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C’est peu dire que, de nos jours, la Saab 9-3 de seconde génération a sombré dans un oubli à peu près total. Treize ans après l’arrêt de sa production – laquelle a tristement coïncidé avec la faillite de son constructeur –, l’ultime descendante de l’iconique 900 n’intéresse plus grand-monde et les exemplaires proposés à la vente végètent longtemps avant de trouver preneur, à vil prix la plupart du temps. Vertement critiqué à sa sortie parce qu’il tournait le dos au design classique de la marque, le modèle n’a jamais réellement convaincu par la suite, victime d’une identité floue, celle-ci étant censée valoriser un concept mal défini et donc insuffisamment maîtrisé : celui de la familiale sportive. Pourtant, la 9-3 n’était pas une mauvaise auto, loin de là ; sa gamme aura même recelé plusieurs morceaux de bravoure, à commencer par les variantes animées par un V6 turbo aussi méconnu qu’attachant !
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Chronique d’une mort annoncée
Comme nous en avons tous été les témoins affligés, General Motors n’a jamais rien compris à la culture, à l’identité ni à l’histoire de Saab. Après en avoir pris le contrôle en 1990, le groupe américain s’est évertué à banaliser le plus prestigieux de ses labels européens et à en gâcher le potentiel en s’obstinant à vouloir en faire une sorte de BMW scandinave, ce qui n’avait guère de sens dans l’absolu – et d’autant plus que les moyens alloués à ce projet inconséquent n’ont jamais été à la hauteur des ambitions revendiquées par les brillants stratèges de Detroit. L’abandon de la nomenclature historique du constructeur, en 1997, au profit des fumeuses appellations 9-3 et 9-5 que le public visé n’a jamais assimilées ; le recyclage, pour la 900 « NG », du médiocre châssis de l’Opel Vectra, avec les funestes conséquences que l’on sait ; et, pour finir, le lancement, en 2002, d’une toute nouvelle 9-3 censée repositionner la firme suédoise en face de la redoutable BMW Série 3 mais n’ayant réussi qu’à diluer l’image de la marque : telles sont les erreurs de jugement et les vicissitudes majeures d’un long chemin de croix qui s’est achevé par la faillite de GM et, en corollaire, l’assassinat de Saab. Sacrifiée sans l’ombre d’un scrupule sur l’autel de l’incompétence et de l’arrogance d’un management de songe-creux aveuglés par les études marketing et obsédés par la prédominance des constructeurs allemands, le griffon suédois aurait mérité un tout autre destin – mais à vrai dire, au moment de la sortie de la nouvelle 9-3, nous étions nombreux à considérer que le ver était déjà dans le fruit…
Crise identitaire
Après une 900 « NG » (rebaptisée 9-3 dès 1998) aux prestations décevantes et dont la physionomie singeait plus ou moins adroitement celle de la « vraie » 900, GM décide de renverser la table en renonçant à l’héritage stylistique de Saab – celui-là même qui, des décennies durant, avait permis d’établir un fil conducteur entre la 92 de 1949 et la 900 « NG », ce que les publicités et brochures de la marque ne se privaient pas de rappeler. La nouvelle 9-3 a bénéficié d’une étude plus aboutie que celle de sa devancière et s’enorgueillit d’un tout nouveau châssis – en réalité celui de la Vectra C, basée sur la plateforme « Epsilon » de GM, qui marque des progrès très significatifs par rapport aux liaisons au sol de ses prédécesseurs. L’auto demeure donc fidèle à la traction et au moteur transversal, mais gagne un essieu arrière multibras ainsi qu’un train avant enfin capable de supporter des puissances supérieures à 150 ch sans contraindre le conducteur à devoir lutter avec le volant pour garder le contrôle de la situation à la première accélération un peu vive. La presse spécialisée est d’ailleurs conviée à participer aux ultimes galops d’essai de voitures de présérie en compagnie des ingénieurs chargés du développement de la 9-3, histoire de démontrer le sérieux ainsi que le niveau d’investissement humain, technique et financier dont a bénéficié le projet. De fait, les premiers essais évoquent une auto plutôt bien née, plus confortable que la moyenne, dotée d’un comportement routier satisfaisant et d’une finition de bon aloi.
Rentrée dans le rang
La 9-3 est exclusivement animée, à ses débuts, par un quatre-cylindres 2 litres turbocompressé – s’inscrivant, là encore, dans la tradition maison – proposé en plusieurs variantes allant de 150 à 210 ch et ayant fait l’objet d’un co-développement entre les motoristes de GM et de Saab, avec l’aimable participation du bureau d’études Lotus. Malheureusement, le moteur est à l’image du reste de la voiture : s’il n’y a pas de reproches particuliers à lui adresser, l’enthousiasme n’est pas vraiment au rendez-vous. En choisissant de banaliser le design de l’auto, GM l’a privée de l’atypisme qui faisaient le charme de ses aînées, sans pour autant parvenir à déclencher le coup de foudre attendu de la part d’une clientèle plus large que les sempiternels architectes et universitaires censés représenter l’archétype du conducteur de Saab. C’est ce qui s’appelle perdre sur les deux tableaux : réfutant toute marginalité, la 9-3 du XXIe siècle est certes élégamment dessinée – de façon à ne déplaire à personne, persifleront les plus cruels – mais elle ne se démarque pas suffisamment pour pouvoir inquiéter les références que sont les Audi A4, Mercedes-Benz Classe C, sans parler de la BMW évoquée plus haut. Dans un segment de marché extrêmement concurrentiel, elle demeure un outsider, ce qui est une façon polie de désigner les seconds couteaux…
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L’art et la manière
Il faudra quatre longues années pour que les dirigeants de Saab finissent par accoucher d’un début de solution afin de pallier le manque de charisme de leur familiale. Il leur a suffi d’aller se servir sur les étagères généreusement pourvues de GM, sur lesquelles ils ont prélevé le tout nouveau V6 2,8 litres suralimenté que l’on retrouvera semblablement chez Opel, sous les capots des Vectra et Signum. Dans la 9-3, il développe initialement 250 ch à 5500 tours/minute, tandis que le couple disponible (350 Nm de 1900 à 4500 tours) témoigne de la remarquable élasticité de ce moteur – hélas privé, en revanche, du brio dont profitent alors les conducteurs de BMW 330i. Les flatteuses valeurs nominales de puissance et de couple ne sont pas en cause, même si le progrès demeure ténu par rapport à l’ancienne 9-3 Viggen ; ils permettent d’afficher une fiche technique présentable vis-à-vis de la concurrence, toutefois il suffit de parcourir quelques kilomètres au volant de la 9-3 Aero ainsi gréée pour comprendre que l’engin relève de la catégorie des routières rapides mais dépourvues de tout caractère sportif, ce que confirment les réglages du châssis, à l’évidence adapté aux attentes des amateurs de conduite « touristique », fréquentant davantage les autoroutes que les départementales sinueuses. Il n’empêche que l’expérience est plaisante ; si on ne lui demande pas ce qu’elle n’est pas capable d’offrir, l’auto est une très agréable compagne de voyage, efficace, véloce mais policée, voire même un brin ennuyeuse en dépit de la jolie tessiture du V6, qui fait regretter à certains amateurs le côté brouillon et les emportements volcaniques de feue la Viggen, difficilement exploitable mais tellement plus marrante…
Un enterrement de première classe
Reconnaissons-le sans ambages, Saab ne se décourage pas et, alors que l’issue fatale se rapproche pour la marque, la carrière de la 9-3 se voit, en 2008, couronnée par une évolution ultime du V6, poussé à 280 ch et 400 Nm, tandis qu’apparaît une transmission intégrale baptisée « XWD » et développée sur la base du système Haldex de quatrième génération, disponible aussi bien dans la berline que dans le break, dénommé Sport-Hatch sous nos latitudes – eh non, on n’aura pas échappé à la pénible tarte à la crème du « break sportif », pour le cas où l’on aurait confondu l’engin avec une 504 Familiale… Trêve de méchancetés gratuites : à notre humble avis, c’est bien sous cette forme que la 9-3 s’avère la plus désirable. L’agrégat rassemblant le V6 dans sa version la plus aboutie, l’avantage des quatre roues motrices et la praticité du break, à la carrosserie plus intéressante à contempler que celle de la berline, demeure très séduisant, avec des chronos toujours réjouissants dix-sept ans plus tard (le 0 à 100 km/h exige moins de 6 secondes). Produite durant seulement deux millésimes, la 9-3 2.8T XWD Aero est une automobile rare, et plus encore sous la forme de la Turbo X, série limitée à seulement deux mille exemplaires, qu’il est fréquent de voir dépasser les 25 000 euros dans certaines petites annonces. Les connaisseurs savent de quoi il est question mais, un peu comme à la grande époque, les saabistes ne sont plus légion maintenant que le constructeur a disparu, ce qui suscite des inquiétudes légitimes quant à l’entretien et à la disponibilité des pièces détachées ; fort heureusement, des spécialistes existent et permettent à quelques hurluberlus ennemis du panurgisme de continuer à rouler ! Serez-vous du nombre ?
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Texte : Nicolas Fourny