Renault Wind : Faut-il la réhabiliter ?
L’avez-vous remarqué ? Renault fait certainement partie des constructeurs les plus doués pour présenter de très attrayants concept-cars aux plaisantes dénominations, avant de recycler celles-ci pour désigner des modèles de production déprimants, voire même carrément loupés. Ainsi et entre autres, le très beau coupé Fluence a-t-il vu son patronyme réutilisé sur une berline dépourvue d’intérêt ; l’astucieux Scénic de 1991, à l’architecture innovante, n’a abouti qu’à un monospace de facture médiocre ; et le délicieux roadster Wind du Salon de Genève 2004 a été tout bonnement trahi par ses concepteurs, qui n’ont rien trouvé de mieux à faire que de reprendre ce nom si évocateur — l’été, la vitesse, la liberté, et toute cette sorte de choses — pour l’apposer sur une machine improbable dont l’échec était tristement prévisible. Néanmoins, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? N’y a-t-il pas au moins une bonne raison de s’intéresser à l’objet ? La Wind de production a-t-elle la moindre chance de devenir un collector ? C’est avec une bonne foi et un souci d’objectivité exemplaires que nous allons nous efforcer de répondre à ces questions fondamentales…
Non
Depuis que la première Mazda MX-5 a fait son apparition, en 1989, bien des constructeurs ont tenté d’imiter l’exemple de la firme d’Hiroshima en s’efforçant, eux aussi, de concevoir des roadsters plus ou moins abordables, basés sur une relative simplicité technique et sur une forme de retour aux sources du plaisir automobile : vous êtes assis aussi près du sol que possible, un seul passager peut vous accompagner, on se contrefout du nombre d’espaces de rangement disponibles à bord, les moteurs ne sont pas forcément des monstres de puissance mais sont calibrés pour les balades sur des départementales ensoleillées, et il suffit de quelques gestes rapides pour décapoter. Au cours des années 1990, des marques aussi différentes que BMW (avec la Z3) ou Fiat (avec la Barchetta) se lancèrent sur ce marché et y rencontrèrent un succès mérité : par leur seule existence, ces voitures rafraîchissantes et joyeuses rappelaient que personne n’est condamné à s’enfermer dans de lugubres déplaçoirs à la morne physionomie. Il fallut cependant une vingtaine d’années à Renault pour se décider à accoucher de son interprétation du concept et c’est ainsi qu’au printemps 2010, toujours à Genève, le Losange présenta la version définitive de la Wind. Définitive parce que, comme nous l’avons évoqué plus haut, six ans plus tôt et au même endroit, les visiteurs du Palexpo avaient pu admirer une tout autre Wind Concept, très prometteuse, pleine de grâce, joviale et dont les possibilités d’industrialisation ne ressemblaient pas à une chimère.
Il y avait donc de quoi se montrer perplexe en découvrant ce dérivé de la Twingo II, tout entier élaboré autour d’un toit pivotant selon une cinématique astucieuse mais dont, malheureusement, l’intégration avait dicté des proportions particulièrement maladroites. Bien sûr, la beauté demeure une notion éminemment subjective mais il reste difficile d’accorder à cette étrange carrosserie les vertus de l’élégance classique. Insuffisamment fragmentés, les trois volumes de l’auto paraissent vouloir fusionner en un seul — démontrant par-là même l’absence de viabilité d’un roadster monocorps. À bord, le mobilier est globalement issu de la Twingo mais renonce heureusement à l’instrumentation centrale : Renault a fait l’effort de dessiner un bloc instrumental classique et plutôt bien présenté — vivent les aiguilles ! — mais cela ne compense pas les errances de la finition, la laideur des matériaux ni la présence d’un volant aussi charismatique qu’un parpaing.
Oui
Toutefois, si vous consentez à vous installer derrière ledit volant, vous découvrirez une machine fort compétente. Car son châssis n’a pas été mis au point par des incapables : les trains de roulement sont identiques à ceux de la Twingo R.S., dont la Wind sommitale — la seule recommandable, à notre humble avis — reprend également la mécanique. Avec 133 chevaux pour un peu moins de 1200 kilos, le rapport poids/puissance n’est pas celui d’une Lotus Elise, mais qu’importe : la vocation de l’engin se situe ailleurs. Très agréable à mener sur les parcours sinueux, bénéficiant d’un excellent compromis de suspension et de freins à la hauteur, l’auto ne trahit pas ses origines, ni le pedigree de ses devancières ; comme chacun sait, la Twingo II doit beaucoup à la Clio II, dont les versions sportives continuent de faire référence. De sorte qu’il n’est pas exagéré de considérer la Wind comme une Clio R.S. découvrable avec deux places en moins (et moins puissante, ajouteront les grincheux).
Avec cette grille de lecture, le petit roadster Renault devient subitement presque désirable : le toit s’efface en douze secondes et les ressources du moteur sont amplement adaptées à la promenade comme à l’arsouille. D’autant que le modèle n’est pas dénué de sens pratique : non seulement le coffre présente une contenance honorable (270 litres) mais en plus, contrairement à la plupart des coupés-cabriolets, celle-ci demeure identique, que le toit soit ouvert ou non. Et puis, entre nous, lorsque défile la voûte des arbres au-dessus de nos têtes, que la boîte est judicieusement étagée, que la mécanique exprime une joie de vivre communicative et que les courbes se succèdent sans donner lieu à un quelconque sous-virage, qui se préoccupe encore de la qualité des plastiques ou de la roture du logo ? Le train avant encaisse la puissance sans sourciller (et pour cause : il pourrait encaisser 50 chevaux de plus) et jamais l’auto ne se désunit. Destinée à une conduite active, la Wind n’est rien d’autre qu’une machine de plaisance utilisable tous les jours. À ce prix-là, la proposition devient singulièrement attractive !
Vous aimez les Ferrari ?
Car, à l’heure actuelle, dix mille euros constituent un plafond pour les plus beaux exemplaires disponibles à la vente, le gros du marché évoluant bien en-dessous de cette valeur pour la version 100 chevaux — celle-ci pouvant éventuellement convenir aux amateurs de conduite à la coule, mais il est dommage de disposer d’un tel châssis pour le sous-motoriser. Or, dix mille euros, c’est tout de même 86 fois moins cher que la Ferrari 575 Superamerica vendue en 2018 par RM Sotheby’s à Monaco. Voilà qui peut aider à compenser le léger déficit de puissance de la Wind par rapport à la berlinette italienne, identiquement décapsulée selon un principe breveté par Leonardo Fioravanti. Il est d’ailleurs étonnant, soit dit en passant, que ce dispositif n’ait pas fait davantage école : simple et ingénieux, il nous aurait épargné ce pénible cortège de coupés-cabriolets callipyges du genre Peugeot 308 CC, dont les places arrière n’étaient que des alibis et qui auraient fort bien pu être sacrifiées sur l’autel de l’esthétique. L’esthétique, parlons-en : c’est très probablement ce qui a assassiné la carrière de la Wind. Ni ses dimensions, qui sont celles d’une citadine de l’autre siècle, ni son physique déconcertant ne lui permettront de frimer, et c’est tant mieux : un peu comme les éphémères Smart Roadster, c’est une automobile sincère que sauront apprécier ceux que l’opinion d’autrui indiffère, et qui aiment conduire. Si vous en êtes et que vous lui laissez sa chance, vous ne serez pas déçu !