Mercedes-Benz 190 E 16 soupapes : une sportive à redécouvrir
« Extrêmement bien construite, jouissant d’une finition digne de son blason, l’auto a connu un véritablement engouement jusqu’à la fin d’une décennie dont elle demeure l’un des emblèmes, ce qui la rend délicieusement datée aujourd’hui »
Si vous vous intéressez aux familiales quatre-cylindres à caractère sportif des années 1980, vous n’avez que l’embarras du choix : des marques aussi différentes que Peugeot, Citroën, Saab ou encore Lancia se sont joyeusement lancées à l’assaut d’une catégorie autrefois dominée par BMW et Alfa Romeo mais qui, au moment où les moteurs multisoupapes commençaient de se généraliser, étendit considérablement le champ de ses possibles. Et, de façon inattendue, c’est la Daimler-Benz qui ouvrit les hostilités il y a exactement quarante ans, en présentant, dans le cadre du Salon de Francfort 1983, une 190 E 2.3-16 qui n’aura pas peu contribué au rajeunissement de son image. Compacte, puissante, réjouissante à conduire, d’une vélocité avérée et bénéficiant de qualités routières qui allaient longtemps faire référence, la « 16 soupapes » de Stuttgart a profondément marqué son époque, posant les jalons d’un style auquel l’ensemble des berlines surmotorisées qui ont vu le jour depuis lors se réfèrent d’une manière ou d’une autre. Et pourtant, nul n’attendait Mercedes à ce tournant-là…
La petite Mercedes est une grande voiture
Longtemps, la « petite Mercedes » aura fait fantasmer la presse spécialisée, dont les chasseurs de scoops photographièrent, dès les années 1970, toute une série de prototypes dont la diversité des formes a pu faire craindre le pire dans certaines circonstances. Toutefois, quand les derniers camouflages disparurent, les tenants d’un classicisme de bon aloi furent rassurés : la nouvelle 190 (des modèles éponymes l’avaient précédée dans les années 50 et 60) restait fidèle aux principes esthétiques et architecturaux de la firme à l’étoile ; il s’agissait, une fois encore, d’une berline tricorps à propulsion – mais, à la vérité, c’étaient bien là les seules caractéristiques qui la reliaient à ses sœurs de gamme qui, à l’exception sans doute de la récente Classe S W126, ne semblaient pas provenir de la même époque. Avec son design cintré, son absence quasi-totale de chromes et un troisième volume aux proportions inusitées (et qui allaient faire école des années durant : cf. l’Alfa 155 présentée dix ans plus tard), la 190 réussissait le tour de force d’être spontanément identifiable comme une Mercedes par n’importe quel béotien tout en ne ressemblant en aucun cas à la rustique série 123, brutalement démodée par l’insolente modernité de sa cadette. De leur côté, les liaisons au sol de l’engin firent également couler beaucoup d’encre, notamment en raison d’un sensationnel essieu arrière multibras qui, lui aussi, aura inspiré plus d’un bureau d’études par la suite…
Une AMG avant l’heure
Pourtant, le catalogue des motorisations disponibles à la sortie de la voiture n’avait rien de particulièrement enthousiasmant : s’appuyant sur le M102, un groupe de 2 litres de cylindrée introduit en 1980 dans la gamme 123, sa variante la plus performante ne dépassait pas les 122 ch, puissance notoirement sous-dimensionnée en comparaison des ressources du châssis. Il y avait donc anguille sous roche, ce que Mercedes confirma le mois d’août 1983 en dévoilant, dans le cadre d’épreuves d’endurance sur le circuit de Nardo, sa 190 de pointe, dont les caractéristiques avaient de quoi allécher ceux qui, depuis de longues années, avaient pris l’habitude de se fournir à Munich… Présentée sous un accoutrement coursifié, l’auto n’en était pas moins très proche de la version de série dont les premières images officielles furent diffusées durant l’été 1983 et dont l’accastillage ô combien suggestif rappelait davantage les réalisations d’AMG – encore indépendant de Mercedes en ce temps-là – que la sobriété bourgeoise à laquelle la clientèle de la marque était habituée. Large spoiler avant, aileron de coffre, élargisseurs d’ailes et jupes latérales, le tout combiné à une assiette surbaissée par rapport aux 190 « civiles » : pour la première fois, le constructeur souabe se laissait aller à des excentricités que sa communication avait jusqu’alors dédaignées, les considérant volontiers comme l’apanage des marques populaires et des faisans de banlieue toujours prêts à enjoliver leurs Ford Taunus ou leurs Opel Ascona. Bien sûr, on était ici fort loin de certains bricolages tolérés par la concurrence, d’autant plus que la fiche technique de l’engin, qui était allé quérir sa nouvelle culasse chez Cosworth, ne pouvait qu’inspirer le respect…
L’esprit de synthèse
Commercialisée à partir du mois de mai 1984, la 190 E 2.3-16 de série, forte de 185 ch, apparut d’emblée comme un game changer auquel ses aptitudes conférèrent immédiatement le statut de mètre étalon d’une catégorie que Mercedes avait manifestement entrepris de redéfinir. De fait, il n’existait pas, à cette date, de modèle réellement comparable. La plus performante berline française de l’époque, nous avons nommé la Peugeot 505 Turbo injection, ne dépassait pas les 160 ch ; la Saab 900 Turbo 16, alors à l’orée de sa carrière, était nettement plus volumineuse que la Mercedes, de même que l’Audi 200 ; et chez l’ennemi de toujours, la BMW 323i et ses 150 ch se voyaient sensiblement surclassés par la 190, aussi bien du point de vue des performances chiffrées que des qualités routières. Car, au-delà des chronos, très flatteurs pour l’époque – le Moniteur Automobile avait mesuré l’engin à 233 km/h avec un 1000 mètres départ arrêté en 28,5 secondes – c’est surtout la facilité de conduite et de maîtrise de la voiture que les essayeurs saluèrent de façon unanime, aboutissant à une synthèse digne des meilleures GT contemporaines. Acceptant tous les types de conduite, de la bonhomie des randonnées autoroutières dans lesquelles sa stabilité dans les grandes courbes faisait merveille aux itinéraires de montagne les plus sélectifs, la « 16 soupapes », avec son moteur rageur à la demande et la sophistication de ses trains roulants, devint sans tarder la berline sportive à abattre et, par-là même, servit d’inspiratrice pour la totalité des rivales qui, dans les années qui suivirent, s’en vinrent lui contester la suprématie que Mercedes, avec la morgue qui lui était coutumière, persista néanmoins à revendiquer !
Des notaires aux yuppies
Ainsi, il est difficile d’évoquer les BMW M3 E30, Ford Sierra Cosworth ou Renault 21 Turbo sans les considérer comme des réponses directes au défi lancé par Stuttgart avec sa 190, dont le 2,3 litres – qui passa à 2,5 litres et 204 ch dès 1988 par l’augmentation de la course – n’avait cependant pas que des qualités, souffrant notamment d’un « creux » à bas régime typique des multisoupapes atmosphériques de l’époque, défaut dont ne souffraient ni la Renault, ni la Ford, affichées de surcroît à des tarifs sensiblement plus amicaux que ceux de la Mercedes qui, il est vrai, accordait à ses conducteurs un statut social sans doute plus enviable. Extrêmement bien construite, jouissant d’une finition digne de son blason, l’auto a connu un véritablement engouement jusqu’à la fin des années 1980 – décennie dont elle demeure l’un des emblèmes, ce qui la rend délicieusement datée aujourd’hui, à l’instar de la plupart de ses concurrentes. Certes, et sans même parler des délirantes versions Evo, l’aileron peut faire sourire – la C 36 AMG, qui lui succéda en 1993 sans véritablement la remplacer, s’en dispensa sans dommage – mais il correspond au typage d’une voiture dont la mission consistait moins à terrasser BMW qu’à métamorphoser l’image de Mercedes, passant sans transition d’une bourgeoisie empesée à un dynamisme tapageur à même de convaincre les conducteurs sportifs soucieux de préserver un minimum de confort. Compensant son déficit de puissance par l’efficience de son châssis, une 190 « 16 soupapes » bien conduite pouvait sans difficultés tenir tête à une Porsche 911 Carrera 3.2 sur n’importe quel itinéraire sinueux sans épuiser son pilote et c’est probablement le plus beau compliment que l’on puisse adresser à ses concepteurs. Longtemps négligée, l’auto s’extrait peu à peu de son purgatoire au fil d’une redécouverte qui s’amplifie chaque jour. Les beaux exemplaires sont rares et encore abordables… mais pour combien de temps ?
Texte : Nicolas Fourny