaux qui le constituaient ; il en fut de même pour ce qui concerne la précision des accostages et la finesse apportée à l’assemblage des panneaux de carrosserie. C’est en grande partie sur ces critères que l’auto a bâti sa réputation, et aussi sur ces trois lettres fameuses, TDI, qui, bien avant de coûter très cher à la firme de Wolfsburg — laquelle n’a pas fini de payer les douloureuses conséquences de sa truanderie dans le cadre du Dieselgate — ont assuré une bonne part de sa prospérité…

Embraye bidasse, ça fume

De la sorte et de longues années durant, la Golf IV s’est ordinairement écoulée sous la forme de berlines 5 portes gris métallisé, arborant le célèbre logo à l’arrière droit, logo dont le lettrage variait progressivement du gris au rouge en fonction de la puissance disponible — celle-ci étant d’ailleurs non seulement minimisée par le constructeur (beaucoup de TDI 150 chevaux en délivraient, en réalité, plus de 170 à leur sortie d’usine) mais aussi souvent accrue par la suite, à grand renfort de modifications aftermarket plus efficaces pour frimer au feu rouge que pour prolonger la durée de vie des moteurs. Si l’on ose dire, les TDI ont donc été l’arbre qui cachait la forêt car, hormis sur certains marchés hostiles au Diesel — en Suisse par exemple — les motorisations essence du modèle sont passées presque inaperçues, le discours publicitaire de VW se vouant alors, comme celui de la plupart de ses concurrents, à la promotion des groupes à huile lourde.

Et pourtant, il est difficile de considérer que les motoristes s’étaient tourné les pouces, le haut de la gamme Golf IV n’étant pas avare en propositions aussi diversifiées qu’attrayantes, dans une large fourchette allant du quatre-cylindres 20 soupapes turbocompressé de 150 chevaux au VR6 de la R32. La R32, parlons-en : si elle retient déjà — à juste titre — l’attention des amateurs, on ne peut en dire autant des versions à cinq et six cylindres aux puissances plus modestes et à l’accastillage moins exubérant. Nous songeons donc en particulier à la V6 4Motion qui fait l’objet de cet article et dont les exemplaires survivants méritent, à notre sens, d’être préservés.

Un V6 qui ne manquait pas d’R

En général, quand une phrase commence par « Pour des raisons liées au marketing… » vous pouvez être à peu près sûrs que la suite du propos vous stupéfiera par son indigence, voire par sa stupidité. Et ça n’a pas raté lorsque Volkswagen a décidé que la Golf IV à moteur six-cylindres, apparue à l’automne de 1999, ne s’appellerait plus « VR6 », mais « V6 », au motif que la première dénomination était moins facilement assimilable par le grand public que la seconde. Cette brillante stratégie a surtout eu pour effet de plonger l’auto dans un regrettable anonymat — à l’époque, ce n’étaient pas les moteurs V6 qui manquaient — là où la Golf III VR6 était, bien au contraire, clairement identifiée comme la locomotive absolue de la gamme avec, de surcroît, un moteur à l’architecture unique. Car, bien entendu, d’une génération à l’autre, ledit moteur n’avait pas changé : il s’agissait toujours de cet étonnant groupe ayant accompli l’exploit de ne pas choisir entre le V et la ligne (Reihe, dans la langue d’Angela Merkel) et, dont l’angle ultra-étroit entre les bancs de cylindres (15 degrés) lui permettait de se contenter d’une seule culasse. Lors de son apparition, en 1991, le VR6 avait fait sensation, autant en raison de l’audace des choix ayant présidé à sa conception que de son agrément d’utilisation, qu’un magazine aussi rigoureux que le Moniteur Automobile n’hésita pas à comparer à celui d’un six-en-ligne BMW…

Huit ans après, le paysage concurrentiel n’avait pas évolué à cet égard et la Golf demeurait la seule compacte à moteur six-cylindres du marché européen — même la cousine Audi A3 (Typ 8L) devait se contenter de roturiers quatre-cylindres et la VW ne consentit à partager cette spécificité qu’avec son dérivé discount Seat León, aucun autre constructeur n’ayant jugé utile de se risquer sur un sous-segment aussi anecdotique du point de vue commercial. Néanmoins, quand la V6 4Motion intégra la gamme, il apparut que les temps avaient indéniablement changé depuis le début de la décennie. Littéralement obsédés, comme tant d’autres, par le Diesel, les dirigeants de VW semblèrent se désintéresser d’une variante devenue aussi politiquement incorrecte et, jusqu’à la fin de sa carrière en 2003, celle-ci fut pour ainsi dire abandonnée à son sort, ne bénéficiant que d’un soutien minimaliste sur le plan publicitaire, même si un certain nombre de brochures dédiées à la V(R)6 furent éditées, comme ç’avait été le cas pour sa devancière.

Je me souviens des jours anciens…

Naturellement, il n’était pas évident de vendre une voiture dont les caractéristiques ne pouvaient attirer qu’une minorité de clients potentiels — tout en faisant fuir la plupart des autres, effrayés par un prix d’achat et des coûts d’exploitation (puissance fiscale, consommation, assurance, etc.) forcément plus significatifs que dans le cas d’une vile TDI 90. En ce XXème siècle finissant, où la notion de performance et les moteurs soiffards devenaient de moins en moins acceptables aux yeux de l’opinion, il est vrai que la fiche technique de l’engin ressemblait davantage à celle d’un jouet coûteux qu’aux attributs d’une machine conçue et acquise suivant des critères raisonnables, c’est-à-dire strictement utilitaristes.

Six cylindres, donc, mais aussi 2792 cm3, 204 chevaux, une transmission intégrale, plus de 230 km/h possibles et 15 litres aux 100 en ville : la super-Golf du moment présentait un typage aussi réjouissant pour les uns qu’inadapté pour les autres. On ne reverra plus jamais de telles valeurs, et il est permis de le regretter ; la V6 4Motion apparaît comme la dernière d’une trop courte lignée. Sur la Golf V, seule la R32 a eu droit au VR6 ; quand la VI est arrivée, il a totalement disparu, cédant la place à des deux litres quatre pattes à la fois plus puissants, plus sobres et dont les rejets de CO2 ne franchissaient plus les limites du tolérable pour la bien-pensance triomphante. Mis à part quelques authentiques passionnés, je n’ai jamais rencontré un concessionnaire VW ayant porté le deuil de notre si négligée V6. Business is business et la plupart des clients qui avaient aimé les R32 se sont reportés sans états d’âme vers les « R », qui ont donc continué de se vendre — mais de moins en moins. Il n’empêche que, depuis que la dernière V6 4Motion est tombée de chaîne, la famille Golf a perdu l’un de ses plus attachants représentants.

… et je pleure

Aujourd’hui encore, reprendre le volant du modèle s’apparente à une expérience à la fois jubilatoire et déroutante. Résolument inscrite dans la modernité à plus d’un titre, cette Volkswagen oubliée dispense cependant des plaisirs déjà anciens : sonorité du moteur, présence d’une boîte manuelle, qualité de l’habitat et luxe des aménagements surprennent à bord d’une voiture aussi courte — une Polo actuelle ne lui rend que dix centimètres. Si l’on aborde la question sous l’angle strict des données chiffrées, le VR6 est évidemment aux abois en comparaison des moteurs d’aujourd’hui, mais le connaisseur véritable ne conduit pas avec un couteau entre les dents ni un chronomètre à la place du cœur. L’expérience prodiguée ici concerne avant tout ce que l’on peut éprouver en partageant la vie d’une authentique petite grand tourisme dont les années n’ont pas estompé les talents.

La poussée n’a rien de violent — pour le sport, prière d’aller voir ailleurs — mais elle impressionne par une forme de nonchalance dans la rage, de vélocité sereine. À chaque instant, cette auto vous murmure dans le creux de l’oreille que ceux qui l’ont conçue connaissaient leur boulot et qu’il ne vous reste plus qu’à vous blottir, l’esprit tranquille, dans le performant cocon dont elle vous entoure. Sauf pour certaines parties des sièges, le cuir est véritable et de bon aloi ; l’instrumentation n’est pas plus complète que sur une 1,4 litre de base mais sa lisibilité et cet éclairage bleu si typique de la période font plaisir à voir. Le design du volant est d’une élégance irréprochable et il ne comporte pas la moindre commande — le simple fait de le contempler vous apaise déjà. Dans la bonne tradition germanique, la position de conduite conviendra aussi bien à Michael Jordan qu’à Peter Dinklage et les ergonomes qu’employait la firme il y a vingt-cinq ans maîtrisaient l’art de faciliter l’accès à des fonctions complexes (et, de ce point de vue, les choses ont substantiellement changé depuis lors). De plus, tout cela n’est même pas inabordable : même sur le marché allemand, 8000 euros peuvent vous permettre d’acquérir une auto en excellent état et présentant un dossier d’entretien digne de ce nom.

Suffisamment rapide pour vous coûter votre permis, suffisamment discrète pour ne pas attirer l’attention — à l’exception de la double sortie d’échappement, qui n’aimantera que les regards exercés, et de la taille des pneumatiques, l’auto ne se démarque en rien de ses sœurs de gamme —, suffisamment confortable pour assurer de longues étapes dans les meilleures conditions, suffisamment sûre et équilibrée pour pouvoir rouler par tous les temps sans arrière-pensée, suffisamment bien construite pour tenir la distance (à condition d’en prendre soin, cela va de soi), la V6 4Motion a clôturé, dans l’indifférence générale, l’histoire des compactes multicylindres de luxe. Sous ses oripeaux de voiture d’usage croisée à chaque coin de rue (près de cinq millions de Golf IV ont été fabriquées), sa personnalité vous saute à la gorge dès les premiers kilomètres, pour ne plus vous lâcher. En elle, vous trouverez à la fois l’ivresse et le velours, l’énergie et la douceur, la froideur de l’ingénierie et la joie de vivre. Ses imperfections n’ont plus d’importance ; seul subsiste un charme marginal, obstiné et solide — il en émane les remugles d’une époque où l’on pouvait encore oser glisser de gros moteurs sous de petits capots ; désormais, on fait l’inverse : avons-nous réellement gagné au change ?

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