Les cabriolets Peugeot, d’avant ou d’après-guerre, il y en a à peu près pour tous les goûts, de la citadine décapsulée à capote ou toit en dur aux dérivés de berlines familiales, en passant par les rarissimes et fabuleuses 401, 601 et 402 « Éclipse » dues à l’imagination de Georges Paulin. De tous les constructeurs généralistes français, la firme de Sochaux aura été la plus prodigue dans le genre et, alors que cette longue tradition est désormais occise, les collectionneurs d’aujourd’hui s’en partagent âprement les survivantes. Parmi celles-ci, nous avons choisi de nous pencher sur la brève destinée de l’une des plus désirables de l’espèce, à savoir la 504 à moteur V6, produite durant seulement trois millésimes et dont les caractéristiques – élégance intemporelle, noblesse mécanique et joies de la conduite cheveux au vent – justifient amplement la convoitise qu’elle suscite…
Le retour du six-cylindres
Salon de Paris 1974. Porte de Versailles, l’atmosphère est singulière. L’on commence à ressentir, de façon concrète, les conséquences du choc pétrolier survenu il y a un an déjà. Des mesures drastiques ont été prises dans les derniers mois du mandat de Georges Pompidou, prématurément disparu au printemps : pour tous ceux qui aiment conduire, l’interdiction des compétitions automobiles ou la mise en place des premières limitations de vitesse sur autoroute ont profondément transformé le climat général. L’optimisme consumériste des Trente Glorieuses vient de se fracasser sur le mur d’une réalité sans merci et dont les ravages ne font que commencer. On l’aura compris, tel n’est pas le contexte idéal pour commercialiser des véhicules haut de gamme, généreusement motorisés et dont la consommation de carburant s’avère de moins en moins compatible avec les préoccupations de l’automobiliste lambda, dont chaque arrêt à la pompe scarifie le budget. Pourtant, c’est le moment que choisit Peugeot pour dévoiler ses premiers modèles six-cylindres depuis la guerre, sous la forme d’un coupé et d’un cabriolet 504 légèrement restylés pour l’occasion. Commercialisées depuis le printemps de 1969, ces voitures, intégralement dessinées par Pininfarina – qui en assure également une partie de la fabrication – représentent le sommet de la gamme du Lion. Elles ont fort logiquement pris la succession des 404 semblablement carrossées et, jusqu’ici, dans la bonne tradition maison, se sont contentées de mécaniques solides mais mièvres (celles que l’on trouve dans les berlines 504 à injection). Pour elles, l’année-modèle 1975 constitue donc un tournant significatif…
Les tribulations du PRV
Sous le capot des 504 à deux portes, on ne trouve désormais plus que le nouveau V6, qui ne vient pas élargir la gamme mais entraîne la suppression pure et simple du quatre-cylindres 2 litres. Les tarifs évoluent à l’avenant : en 1974, le cabriolet quatre-cylindres était vendu 30 700 francs (soit environ 26 000 euros de 2022) ; un an plus tard, la même carrosserie nantie du V6 s’affiche à 40 350 francs, c’est-à-dire 30 % plus cher, au moment où une Alfa Spider 2000 – qui côtoie la 504 dans les ateliers de Pininfarina – exige 40 900 francs pour pouvoir goûter à ses 128 ch. Nous citons la voiture de Milan en raison des performances et du tempérament du bialbero, mais là s’arrêtent les comparaisons car, à ce moment-là, la Peugeot ne connaît guère de concurrentes directes, les deux autres cabriolets européens à moteur six-cylindres, la Mercedes-Benz 280 SL et la Triumph TR6, évoluant dans d’autres univers. Ce n’est pas tous les jours qu’une voiture française inaugure un propulseur entièrement inédit et, d’autre part, hormis la Citroën SM alors à son couchant et animée par un moteur italien, aucun autre constructeur hexagonal ne propose de six-cylindres – une situation qui va changer dès l’année suivante, car le V6, s’il a été étudié par les motoristes de Peugeot, a été cofinancé par Renault et Volvo (d’où l’acronyme « PRV », par lequel on l’identifiera toute sa vie durant). Commencées en 1969, les travaux ayant mené à son élaboration correspondaient à un cahier des charges ambitieux, Peugeot et Renault (les Suédois ne se joindront qu’ultérieurement à l’aventure) prévoyant dès l’abord de s’attaquer aux meilleures références européennes, qu’elles viennent d’Allemagne, d’Italie ou du Royaume-Uni. C’est la raison pour laquelle le projet initial comporte non seulement un V6, mais aussi un V8 !
Des ambitions contrariées
Ce dernier ne verra hélas pas le jour, l’enthousiasme des trois partenaires ayant été sérieusement refroidi par les péripéties pétrolières évoquées plus haut. Il va cependant léguer à son petit frère un encombrant héritage technique, sous la forme d’un angle d’ouverture de 90 degrés, aussi logique pour un V8 qu’incongru pour un V6 dont, comme chacun sait, l’angle idéal est de 60 degrés. Dans son passionnant ouvrage Peugeot V6 – 50 ans de prestige et de victoires (éditions E.T.A.I.), Philippe Coignard explique : « (…) dans le cas d’un moteur à six cylindres, un fonctionnement « rond » et harmonieux ne peut être obtenu que par une répartition des temps moteurs tous les 120°. » Au ralenti, même si les performances progressent sensiblement par rapport au cabriolet quatre-cylindres, le déséquilibre du PRV se ressent et s’entend ; on est loin de la régularité de marche d’un six-cylindres bavarois, par exemple. S’y ajoute une puissance honorable dans l’absolu mais décevante (136 ch à 5750 tours/minute) compte tenu de la cylindrée de 2664 cm3, et une alimentation archaïque assurée par deux carburateurs Solex (un double corps et un simple corps), qui surprend de la part de Peugeot – rappelons que, douze ans plus tôt, la 404 avait été la première voiture française à injection. De surcroît, la 504 doit se contenter d’une boîte à quatre vitesses, ce qui permet à la fois de profiter du généreux grondement du V6 lors des trajets autoroutiers menés à bonne allure et de fréquenter assidûment les stations-service…
Une Peugeot d’exception
Bien sûr, le PRV ne va cesser de se bonifier avec le temps pour devenir, à terme, un moteur tout à fait recommandable et, dans certaines variantes, digne des meilleurs – même s’il faudra encore attendre une dizaine d’années pour qu’il reçoive le vilebrequin à manetons décalés lui conférant l’équilibre de fonctionnement qui lui manquait jusqu’alors. Toutefois, et de façon difficilement compréhensible, le cabriolet 504 ne bénéficiera jamais des améliorations que Peugeot va apporter au V6 à partir du millésime 1978 – alimentation à injection Bosch K-Jetronic et boîte cinq vitesses –, dont le coupé 504 et la berline 604 seront les seuls à profiter. Car, confronté aux ventes décevantes des 504 V6, Peugeot décide de réintroduire le quatre-cylindres dans la gamme dès l’été 1977, cette motorisation devenant dorénavant la seule disponible dans le cabriolet. La 504 V6 décapotable est donc la version la plus attrayante et la plus rare de la série ; seuls 974 exemplaires ont été construits, dont 292 avec la boîte automatique General Motors à trois rapports proposée en option. Mal protégées contre la corrosion, ces voitures ont par ailleurs souffert d’un entretien souvent négligé à l’époque où elles relevaient du marché de l’occasion et, de nos jours, les beaux exemplaires se font donc rares, d’autant que les restaurations s’avèrent onéreuses ; la cote s’en ressent et il faut à présent prévoir un minimum de 30 000 euros pour repartir au volant de cette grande classique – incarnation même d’un plaisir de conduite classieux, feutré et sans tapage, enveloppé dans l’une des plus belles carrosseries françaises de l’après-guerre. Dépêchez-vous, il n’y en aura pas pour tout le monde !
Texte : Nicolas Fourny