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Peugeot 504 coupé et cabriolet : la nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Par Nicolas Fourny - 02/03/2023

« Tout comme la berline 504 correspondait à une rupture stylistique très nette avec sa devancière, les deux variantes présentées au Salon de Genève de 1969 s’éloignaient radicalement du style déjà daté des 404 commercialisées huit ans auparavant »

Cela pourra sans doute surprendre ceux qui connaissent la gamme Peugeot contemporaine, saturée de SUV mafflus et de berlines origamisées jusqu’à l’overdose mais, plusieurs décennies durant, la firme franc-comtoise laissa s’épanouir une fructueuse relation avec le carrossier italien Pininfarina, dont le seul nom était alors synonyme de beauté classique et de grâce formelle. Partenaire privilégié du Lion jusqu’au mitan des années 2000, l’officine turinoise signa bon nombre de chefs-d’œuvre sous la forme de dérivés plus ou moins récréatifs aux côtés de sobres conduites intérieures destinés à la petite-bourgeoisie. De la sorte et plus de quarante ans durant, coupés et cabriolets vinrent égayer un catalogue qui, à défaut, aurait sombré dans une austérité flirtant dangereusement avec l’ennui. Et parmi eux, le duo des 504 ainsi gréées, auquel la marque française a adressé un joli clin d’œil avec le concept-car e-Legend en 2020, n’est certainement pas le moins captivant…

Peugeot vs Pininfarina

C’est à partir du début des années 1950 que Peugeot organisa une forme de compétition rituelle entre ses propres stylistes — structurés de façon très embryonnaire à l’époque — et ceux de la Carrozzeria Pinin Farina. Ceux-ci remportèrent fréquemment la partie, au grand dam de Paul Bouvot et de son équipe, et ce fut d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de concevoir des carrosseries plus spontanément portées vers la frivolité que les berlines et les breaks aux destinées laborieuses qui constituèrent longtemps le fonds de commerce de Sochaux. Ainsi, après un cabriolet 403 qui, à l’instar des 203 à deux portes, avait été entièrement conçu en interne, le bureau d’études de la Garenne-Colombes dut successivement s’incliner devant les propositions transalpines pour les 404 coupés et cabriolets, puis pour les 504 qui nous intéressent aujourd’hui, dont Pininfarina allait également assurer une partie de la fabrication. Et, tout comme la berline 504 correspondait à une rupture stylistique très nette avec sa devancière, les deux variantes présentées au Salon de Genève de 1969 s’éloignaient radicalement du style déjà daté des 404 commercialisées huit ans auparavant.  Aux optiques rondes, aux lignes tendues et aux feux arrière verticaux qui avaient longtemps caractérisé le style Farina — les propriétaires de Fiat 1500 cabriolet en savent quelque chose… —, succéda un vocabulaire esthétique très différent et, pour tout dire, ne répugnant pas à lorgner de l’autre côté de l’Atlantique, certains esprits chagrins n’hésitant pas à comparer les nouvelles Peugeot à la Chevrolet Camaro dévoilée deux ans plus tôt.

Du raffinement en grande série

Nous ne les suivrons toutefois pas sur ce terrain car, à notre sens, les deux 504 arborent une personnalité bien distincte de la muscle car américaine, même si certains gimmicks peuvent se retrouver ici et là. La gracilité générale de la Peugeot, la générosité de son vitrage (dictée par une ligne de caisse bien plus basse que sur la Chevrolet), sans parler de l’exquise finesse de la poupe, marquée par de très inspirés feux en « griffe de lion » auxquels le constructeur ne cesse d’ailleurs de rendre hommage depuis la 3008 de deuxième génération — tout cela aboutit à une création sans grand rapport avec une quelconque copie. Il est de surcroît remarquable de noter que, tout comme les 404, le coupé et le cabriolet 504 ne partagent aucun embouti avec la berline dont ils sont issus ; mais, par-dessus le marché, et contrairement à leurs prédécesseurs, à la demande expresse de la direction de Peugeot, ils ne cultivent aucune ressemblance avec celle-ci. Ici, nul regard à la Sophia Loren (pour les quatre projecteurs, Pininfarina s’est contenté de recycler les longue-portée des dernières 404 !), et pas non plus de cassure incongrue du profil au niveau de la malle arrière : situés au sommet de la gamme Peugeot, les deux modèles revendiquent une certaine quiétude bourgeoise, ce que traduit très fidèlement un profil tout entier voué à l’harmonie et subtilement dynamisé par le léger ressaut que l’on peut observer à partir du montant B.

De la classe, mais pas de luxe

Vous l’aurez compris : comme très souvent chez Peugeot, ni l’avant-gardisme ni l’innovation à tout crin ne faisaient partie du cahier des charges et cela ne constitue pas une critique en soi ; il existe toujours une frange plus ou moins large de la clientèle qui demeure éprise d’un classicisme de bon aloi, à l’abri des modes, gage d’une certaine intemporalité. Au demeurant (et sans que cela ait été prévu par ses concepteurs), c’est sans doute ce qui a permis à notre fringant duo de demeurer aussi longtemps au catalogue : quatorze ans après leur lancement, les 504 sommitales avaient encore de beaux restes… Il faut en convenir, leur évolution esthétique n’aura pas trahi la classe du dessin original si l’on excepte les hideux pare-chocs en résine venus alourdir inutilement l’ensemble à partir du millésime 1980. On pourra aussi plus modérément regretter l’apparition de feux arrière banalisés dès l’automne de 1974, qui firent perdre beaucoup de sa personnalité à la poupe. Pour sa part, l’habitacle a suivi la même pente ; lui aussi spécifique hormis le bloc instrumental (privé de compte-tours sur les premiers exemplaires !), il n’exsude aucun raffinement particulier, la seule touche de luxe concernant les lève-vitres électriques (rarissimes en France à la fin des années 1960). De façon incompréhensible, même le cuir est absent au début — y compris en option — et les clients doivent choisir entre un velours et un skaï solide mais dépourvu de noblesse. En fin de parcours, l’auto se verra affublée de placages en faux bois d’un goût douteux et d’une instrumentation inédite aux cadrans surdimensionnés. À tout prendre, on aurait préféré une amélioration de la finition, scandaleusement moins soignée que celle des berlines…

Un V6 et des lanternes

Mécaniquement parlant, l’itinéraire des 504 coupé et cabriolet aura été plus mouvementé. Bénéficiant du train arrière à roues indépendantes (un progrès notable par rapport à l’essieu rigide des 404) mais reprenant sagement et à l’identique le quatre-cylindres 1,8 litre à injection de la berline, les deux modèles ne provoquent aucune surprise sur ce plan lors de leur présentation officielle. Depuis l’après-guerre, Peugeot a habitué sa clientèle à ne proposer aucune motorisation spécialement ambitieuse sur ses modèles les plus coûteux et les nouvelles venues ne font pas exception à la règle. Avec ses 97 ch et son arbre à cames latéral, le seul moteur disponible au départ n’a pas de quoi bouleverser l’amateur qui, à un tarif équivalent, peut se tourner vers une Alfa Romeo 1750 (plus abordable que la 504, en coupé Bertone comme en spider Duetto), certes vieillissante mais autrement plus jouissive à mener, ou encore vers une BMW 2002. Cuore Sportivo ou Freude am Fahren ? Ni l’un ni l’autre : le jansénisme sochalien veille au grain et ce n’est pas l’arrivée du 2 litres, en 1971, qui va réellement changer la donne, en dépit d’une augmentation de puissance bienvenue. C’est pour l’année-modèle 1975 que les choses vont réellement bouger, avec l’apparition d’un V6 qui va faire couler beaucoup d’encre (et aussi beaucoup d’essence, bougonneront les grincheux). Car, avec la Volvo 260, le coupé et le cabriolet 504 ont l’honneur d’inaugurer le fameux PRV ! Ce moteur longtemps vilipendé par la presse spécialisée vaut infiniment mieux que sa réputation et n’a cessé de se bonifier au fil d’une longue carrière mais, il faut bien le reconnaître, sa première version n’a pas de quoi enthousiasmer les foules… Avec seulement 136 ch pour 2664 cm3, le rendement s’avère décevant (51 ch au litre !) en comparaison de ce que les Allemands savent faire depuis de longues années déjà. Soiffard et affublé d’une carburation manifestement mise au point par une bande de sadiques, ce groupe consterne les essayeurs par son irrégularité de marche (il est ouvert à 90 degrés, comme le V8 mort-né qui devait initialement l’accompagner) et ne confère aux deux 504 que des performances moyennes, très inférieures par exemple à celles d’une SM alors moribonde.

De la haute couture au prix du prêt-à-porter

Mais Peugeot veut à toute force imposer son V6 à la clientèle et supprime carrément les versions à quatre cylindres de son catalogue ; décision pour le moins hasardeuse alors que l’Europe subit de plein fouet les conséquences du premier choc pétrolier. La réaction du marché ne se fait pas attendre ; les ventes s’effondrent et, dès le millésime 1978, le quatre-cylindres est de retour dans les deux carrosseries, le PRV — à présent nanti d’une injection Bosch K-Jetronic — étant désormais exclusivement disponible avec le coupé, choix difficilement compréhensible à l’époque mais qui assoit la grande rareté du cabriolet V6, certainement le plus désirable de la série (seules 974 unités furent construites). La fiche technique des deux voitures ne changera plus, en dehors de l’adoption d’une boîte de vitesses à cinq rapports pour les 2 litres à l’automne de 1979 et, dès le début des années 1980, les ventes deviendront anecdotiques (un peu plus de 500 exemplaires par an en moyenne pour les deux carrosseries). Très peu soutenues commercialement par Peugeot, le groupe PSA rencontrant de graves difficultés financières dès la fin des années 1970, les deux 504 vont achever leur carrière à l’été 1983 dans l’indifférence générale et seront privées de successeurs directs, les études menées sur la base de la 505 étant malheureusement restées au stade de prototypes.

10.2 sec0-100
144cvPuissance moteur
2.6LCylindrée

Près de quarante ans après l’arrêt de leur production, il y a belle lurette que ces autos sont entrées en collection. Le marché est désormais mature et les beaux exemplaires sont plus nombreux que les merguez ; bien sûr, tout cela a un coût : le temps des cotes au ras des pâquerettes et des semi-épaves dévorées par la corrosion puis retapées avec du sparadrap est heureusement révolu. Bien des amateurs avisés ont su investir dans des restaurations de qualité — pratiquement impératives étant donné la médiocrité des tôles employées par les Italiens. Cela ne surprendra personne, le cabriolet est sensiblement plus coté que le coupé, mais pour notre part nous préférons néanmoins ce dernier, pour l’élégance aérienne de son pavillon, la finesse de ses montants et le délicat enchâssement de la lunette arrière. Pour autant, quelle que soit la carrosserie que vous choisirez, votre décision sera la bonne : avec une grande classique de ce calibre, impossible de se tromper…



Texte : Nicolas Fourny

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