Peugeot 504 : le si discret best-seller du Lion
Les automobiles des années 60 et 70 ont souvent marqué l’imaginaire des gamins de l’époque (des quadra/quinqua d’aujourd’hui quoi). Cette période marque le réveil de l’industrie automobile française qui devient enfin conquérante et élargit ses gammes après avoir passé les années 50 à reconstruire et à reprendre pieds. A cette époque, le marché était moins « marketé » qu’aujourd’hui, moins segmenté, et les marques nationales se payaient la part du Lion dans leurs pays respectifs. En France, après la disparition de Panhard en 1965, il reste 4 marques généralistes : Renault, Peugeot, Citroën et Simca qui se tirent la bourre à coup de lancements plus ou moins spectaculaires.
Pendant que Citroën continue d’étonner avec sa DS, et tente de monter en gamme, en puissance (lire aussi : Citroën SM) et en technologies avec des modèles à moteur Wankel (lire aussi : Citroën M35 et Citroën GS Birotor), et tandis que Renault innove en jouant la carte du hayon (lire aussi : Renault 16), Peugeot de son côté frappe discrètement un grand coup en lançant en 1968 sa nouvelle berline haut de gamme (en attendant la 604), la fameuse 504.
Sérieuse et statutaire, la 504 semble terriblement classique face à ses concurrentes, et on pourrait croire que la marque au Lion fera de la figuration sur un marché automobile avide de nouveautés, d’avancées technologiques et de design modernes. Erreur : cette grande berline qui succède à la 404 sera l’un des best-seller de Peugeot. Avec 3,7 millions d’exemplaires produits entre la fin 1968 et… 2005, la 504 ne sera dépassée que par la 205 et la 206 au palmarès de Sochaux ! Discrètement, lentement, mais sûrement, elle jouera sur ses qualités intrinsèques pour se faire une place sur toutes les routes du globe, et durant de nombreuses années, marquant à jamais l’esprit des petits français, mais aussi des argentins, des Africains, et même des Américains (dans une moindre mesure il est vrai).
La 504 est en quelque sorte la première voiture « mondiale » de Peugeot. Elle sera fabriquée en France certes (ainsi qu’au Portugal pour l’Europe), mais aussi au Nigeria (lire aussi : La 504 au Nigeria), au Kenya, en Afrique du Sud, en Tunisie et en Egypte pour l’Afrique ; en Chine (lire aussi : Peugeot en Chine) et à Taïwan pour l’Asie ; en Australie et en Nouvelle-Zélande pour l’Océanie ; et enfin au Chili et surtout en Argentine (lire aussi : La Peugeot 504 en Argentine) pour l’Amérique du Sud. Elle sera aussi commercialisée aux USA (mais fabriquée en France), avec un certain succès, notamment en tant que taxi ! Bref, un succès que son physique passe-partout ne laissait pas augurer… Et pourtant.
La 504 connaîtra un certain succès outre-Atlantique
Petite anecdote, en 1998, il se vend encore près de 8000 exemplaires de 504 dans le monde, à comparer aux 3900 exemplaires de la 605 la même année : tout simplement le double. D’ailleurs, les usines de Sochaux vont continuer à fabriquer des coques, des pièces et des moteurs de 504 jusqu’en 2005, envoyés par bateaux ou avions au Nigeria. En France, malgré le lancement de sa remplaçante en 1979, les 504 breaks, berlines, coupés et cabriolets survivront jusqu’en 1983, tandis que le pick-up sera, lui, vendu jusqu’en 1996 (importé d’Argentine pour les deux dernières années). Avec la 504, Peugeot sera des années durant le roi de l’Afrique, qu’elle soit fabriquée sur place ou importée d’occasion de France.
La version pick up sera vendue jusqu’en 1996 en FranceComment expliquer ce succès incroyable ? Loin de l’innovation, de l’exubérance et des designs alambiqués de ses concurrents, Peugeot a joué sur ses qualités : la 504 est le fruit de l’expérience, de la prudence, et du sérieux d’un constructeur bourgeois (réactionnaire ?), provincial et conformiste, et ce qui aurait pu être un handicap certain s’est transformé en avantage concurrentiel : la robustesse de la 504, sa fiabilité, sa simplicité, en feront la voiture idéale tant en France que sur les pistes africaines. En outre, Peugeot va décliner son modèle en de nombreuses variantes permettant de toucher toutes les franges de la population, à l’heure où les grandes berlines ne sont pas seulement des haut de gamme, mais aussi des voitures familiales et donc populaires. De la 504 L de base à la V6, de l’essence au diesel (dont Peugeot se fait le champion), de la berline au break, au coupé (lire aussi : Peugeot 504 Coupé), au cabriolet, au pick-up, et même aux versions 4×4 préparées par Dangel, il y en a pour tous les goûts, les couleurs, et surtout les budgets. Et contrairement à ses concurrents, Peugeot reste fidèle à la propulsion, ce qui donne à la 504 un charme certain aujourd’hui (tout comme la 505, ultime « propu » du Lion).
Côté moteur, on trouve de tout au fil des ans. Née avec le moteur 1.8 litres essence « carbu » (73 ch puis 78 ch) ou « injection » (97 ch), qui passera à 2 litres en 1971 (carbu 93 puis 97 ch, injection 103 puis 106 ch), elle recevra par la suite un diesel 2.1 (65 ch mais aussi 59 ch plus tard), un 1.9D (50, 56 ch puis 49ch) 2.3D (70 ch), le V6 PRV 2.7 litres (136 ch puis 144 avec le passage à l’injection, uniquement sur les cabriolets et coupés), et un 1.6 essence (62 ch, pour le pick-up uniquement), je crois que le compte est bon. En tout cas, voilà la large palette de moteurs proposée par Peugeot pour sa 504.
Une autre façon de marquer les esprits
Pour entretenir sa légende naissante, notamment sa robustesse, Peugeot va aussi jouer la carte du sport, avec des berlines ou des coupés, particulièrement sur les rallyes africains (Bandama, Maroc, Rallye Safari, Zaïre, Kenya, et même en Suède dans la catégorie diesel…). Autant de victoires, ou de fameuses prestations, qui assureront à la 504 sa réputation.
Dès son lancement (malgré les retards dus aux « événements » de 1968 qui repoussèrent le lancement de juillet à novembre), la 504 trouvera son marché en France grâce aussi au contexte : avec une DS en bout de course, et une CX qui ne sortira qu’en 1974 (lire aussi : Citroën CX), une Renault 16 datant déjà de 1965, et dont le style pouvait rebuter une clientèle traditionnelle, la 504 s’offrait un boulevard. D’ailleurs, mon Grand-père, pourtant fidèle à Citroën depuis sa première Traction, et roulant en DS pendant toutes les années 60 (il fit une incartade du côté de Panhard après Suez pour disposer d’une voiture plus économique aux côtés de sa 11 Familiale, mais qui s’avéra plus souvent au garage que sur la route), n’hésita pas à passer chez Peugeot au début des années 70 et à s’offrir une 504 2 litres injection. La 504 était, malgré son conservatisme, un outil de conquête, taillant des croupières à Citroën et Renault (Simca restait en retrait sur ce marché, avec des 160/180 et 2 litres inadaptées au marché français).
La 504 berline (je mets à part les Coupés et Cabriolets) est donc une voiture à collectionner avant tout le monde. Son importance dans la production automobile française, son confort (j’ai des souvenirs de voyages Bourges-Ile de Ré en 504 TI, bien installé sur cette banquette arrière moelleuse en velours brun, qui restent gravés dans ma mémoire), ses motorisations robustes à défaut d’être véloce (quoi qu’à l’époque, 100 ch sur une berline en faisaient une voiture puissante), et ses tarifs très doux aujourd’hui en font une voiture désirable. Enfin, si c’est l’originalité qui vous tente, pourquoi ne pas partir en quête d’une version « moderne » issue du Nigéria ou d’Argentine (avec restylage), ou même se la jouer comme un fameux journaliste de l’AFP qui pousse le vice jusqu’à posséder un modèle américain diesel (!). À vous de voir.
Pour en savoir plus sur la Peugeot 504 : https://www.504.org/