Renault Neutral : low cost syndical
En 1979, Renault rompait tout lien avec Dacia. En 1986, la CGT, pour sauver Billancourt, faisait une étrange proposition, une Renault minimaliste baptisée Neutral. En 1999, Renault rachetait Dacia, et en 2004 sortait la Logan. Aujourd’hui, en 2018, la part du low-cost dans les résultats de Renault ne cesse de grandir. Et si les idées farfelues de la CGT des années 80 avaient boosté le Renault des années 2000 ? Petite histoire de la Renault Neutral.
Vous l’avez ou pas ? Comme Paul Sernine ou Luis Perenna pour Arsène Lupin, Neutral n’est autre que le parfait anagramme de Renault, et ce trait de génie ne vient pas d’un service marketing, mais bel et bien de la CGT, à croire que les mecs du syndicat, dans les 80’s, étaient vachement plus pertinents que la plupart des mecs qui bossent aujourd’hui dans une agence de pub’ ! Car il faut bien l’avouer, penser à une voiture low cost, appelée Neutral (impec pour la cible) et issue de Renault, c’était être visionnaire.
Revenons en 1986. C’était un peu l’annus horribilis pour Renault, et en ce début d’année, on ne pouvait plus trop se le cacher : l’aventure américaine (lire aussi : Renault à la conquête de l’Amérique) coûtait un bras, et il fallait faire des économies. Georges Besse, le patron de l’époque, croyait dur comme fer à la conquête de l’Ouest, au point d’être prêt à sacrifier Billancourt et son île-usine, Seguin. Pour défendre les emplois et l’usine, la CGT allait faire sa révolution : plutôt qu’attiser le conflit, le syndicat devenait force de proposition, en présentant son idée automobile pour sauver l’emploi, l’usine, mais aussi Renault : la Neutral.
En fait, la CGT répondait à un désir profond chez Renault depuis des années : proposer le Véhicule Bas de Gamme (VBG) qui permettrait de motoriser la classe ouvrière et de remplir les caisses de la Régie Nationale. Un cercle vertueux quoi ! Disons que venant de la part d’un syndicat encore très lié à l’URSS (son président, Roger Sylvain, n’était-il pas allé un an avant, en février 1985, à Moscou pour tenter de refourguer outillage et équipements, comme s’il avait été PDG?) c’était assez détonnant comme projet « de lutte ».
Chez Renault, la situation était explosive. Lorsque Georges Besse arrivait à la tête de la Régie en janvier 1985, les pertes étaient déjà abyssales (entre 1984 et 1985, Renault cumulera 10 milliards de francs de pertes), et le nouveau PDG décidait aussitôt de stopper les projets non rentables immédiatement : le X45 (celui d’une petite voiture bas de gamme) en fera les frais. Le projet X55 lui évoluera vers le X57 qui donnera la Clio (lire aussi : Renault Clio ), remplaçante de la Super 5 (lire aussi : Renault Super 5). La Renault 4, elle, semblait condamnée à ne pas avoir d’héritière, du moins officiellement, car le bureau d’étude bossait bel et bien sur un projet, le W60, mais de façon discrète, voire secrète.
Pour la CGT qui n’était pas au courant de l’étude W60, il était évident que les problèmes de Renault (et le maintien de la production à Billancourt) seraient réglés par la production d’une voiture à bas coûts qui viendrait remplacer la vieillissante Renault 4. Et pour le prouver, elle décidait de proposer son propre projet, elle aussi de façon discrète et avec le concours des camarades ouvriers, techniciens et ingénieurs syndiqués. Le 7 novembre 1986, une maquette était présentée, tandis que des feuillets explicatifs et revendicatifs étaient imprimés.
La ligne était extrêmement basique, entièrement tournée vers l’efficacité industrielle et la rentabilité. Il s’agissait d’une « 4L » modernisée, et donc plus carrée façon 80’s (le 4 sur la calandre atteste de la filiation), dotée d’un moteur de Super 5. L’intérieur était très spartiate et le plastique omniprésent. Dans l’idée, elle descendait d’ailleurs plus de la Renault 3 que de la Renault 4 (lire aussi : Renault 3). En somme, la CGT réintroduisait dans les années 80 l’idée du low cost personnifiée dans les années 60 par les Citroën 2CV et Renault 3 / 4 : on parlait alors de voiture économique, répondant à un besoin simple avec des moyens simples, éprouvés et rentabilisés.
Dès la présentation de la Neutral, Georges Besse, décidé à mener son projet à terme (recentrer Renault sur les produits rentables, persister aux Etats-Unis avec l’espoir que les investissements consentis paieraient sur le long terme), balaie le projet d’un revers de la main. Le 17 novembre, soit 10 jours après, il était assassiné par Action Directe. L’organisation d’extrême gauche revendique le meurtre, expliquant agir en réaction aux décisions de licenciements massifs du PDG de Renault pour redresser les comptes, mais aussi à la mort de Pierre Overney, militant maoïste tué par un agent de sécurité de Renault quelques temps auparavant.
Georges Besse était alors remplacé par Raymond Lévy à la tête de Renault. L’assassinat de Besse avait changé la donne, et Lévy, arrivé en catastrophe, opta pour la solution la plus simple et la plus rapide pour sauver Renault : vendre les activités américaines à Chrysler, avec Iaccocca en embuscade. L’opération était discutable (AMC/Jeep s’approchaient de la rentabilité, grâce notamment au succès de la Jeep Cherokee, lire aussi : Jeep Cherokee XJ), mais avait le mérite de donner un grand bol d’air à la Régie, et de calmer la CGT : le projet Neutral resta dans les cartons, tout comme le projet W60, mis en sommeil.
Mais les traces de la lutte étaient encore présentes au sein de Renault. Aussi, lorsqu’en 1988 on décida de relancer un projet de petite voiture bas de gamme, ce fut là-encore dans le secret, sous le nom de projet W06 (W60 inversé). Un projet qui finira par aboutir, sous le crayon de Jean-Pierre Ploué, à la Twingo (lire aussi : Renault Twingo). De son côté, Louis Schweitzer qui avait vécu toute cette époque au sein de l’entreprise, n’oubliera sans doute pas l’idée du low cost. Le projet Neutral d’un côté, le succès de la Twingo de l’autre, l’avaient convaincu du potentiel d’un tel positionnement. En 1999, Renault rachetait Dacia pour la dédier à la voiture économique. Et si la Logan ne ressemblait en rien à la Neutral, elle en reprenait les principes : privilégier la praticité et la rentabilité immédiate au design et au superflu. On connaît la suite !