Mercedes B55 V8 : la B et la bête
Greffer un méchant V8 sur une banale Classe B, mission impossible ? Que nenni. C’est à l’usine de Rastatt, en 2010, que des apprentis (sorciers ?!) ont relevé le défi. Retour sur un des projets les plus fous jamais lancés par la marque allemande.
Sorties respectivement en 1997 et 2004, les deux premières générations Classe A et B se sont écoulées à 2,5 millions d’exemplaires en Europe. Ce succès – pas gagné au départ – est peut être à la base d’une « folie » peu connue dont raffole Boîtier Rouge. L’usine allemande de Rastatt, sise à 40 kilomètres au nord-est de Strasbourg est le berceau de ces deux compactes. En 2010, le directeur du site cherche à faire mousser son centre d’apprentissage interne. Il challenge ce dernier en lui demandant de concocter – je reprends ses termes – « un véhicule spécial prenant pour base la Classe B ». Précisons qu’en Allemagne, on accorde une importance toute particulière à l’apprentissage. Nombre de dirigeants de Konzern allemands comme Dieter Zetsche, le patron de Daimler, ne sont-ils pas passés par cette case ?
Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos canassons ! En effet, le projet qui nous occupe ici s’articule autour de la puissance. Andreas Würz, chef du centre de formation technique de l’usine, accepte de relever le défi. Et, au bout de quelques jours, fait une révélation fracassante: un V8 pourrait rentrer dans le compartiment moteur ! Son homologue du service électrique/électronique se rallie à sa cause. Ensemble, ils vont monter une équipe de choc de 12 apprentis chargés de mener à bien cette mission.
Partie de Mécano
Un cahier des charges est rapidement ficelé. Le véhicule conservera l’architecture plancher-sandwich, les modifications intérieures/extérieures devront rester très discrètes, le véhicule final devant être parfaitement conduisible. Un challenge on vous dit ! Grâce à des fonds spéciaux alloués par la direction du personnel, le projet peut commencer. Le team récupère une banale Classe B mazout à l’atelier de formation. Après une « mise à poil » carabinée, on se lance dans l’implantation du V8 5,5 l d’une Classe S, accompagné de sa boite automatique 7 vitesses.
Würz en recrache presque son bretzel: le maousse bloc rentre pile-poil dans la baie moteur, sans même devoir changer les supports. Des difficultés se présenteront tout de même, sinon, l’exercice ne serait pas drôle. L’adaptation de la direction notamment, mais aussi celle de l’échappement. Cherchant l’aiguille dans la botte de foin constituée par l’épais catalogue de pièces détachées, ces deux obstacles sont levés. C’est ainsi qu’une double sortie d’échappement centrale apparaît au bas du pare-choc arrière. Pour le coup, on n’est pas vraiment dans la discrétion avec une voix bien virile, évoquant presque les borborygmes d’une AMG. Le tuner maison n’aurait pourtant jamais participé à la fête, sois dit en passant. Pour l’aménagement intérieur, ce sont cette fois les apprentis de la « Große » usine de Sindelfingen (qui assemble notamment les Classe S) qui se prêtent au jeu. De l’Alcantara recouvre volant – à méplat – , montants et ciel de toit, la sellerie adoptant un combo cuir-Alcantara. Très Classe, cette B ! La robe quant à elle se drape d’un joli blanc, la base des phares et la calandre recevant un discret traitement noir.
Au bout du compte, la « bête » n’accuse que 1620 kilos. Soit à peine deux quintaux de plus que la B 200 CDI d’origine. Par rapport à celle-ci, la désormais nommée « B55 » dispose de 248 chevaux supplémentaires, le couple moteur passant de 305 à 530 Nm. Les perfs s’en ressentent, avec 250 en pointe et un 0 à ein hundert couvert en moins de 6 secondes. Des chiffres estimés par nos amis formateurs, mais qui semblent des plus réalistes. Les Classe A 38 et 32 AMG – autres raretés devant l’éternel Karl Benz – sont égalées (lire aussi : Mercedes A38 AMG et A32 K).
La seule Classe B propulsion
Pour faire passer une telle cavalerie, la solution propulsion s’impose. Après quelques tâtonnements, on greffe – après avoir conçu un nouveau sous-châssis – le train arrière d’un break Classe E W210 « quatre yeux ». Sa voie arrière de 1540mm permet en effet de conserver l’aspect initial de la carrosserie, cette B underground devant ressembler comme deux goutes d’eau à une B en finition Sport. Pour arrêter tout ce beau monde, les quatre disques ventilés de la Classe C32 AMG font l’affaire, combinés avec des jantes 18 pouces couplées à une monte 235 AV / 255 AR. La suspension est rabaissée grâce à des ressorts K&W, marque très appréciée dans le monde du tuning. On fait en revanche l’impasse sur l’adaptation des garde-fous ABS, ASR et ESP, dépassant les compétences de nos jeunes recrues. Tester ce gros jouet ne sera donc possible que sur la large piste d’essais attenant à l’usine. La poignée de journalistes conviés pour une séance d’essais osera à peine grogner, restant hébétée devant la poigne du seul monospace V8 du monde et sa qualité de la réalisation.
Cette B55 restera unique dans l’histoire de la marque. Dommage. Moyennant quelques modifications supplémentaires, elle aurait sans doute pu être homologuée. Et vendue largement plus de 100 000 euros, prix estimé de cette conversion. Preuve est ainsi faite qu’outre-Rhin, les jeunes en apprentissage sont autrement traités que nos pauvres BEP. Nos (ex) ministres de l’éducation, Monsieur Peillon en tête, vont devoir méditer sur ce cas !
Texte : Michel Tona