Mercedes 190 D BlueEfficiency : mais qu'est-il arrivé à la Baby-Benz ?
Dans « Qu’est-il arrivé à Baby Jane » tourné par Robert Aldrich en 1962, Bette Davis incarne une jeunette devenue peste qui n’en fait qu’à sa tête. Il existe un parallèle « mécanique » à ce film: en 2008, une Baby-Benz – la Mercedes 190 des années 80 – subissait une greffe d’organe que n’aurait pas reniée le célèbre Doc de Retour vers le Futur. Et aller en remontrer à sa descendance…
La 190 – W201 pour les intimes – est lancée fin 1982. Elle concentre tout le savoir-faire Mercedes en 4,41 mètres de long. On vous passe les cris d’orfraie des clients et vendeurs de l’époque, redoutant que l’impétrante n’écorne l’étoile à trois branches. C’est tout le contraire qui se produit grâce à une conception ultra-moderne et une qualité de construction et de finition digne des éternelles 200/300. La gamme débute avec un deux litres à carburateur de 95 chevaux, la 190 E (pour Einspritzung, injection en français) en comptant 27 de plus. Le tout au prix d’une CX GTI de l’époque. Tout bébé qu’elle soit, la nouvelle Benz aux lignes en coin reste également fidèle à une autre tradition Mercedes: l’injuste prix , qui ferait presqu’avaler son micro à notre Philippe Risoli national.
Déboulent quelques mois plus tard les versions mazout. Enfin déboulent, c’est aller vite en besogne, les 190 D et 2,5 de 75 et 90 chevaux n’étant pas des foudres de guerre. Leurs concurrentes non plus, d’ailleurs. Les quatre et cinq cylindres sont les premiers du monde à être encapsulés, l’usine les surnommant bien vite les « diesel qui chuchotent ».Pour les normes de l’époque s’entend… De nouvelles générations vont suivre, prenant dès 1993 la dénomination de « Classe C ». La désormais incontournable rivale des BMW Série 3 et bientôt des Audi A4 se vend comme des petits pains. Plus de 8 millions d’exemplaires vont trouver preneur en vingt ans. C’est en 2007 qu’entre en scène la Classe C, code usine W204. Si l’on considère la 190 comme l’initiatrice, il s’agit logiquement de la quatrième du nom.
Sauver la planète ?
Sous la poussée des lobbies verts et sur fond de crise financière, les labels « éco » des constructeurs éclosent depuis 2007. Souvent à coup de bleu, comme le « BlueMotion » de chez VW ou le « Blue HDI » de Peugeot. Tous les constructeurs, généralistes ou premium s’y mettent, nous faisant croire à d’intimidant hirsutes déboulant du Rainbow Warrior ! Mercedes n’est pas en reste et dévoile au Salon de Francfort, en septembre 2007, sa « Road to the future », annonçant le lancement d’une dizaine de modèles « efficients » dans les cinq ans. Outre des hybrides et des électriques, la firme à l’étoile présente sa technologie « BlueEFFICIENCY ». De la Classe A à la Classe S, pas un modèle de la marque n’échappe à la chasse au gaspi maison, roadster SL mis à part. Les techniques employées ne diffèrent guère de ses concurrents: pompe à huile et direction assistée électriques, stop & start, obturateurs de calandres, carénages de châssis, pneus à faible résistance, etc.
Conflit de générations
Mais revenons à notre petite Benz. Nous sommes au début de l’année 2008, à Stuttgart. Entre deux bières, un quatuor d’ingénieurs se demande comment démontrer les progrès réalisés en 25 ans de diesel. Nos cerveaux souabes décident de greffer sur une 190 le bloc diésel « OM 651 » de la Classe C contemporaine. Remplaçant les moteurs CDI à rampe commune de première génération, c’est un concentré de technologie : double turbo, rampe commune et j’en passe. Dûment labellisé BlueEFFICIENCY, il développe la bagatelle de 204 chevaux sur la C250 CDI, pour une consommation et des émissions ridiculement basses et des performances de premier ordre.
L’homme à la manœuvre estPeter Lehmann, responsable de la préparation des concept-cars maison. Ce piquousé de la baby-Benz – il en possède trois dont une rare 2,5 16 EVO 2, lire aussi: Mercedes 190 E 2.5 Evo 2 – se charge donc de dénicher une très belle 190 D. Las ! Après plusieurs semaines d’investigation, il se rabat sur une 2,6 Sportline (essence) immaculée. Cette version présente en fait plusieurs avantages. Tout d’abord, le six cylindres pèse peu ou prou le même poids que l’OM 651, l’équilibre des masses entre les deux autos étant quasi identique. Enfin, le système de freinage et la suspension rabaissée de cette version Sportline se révèlent parfaitement adaptés pour encaisser le couple et la puissance du nouveau bloc.
Trafic d’organes
La transplantation n’ira pas sans mal. Lors de l’installation, la colonne de direction menace de traverser la pompe à essence. Décision est prise de monter une pompe adaptée, prélevée sur un fourgon Sprinter. Il faudra également élargir le tunnel de transmission pour laisser passer la nouvelle boite six vitesses. Enfin, le différentiel est prélevé sur une C 320 de la génération précédente. En réalité, le véritable casse-tête sera d’ordre électronique. La palanquée de capteurs ne peut en l’état animer le moteur. Et comme grand-maman ignore ce qu’est un CAN bus (faisceau électronique), il faut improviser. La trouvaille sera de bricoler lesdits capteurs pour « faire croire » au moteur qu’il officie sur un banc d’essai. Le même genre d’astuce sera employé pour l’antiblocage.
Mamie fait de la résistance !
La « 190 D BlueEFFICIENCY », de 204 chevaux donc, reste plus légère de 365 kilos que son arrière petite-fille. La poignée de journalistes invités à la découvrir estimeront qu’elle distille plus de plaisir de conduire que la W204, avec une poussée de tous les instants. La moustache leur en tombe: elle prend plus d’une seconde à la grosse C 250 sur le 0 à 100 km/h. Même la très méchante 190 E 2,5 16 EVO 2 est reléguée à deux secondes, l ‘OM 651 offrant deux fois plus de couple ! La transplantée consomme en outre moins cinq litres en moyenne contre 7,3 l/100 km pour son ancêtre… Malgré tous ses équipements de confort et de sécurité supplémentaires, la C moderne est même encore plus frugale d’une poignée de décilitres. Outre l’efficience de son turbodiesel, la prouesse s’explique aussi par un Cx de 0,27, contre 0,34 sur la 190, un très bon niveau à l’époque.
Cette expérience met aussi en lumière les progrès réalisés en matière de sécurité passive et active. Si la baby-Benz avait droit à l’Airbag (optionnel, Mercedes n’étant pas du genre généreuse), la « W204 » en compte sept. Elle dispose en outre d’un ABS (option aussi à l’époque), d’un système d’assistance au freinage et de l’antidérapage ESP. Sans parler de tous les équipements de confort et autres renforcements sécuritaires. Mais au prix de quel poids !
Texte: Michel Tona