Mercedes-AMG SL R232 : la réinvention d'un mythe
« Avec sa transmission intégrale, son système anti-roulis et ses roues arrière directrices, le nouveau roadster incarne une forme d’heureux compromis entre la radicalité de feue l’AMG GT et l’embourgeoisement un peu trop prononcé de la R231 »
« Même s’ils font un jour une SL de 1000 chevaux, ça ne sera jamais une véritable sportive pour autant. » Ces propos attribués, il y a une dizaine d’années, à l’un des dirigeants de Porsche en disent long quant à la lente édulcoration de l’une des Mercedes les plus emblématiques, mais dont l’identité louvoie, depuis plusieurs décennies, entre une sportivité plus ou moins revendiquée et les rassurants attributs d’un luxe de bon aloi. Dans ce contexte, la course à la puissance initiée depuis la R129 (1989-2001) ne constitue que l’un des multiples signaux destinés à ratifier le prestige de l’engin – mais qui en douterait ? – et non pas la garantie d’un plaisir de conduite susceptible de convaincre, par exemple, un conducteur de 911… D’où la mutation du roadster d’autrefois en une série de coupés-cabriolets toujours plus opulents, plus impressionnants, plus rapides mais, paradoxalement, de moins en moins convaincants, en particulier sur le plan du design. Étudiée pour la première fois chez AMG, la nouvelle R232 est-elle en mesure de remettre les pendules à l’heure ?
Qu’est-ce qu’une voiture de sport ?
Bien sûr, dès qu’il est question de SL, chacun pense spontanément à la matrice de la série – c’est-à-dire à la toute première et mythique 300 SL « papillon » de 1954, puis au roadster qui en dériva à partir de 1957. Pourtant, ce n’est véritablement qu’à partir de la « Pagode » apparue il y a exactement soixante ans qu’ont été posés les fondamentaux des SL tels que nous les connaissons aujourd’hui encore : des cabriolets biplaces ou éventuellement 2+2, élégants, confortables et luxueux dont l’immuable désignation, Sport Leicht – ce qui, rappelons-le, est censé signifier « sportif et léger » –, a rapidement été usurpée. De fait, il y a belle lurette que ni la sportivité ni la légèreté ne figurent plus en tête des préoccupations des ingénieurs chargés du développement de ces autos qui, en revanche, ont longtemps incarné une synthèse à peu près idéale entre le raffinement technique, la robustesse, la qualité de construction, les performances et les joies de la conduite cheveux au vent, le tout étant pondéré par les préceptes de la philosophie Mercedes (extrait de la brochure consacrée à la SL pour le millésime 1976 : « Les modèles SL ne sont pas des voitures de sport inconfortables. Elles ne font pas de bruit et on n’y est pas à l’étroit. Leur équipement et leur confort de conduite correspondent en effet à ceux des grandes berlines Mercedes-Benz »). C’est, on l’a vu, à partir de la R129 que les choses commencèrent à changer, la firme de Stuttgart ayant décidé, à partir des années 1990, de se lancer dans une surenchère technique toujours en cours à l’heure actuelle, cela sans parler d’une spectaculaire accrue de la puissance, passant en une décennie des 245 ch de la plus entreprenante des R107, la 560 SL, aux 525 ch de la sulfureuse SL 73 AMG !
La puissance ne fait pas tout
AMG – les trois lettres fatidiques qui vont symboliser, tout au long de la carrière des deux générations suivantes (R230 puis R231), cette quête ininterrompue de puissance brute sur la base de V8 et V12 préparés, voire entièrement conçus à Affalterbach, la bestiale SL 65 « Black Series » de 2008 poussant tout de même le bouchon jusqu’à 670 ch… Pour autant, les compétences de la plupart des acheteurs de ce genre de voiture, plutôt spécialisés dans les vidéos racoleuses à base d’accélérations du type « godasse de plomb » – en ligne droite et sur un bitume soigneusement entretenu de préférence –, n’ont pas grand-chose à voir avec celles d’un conducteur de Porsche 911 GT3. De sorte qu’au fil du temps, une fois passé l’ébahissement du grand public à la lecture des fiches techniques des AMG SL 55 puis 63, puis à l’écoute des pétarades suggestives émises par des moteurs que l’on croisait plus fréquemment avenue Montaigne que sur la Nordschleife, certaines interrogations commencèrent à émerger quant à la cohérence d’une gamme dont les variantes les plus impétueuses se trouvaient, par surcroît, concurrencées en interne par les roadsters dérivés des SLS puis AMG GT. Au juste, que faire de la SL, alors que la génération R231, commercialisée à partir de 2013, semblait avoir été conçue sans réelle conviction, comme en témoignait une physionomie maladroite, hésitant entre le bio design des premières R230 et les traits plus acérés des Mercedes contemporaines ?
AMG : mission résurrection
Jusqu’à la fin de la décennie 2010, tout sembla se passer comme si, avant tout soucieux de lancer la très ambitieuse AMG GT à l’assaut de la 911, les responsables de Mercedes avaient décidé de laisser mourir la SL de sa belle mort, étant parvenus au terme de l’exploitation d’un concept d’un autre temps et, par-dessus le marché, rongé par une concurrence amplement renouvelée, chez Bentley, Maserati ou Aston Martin. Cependant, pouvait-on véritablement se résoudre à assassiner un modèle aussi significatif dans l’histoire de la firme, même au nom d’une rationalisation industrielle qui, alors que les SUV et les déplaçoirs électriques phagocytaient déjà les plans-produits de la plupart des constructeurs, semblait condamner à court terme certaines niches devenues confidentielles ? L’espoir revint toutefois lorsque l’on apprit que, pour la première fois, c’est AMG qui allait développer la nouvelle SL, ce choix révélant à lui seul dans quelle direction Mercedes avait décidé de projeter l’esprit de la future R232, contrainte de se réinventer pour repartir à la conquête d’acquéreurs potentiels qui avaient depuis longtemps banni le modèle sortant de leur short list… Dans la mesure où la SL allait apparaître au moment-même où le roadster AMG GT tirait sa révérence, chacun comprit que, très habilement, le constructeur souabe allait faire d’une pierre trois coups : ressusciter le plus célèbre de ses cabriolets, se maintenir dans le segment des voitures de sport tout en supprimant des doublons devenus encombrants au faîte de sa gamme !
L’Activa de Mercedes
Naturellement, au moment où l’auto a été dévoilée, Mercedes a tenu le discours habituel en ces circonstances : non, la SL (dont la marque officielle n’est plus « Mercedes-Benz » mais « Mercedes-AMG ») ne va pas se substituer au roadster AMG GT car leurs philosophies respectives diffèrent… Mais à la vérité, tous les essayeurs qui ont pris le volant de la nouvelle SL 63 AMG sont unanimes : l’auto n’a plus rien de commun avec les attitudes pataudes de sa devancière dès lors que l’on s’avisait de s’amuser un peu. Le package technique de l’ensemble en dit long sur l’orientation générale du projet : il s’agit, une fois encore, de s’en prendre à la 911 – et, cette fois, l’argumentaire ne se limite pas à l’énumération de données chiffrées, que celles-ci concernent la puissance brute ou les performances mesurées. Avec sa transmission intégrale idéalement calibrée pour ne pas pénaliser l’agilité, son très perfectionné système anti-roulis Active Ride Control et ses roues arrière directrices (autant de spécificités inédites dans une SL), le nouveau roadster incarne une forme d’heureux compromis entre la radicalité de feue l’AMG GT et l’embourgeoisement un peu trop prononcé de la R231. Paraissant plus compacte que l’ancienne SL (en dépit d’une longueur accrue de neuf centimètres), ayant renoncé au toit escamotable au profit d’une capote en tissu, la R232 se singularise aussi par cette poupe qui, de trois-quarts arrière, rappelle irrésistiblement qui vous savez…
Ce n’est que le commencement
Pas particulièrement légère avec ses 1895 kg à vide (un cabriolet Porsche 992 Turbo pèse 1785 kg), la SL exploite néanmoins sans retenue l’exotisme structurel de sa coque (on y trouve de l’aluminium mais aussi du magnésium et des matériaux composites) ainsi que la sophistication de son châssis pour redevenir une sportive authentique au volant de laquelle les amateurs de conduite dynamique ne s’ennuieront pas une seule seconde. Notons au passage que les brides qui, autrefois, limitaient la vitesse à 250, 280 ou 300 km/h ont disparu : la nouvelle « 63 » revendique 315 km/h en pointe…Si la précédente SL s’apparentait à un yacht patricien d’une placide vélocité, celle-ci ressemble plutôt à un hors-bord surmotorisé, nerveux et agile à la demande mais aussi capable de caboter sans vous abîmer les vertèbres aux allures réglementaires. Les 585 ch du V8 biturbo maison n’amusent pas le terrain mais ils sont aussi parfaitement capables de faire preuve d’une docilité appréciable au quotidien, aboutissant à une polyvalence d’usage qui réjouira le connaisseur. Au demeurant, la « 63 » n’est pas destinée à cheminer seule ; outre la SL 55 de 476 ch non importée en France, une SL 43 à deux roues motrices est d’ores et déjà disponible (avec un 4-cylindres hybridé !) et, à l’horizon 2024, une hypothétique variante Maybach pourrait voir le jour, avec un accastillage hélas aussi lourdingue que sur les autres modèles badgés de la sorte… Le plus piquant pour finir : à l’heure où nous écrivons ces lignes, le nouveau coupé AMG GT vient d’être officialisé et, comme on pouvait s’y attendre, à quelques détails esthétiques près, il n’est autre qu’une SL à toit fixe. La boucle est bouclée !
Texte : Nicolas Fourny