Longtemps dans le creux de la vague – tel est, hélas, le destin usuel des automobiles de luxe –, les coupés Mercedes de la série C126 commencent toutefois à intéresser les amateurs de youngtimers, qui en (re)découvrent peu à peu l’élégance et le charisme. Chef-d’œuvre absolu de Bruno Sacco, le modèle incarne à lui seul la quintessence du style stuttgartois de ce temps-là, impérieux mais sans lourdeur, opulent mais sans vulgarité, bourgeois mais sans frilosité. La notion d’intemporalité, si galvaudée aujourd’hui, semble pour une fois amplement justifiée : à l’instar de leurs aînées, ces voitures étaient dès leur naissance vouées à devenir un jour de grandes classiques. Quarante ans plus tard nous y sommes et, quel que soit le V8 que vous choisirez – aucune SEC ne comptant moins de huit cylindres – de grands bonheurs vous attendent ; et ceux-ci seront carrément indépassables s’il s’agit du pinacle de la gamme, nous avons nommé la 560 !
La (vraie) meilleure voiture du monde
Salon de Francfort 1981. Après l’intérim en demi-teinte assuré dix années durant par la SLC, Mercedes donne enfin une descendance véritable aux glorieux coupés de la série W111, renouant ainsi avec la tradition des dérivés à deux portes issus de la Classe S. Cette fois, il ne s’agit plus d’une SL à empattement long et à toit fixe : le nouveau modèle – ce dont témoigne son code interne, C126 – dérive directement de la berline Classe S dévoilée à l’automne de 1979 et qui, dans sa version sommitale, la 500 SEL, est déjà considérée par certains observateurs comme la meilleure berline du monde, surpassant à plusieurs égards les Rolls-Royce Silver Spirit et Bentley Mulsanne. Ayant renoncé à la lourdeur et à l’ostentation chromée de la W116, la nouvelle S-Klasse impressionne autant par l’harmonie d’un design veuf de toute ostentation que par ses qualités routières, sans parler d’une gamme de motorisations susceptible de répondre à la plupart des besoins d’une clientèle substantiellement exigeante. Au sommet de celle-ci, on trouve le V8 5 litres M117 qui, de façon confidentielle, avait fait les beaux jours des éphémères 450 SLC 5.0 puis 500 SLC. D’une cylindrée exacte de 4973 cm3, ce groupe tout alu n’en est pourtant qu’aux prémices de son développement. Sur les premières 500 SE/SEL, il développe avec bonhomie 240 ch à 5000 tours/minute – mais va perdre rapidement 9 ch en vertu du vertueux « programme d’efficacité énergétique » mis en œuvre dès l’année-modèle 1982 sous la pression des Grünen allemands, offusqués par cet indécent étalage de puissance…
Le coup de maître de Bruno Sacco
Pour autant, même avec « seulement » 231 ch, la berline 500 présente un bilan général bien plus favorable que feue la sauvage 450 SEL 6.9 et atomise littéralement la concurrence, BMW 745i et Jaguar XJ12 en tête. Et c’est ce même moteur que l’on retrouve en octobre 1981 sous le capot du plus puissant des deux coupés, dénommé 500 SEC. Bâtie sur un empattement raccourci de 85 millimètres par rapport à la berline « châssis court », l’auto parvient à sublimer le design d’icelle et, en dépit de dimensions très généreuses pour sa catégorie, présente un profil presque aérien, dont l’architecture pillarless chère à la marque renforce encore la grâce. De fait, la transformation s’avère particulièrement réussie et, si les 380 et 500 SEC – 4,91 mètres de long, 1,82 mètre de large – pourraient être assimilées par des esprits chagrins à de simples berlines deux portes, car plus volumineuses que les Jaguar XJ-S, Porsche 928 ou BMW Série 6, elles s’inscrivent sans ambages dans la catégorie des grand tourers européennes, avec les avantages d’une habitabilité relativement généreuse à l’arrière ainsi que d’une capacité d’emport supérieure à la moyenne. Bien sûr, on n’achète pas ce genre de voiture en se préoccupant avant tout du volume du coffre mais, pour un coupé susceptible d’accueillir quatre passagers et destiné aux grandes randonnées autoroutières, ce « détail » n’est pas forcément dénué d’importance.
La préférée des pilotes
Comme à la grande époque des coupés W111, l’auto acquiert très vite son statut de référence absolue dans sa catégorie. D’une fiabilité métronomique, mieux finie qu’une Jaguar, plus habitable qu’une Porsche et plus raffinée qu’une BMW, elle demeure certes moins véloce que les XJ-S V12 (295 ch), 928 S (300 ch) ou 635 CSi (218 ch) mais, à la vérité, ceux qui la plébiscitent ne se recrutent que rarement chez les obsédés du chronomètre. Comme toute Mercedes qui se respecte, la 500 SEC personnifie une forme de synthèse proche de l’idéal et, de longues années durant, va rester le meilleur choix pour ceux qui désirent se déplacer rapidement d’une métropole à l’autre (et, accessoirement, devenir la monture favorite de plusieurs pilotes de Formule 1). En ce temps-là, il n’existe tout bonnement pas de machine plus compétente pour abattre mille kilomètres en une journée, dans de telles conditions de sécurité et de confort – avec, de surcroît, la sensation si rassurante de toujours disposer d’une confortable réserve de puissance en cas de besoin. Pourtant, la concurrence ne reste pas inactive ; Porsche et BMW fourbissent des évolutions à quatre soupapes par cylindre de leurs moteurs de pointe tandis que, chez AMG, encore indépendant de Mercedes à ce moment-là, ceux qui reprochent une certaine pusillanimité mécanique à la 500 SEC de série peuvent se tourner vers la maison d’Affalterbach pour se procurer des évolutions autrement plus épicées (nous songeons en particulier au très beau V8 à 32 soupapes présenté dès 1984)…
Rien ne remplace les centimètres cubes
À l’automne de 1985, la Daimler-Benz procède à un restylage minimaliste de la série 126, qui concerne aussi bien les berlines que les coupés. Comme souvent chez les constructeurs allemands, ce rajeunissement ne révolutionne pas la physionomie des modèles concernés, ce qui présente l’avantage de ne pas ringardiser leurs prédécesseurs. C’est sous les capots que surviennent les évolutions les plus marquantes ; à l’exception des 500, tous les moteurs sont remplacés ou bénéficient d’un accroissement de leur cylindrée. Néanmoins, Stuttgart n’en reste pas là et décide de pousser la plaisanterie plus loin ; l’apparition prochaine d’une certaine BMW 750i à moteur V12 n’est certainement pas étrangère au sursaut d’orgueil qui aboutit à la présentation, au Salon de Francfort, des nouvelles 560 SEL et SEC, dont le V8, s’il se refuse encore à céder à la vogue des multisoupapes, a plutôt choisi d’accroître ses capacités thoraciques. Si la logique nomenclaturale avait été respectée, il aurait fallu parler de « 550 », car le M117, par le biais d’un ultime réalésage, atteint désormais 5547 cm3 – mais qu’importe ; le message adressé à la firme bavaroise est très clair et c’est bien là tout ce qui compte, même si les progrès accomplis en termes de puissance réelle doivent être nuancés. Car, en effet, la 560 SEC fait irruption sur le marché à un moment où la catalysation est encore loin d’être généralisée. En fonction des obligations réglementaires, des marchés et des cylindrées, le client potentiel peut de la sorte constater des écarts de puissance parfois considérables en fonction de la présence ou non du fameux catalyseur – synonyme, dans presque tous les cas, d’une régression plus ou moins significative.
Un moteur, trois puissances
Et, dans le cas du V8 « 560 », la situation est encore plus complexe car Mercedes va décliner le M117 ainsi gréé en trois niveaux de puissance ; 242 ch pour les marchés exigeant les niveaux de dépollution les plus élevés, comme le Japon ou les États-Unis ; 279 ch pour les versions européennes catalysées, dénommées « KAT » ; et enfin, 300 ch pour les versions « sales », baptisées « ECE » pour les connaisseurs et développées par exemple pour le marché français qui, jusqu’en 1989, continuera d’homologuer des moteurs non catalysés. Ce sont bien sûr ces dernières qui sont les plus désirables : libéré de l’étouffoir environnemental, le gros 5,5 litres ne se fait pas prier pour délivrer des performances toujours respectables de nos jours. 250 km/h en pointe, le kilomètre départ arrêté en 26,9 secondes, le 0 à 100 en 7,2 secondes : ce sont là des chronos d’autant plus remarquables que la voiture n’a rien perdu de sa facilité de conduite et de son confort postural ou acoustique. Remettant les pendules à l’heure vis-à-vis de la concurrence (l’auto peut dorénavant s’attaquer sans complexes à une Ferrari 412), elle est simplement beaucoup plus rapide que l’ancienne 500 – le V8 5 litres profitera cependant d’une puissance accrue en fin de parcours – et, si vous rêvez d’un coupé SEC, c’est bien la 560 « polluante » qu’il faut privilégier. D’autant que (mais pour combien de temps encore ?) sa cote reste très raisonnable au regard de ses prestations d’ensemble. Qui l’eût cru ? La meilleure voiture du monde est peut-être aussi l’affaire du siècle…
Texte : Nicolas Fourny