Mercedes-AMG GT Black Series : il n’est jamais trop tard pour mieux faire
« Comme son nom l’indique, nous sommes bel et bien en présence d’un Grand Tourer de haute futaie, comme en témoigne dès l’abord un style engagé et provocant, flirtant sans doute avec la caricature à certains égards avec cet habitacle violemment rejeté vers l’arrière ou les roues démesurées que la mode exige. »
Sus à la 911 ! Ce cri de guerre, bon nombre de firmes l’ont inscrit à leur agenda un jour ou l’autre, bien décidés à égratigner l’icône de Zuffenhausen qui, bon an mal an dans un monde phagocyté par la grisaille vulgaire des SUV, parvient encore à s’écouler à une trentaine de milliers d’unités. Toutefois, il faut en convenir, tous ceux qui ont tenté l’aventure, ponctuellement ou de façon plus durable, s’y sont cassé les dents : il faut plus que de bonnes intentions et des budgets confortables pour parvenir à égaler le savoir-faire et l’expertise de Porsche en la matière. De ces initiatives, il subsiste cependant des machines souvent captivantes à examiner et ce fut le cas de la Mercedes-AMG GT, morte il y a peu et privée de descendance directe, ce qui en dit long quant aux priorités à venir de son constructeur. Nous songeons en particulier à la plus exubérante de ses nombreuses variantes routières, c’est-à-dire la Black Series !
Une Mercedes ? Non, une AMG !
Chacun connaît la longue et fructueuse histoire d’AMG, fondée en 1967 par Hans-Werner Aufrecht et Erhard Melcher et, depuis ses débuts, intimement liée à la Daimler-Benz, d’abord techniquement avant d’en devenir la filiale en 1999. AMG a débuté son existence en tant que préparateur, proposant de longue années durant aux possesseurs de Mercedes des versions mieux motorisées (et aux châssis optimisés) des différents modèles commercialisés par la firme de Stuttgart. Toutefois, l’entreprise a franchi un cap décisif en devenant un constructeur à part entière lorsque fut dévoilée la SLS de 2010, première automobile non pas basée sur un modèle Mercedes préexistant mais, au contraire, intégralement conçue et développée par AMG. Ayant pris la succession d’une SLR McLaren élaborée à grands frais mais diversement appréciée, la SLS AMG avait pour mission de consolider la légitimité et de pérenniser la position alors précaire de Mercedes dans la catégorie des supercars — mais le contrat ne fut que partiellement rempli, l’auto s’avérant moins aboutie qu’attendu et, pour tout dire, sensiblement moins convaincante que les références allemandes ou italiennes du segment, en dépit d’un V8 atmosphérique de légende, lui aussi imaginé par AMG et que nous avons déjà évoqué ici même. Après deux tentatives aux résultats mitigés, il fallut se rendre à l’évidence : la convocation récurrente (et quelque peu lassante) des mânes de la 300 SL Gullwing n’était plus suffisante pour parvenir à concurrencer valablement Ferrari, Lamborghini ou… Il est donc permis de considérer que la SLS n’eut pas de remplaçante, mais un successeur au positionnement quelque peu divergent…
La GT, mieux qu'une supercar
Ainsi, la Mercedes-AMG GT présentée à Paris lors du Mondial de l’Automobile 2014 ne s’inscrivait pas dans la même démarche que sa devancière, même si elle occupait plus ou moins le même rang dans la gamme Mercedes. De fait, il ne s’agissait plus de construire une machine exotique, difficilement utilisable et au design volontiers théâtral, mais une sportive de haut niveau, aux ambitions plus modestes mais néanmoins susceptible d’en remontrer — entre autres — à la plus iconique des Porsche. On l’aura compris, le cahier des charges confié aux responsables du projet délaissait résolument la flamboyance et son cortège de témérités pas toujours très rationnelles au profit d’une certaine normalisation. Au XXIe siècle, a-t-on par exemple réellement besoin de portes papillon pour suggérer la performance ? Poser la question, c’est y répondre et c’est pourquoi l’AMG GT (qui, pour la première fois, ne se référait plus au folklore des Sport Leicht en retenant une dénomination presque anonyme) a choisi une approche sans doute plus fonctionnelle et plus polyvalente. Pour autant, l’auto ne ressemble pas tout à fait à un Citan et, même pour un béotien, il suffit de la contempler pour en déceler la vocation : comme son nom l’indique, nous sommes bel et bien en présence d’un Grand Tourer de haute futaie, comme en témoigne dès l’abord un style engagé et provocant, flirtant sans doute avec la caricature à certains égards avec cet habitacle violemment rejeté vers l’arrière ou les roues démesurées que la mode exige. De surcroît, et bien que reposant sur une architecture substantiellement différente — le capot monumental ne laissant subsister aucun doute quant à l’implantation du moteur —, la voiture réussit cependant à adresser un clin d’œil outrancier à la 911 quand on l’envisage de trois-quarts arrière !
Mercedes vs Porsche
Se détournant de ses multiples héritages stylistiques, l’AMG GT réfute toute nostalgie et revendique sans ambages sa parenté avec la gamme Mercedes contemporaine — quand elle surgira dans votre rétroviseur, vous aurez peut-être du mal à l’identifier spontanément dans toutes ses spécificités mais, à la vérité, vos doutes se dissiperont dès qu’elle vous aura dépassé. Indéniablement, cette voiture n’a pas le typage d’une supercar au sens strict du terme, et par-dessus le marché (à l’exception des versions GT3, dédiées à la course) elle a également renoncé au passage au très attachant moteur atmosphérique de la SLS pour se conformer aux mœurs mécaniques de son temps en ayant recours à un tout autre huit-cylindres, de moindre cylindrée et suralimenté par deux turbocompresseurs. Tout cela nuit-il à ses performances chiffrées ou aux compétences de son châssis ? Que non pas. Dès sa version de base — si l’on ose écrire —, l’engin n’amusait pas le terrain : ses 462 ch hissèrent d’emblée la GT dans les parages immédiats d’une Porsche 991 GT3. Mais AMG n’en est pas resté là et a continûment fait évoluer le modèle, multipliant les variantes en allant très au-delà de la timide diversification ébauchée par la SLS. Toujours sur la base du V8 biturbo M178 de 4 litres — issu d’une famille de moteurs très répandue sous les capots des Mercedes « traditionnelles » (comprenez à moteur longitudinal) —, l’auto n’a ainsi pas cessé de se bonifier, jusqu’au pinacle que constitua, pour le millésime 2021, la présentation de la Black Series qui nous occupe aujourd’hui…
La cérémonie des adieux
Quand elle est apparue, la GT Black Series était tout bonnement la Mercedes de route la plus puissante jamais conçue (il est d’autant plus jouissif de rédiger cette phrase si l’on songe que les 730 ch et 850 Nm de couple généreusement distribués par le V8 ne devaient rien à une quelconque hybridation : l’ultime sportive 100 % thermique à l’étoile concluait avec une virtuosité étincelante la longue histoire des AMG étrangères à toute intervention de l’électricité). D’une manière générale, les Black Series sont des autos rares : toutes les AMG, loin s’en faut, n’ont pas eu droit à ces exécutions superlatives — d’aucuns pourraient les qualifier d’extrêmes, voire même de ludicrous pour reprendre un terme en vigueur chez un célèbre constructeur américain d’électro-ménager. Faisant largement appel au carbone (entre autres pour le capot, les ailes, le toit et le panneau de coffre), saturée d’accessoires destinés à optimiser l’aérodynamique (au premier rang desquels on notera un aileron arrière d’anthologie, également réalisé en carbone et digne d’une machine de course) et chaussée de pneumatiques Michelin semi-slicks, la GT ainsi gréée ne transige pas quant à son identité : cette auto est prête pour la piste et s’avère sans conteste plus adaptée à des sorties sur circuit qu’à une utilisation quotidienne. Afin de situer les idées, par rapport à une GT R déjà fort bien pourvue à cet égard, l’augmentation de puissance atteint tout de même 145 chevaux… Comme on s’en doute, pour atteindre de telles cimes le V8 a subi une sérieuse refonte avant de pouvoir se blottir au cœur de la voiture, justifiant un tarif pas exactement amical (près de 360 000 euros au catalogue lorsque la voiture y figurait encore, mais à l’heure actuelle le marché allemand navigue se situe au-dessus du demi-million pour les exemplaires les moins kilométrés).
La rareté de l’objet, les spécificités de sa fiche technique, les 325 km/h en pointe, le 0 à 100 en 3,2 secondes ou le record établi à l’automne 2020 sur la Nordschleife aux mains de Maro Engel (battant la Porsche 992 GT3 RS de plus d’une seconde), tout cela indique sans coup férir que, dans les années qui viennent, la GT « Black » incarnera le collector définitif de cette série. Il lui aurait été difficile de quitter la scène de plus belle manière !
Texte : Nicolas Fourny