Ford GT 2005 : le trait d'union
Une Ford GT peut en cacher une autre : après avoir essayer la toute dernière version sur le circuit d’essai de Michelin, il était temps de parler de celle qui fit la transition entre la mythique GT40 (lire aussi : Ford GT40), et la nouvelle mouture de 2017, qui elle aussi porte le nom de Ford GT, produite entre 2003 et 2005.
J’ai eu l’occasion de rencontrer la bête en visiter les ateliers de Ford Heritage à Dagenham, près de Londres. Placée à côté d’une G40 d’origine et d’une GT 2016 de course, cette GT « trait d’union » a encore aujourd’hui ce qu’on appelle « une gueule ». Difficile de ne pas l’aimer, de ne pas constater sa musculature apparente. Impossible non plus de ne pas observer sa filiation évidente avec la GT40. C’est peut-être là son principal défaut. En ce début des années 2000, l’heure était au revival, avec le succès des nouvelles Beetle et Mini. La GT joue sur le même registre : la ré-interprétation moderne d’un mythe. C’est beau, c’est réussi, mais peut-être lui manque-t-il une personnalité propre, comme peut l’avoir la GT d’aujourd’hui.
L’aventure commence dans les années 90. Chez Ford, faire revivre le mythe de la GT40 commençait à titiller certains. Depuis la fin de production du modèle, Ford n’avait plus jamais mis un pieds dans le monde des supercars et pour certains, c’était vraiment dommage. Ford était l’un des rares constructeurs généralistes à avoir oser défier les spécialistes de la voiture ultra sportive, et disposait d’une certaine légitimité pour y revenir. Quand on a créé un mythe, on obtient à vie le droit de retenter l’aventure. Les équipes du design planchèrent alors sur une nouvelle version présentée comme concept-car en 1995 et dénommée GT90 (90 pour la décennie, pas pour les pouces hein!). Avec la GT90, Ford revisite le mythe même n’est pas encore dans le revival. Au contraire, ce concept recevait des lignes très New Edge design alors en vogue chez Ford, mélange de courbes et de lignes acérées. Ce premier pas vers le renouveau de la GT40 allait mener, 7 ans plus tard, à la renaissance tant attendue.
Projet Pétunia
La GT90 était un galop d’essai. Il fallut attendre le début des années 2000 pour que Ford plancha sur sa « new » GT40, sous le nom de code de Pétunia. Même en interne, peu de gens savaient ce qui se tramait pour le North American International Auto Show de Détroit, en janvier 2002. A la tête de l’équipe chargée du design, Camilo Pardo, en consultant technique auprès des ingénieurs, Caroll Shelby « himself » (sans doute plus pour le nom et la communication qu’une réelle aide technique). En janvier, la voiture est présentée sous les « hourras » de la foule ébahie par cette renaissance, clairement indiquée par son nom, GT40, bien qu’elle fasse 43 pouces de hauteur. Si Ford avait bien dans la tête de produire à nouveau cette GT40, le succès public et médiatique le renforça dans cette opinion.
Les 3 prototypes présentés pour le centenaire de la marque Ford en 2003Dès février 2002, Jim O’Connor, président de la marque Ford, décidait du lancement de cette GT40, dont les prototypes commencent à rouler à la fin de l’année. Il fallait qu’au moins 3 soient prêts pour 2003 et le centenaire de la marque, l’occasion rêvée pour annoncer au public le retour de la belle « néo-rétro ».
De GT40 à GT tout court
Dès le concept de 2002, les hommes de Ford s’étaient aperçus d’une énorme bourde : le nom GT40 ne leur appartenait pas. Jamais déposé, ou tombé dans le domaine public sans être renouvelé ? Toujours est-il que le nom appartenait désormais à Safir Engineering qui avait pu monter des GT40 MkV dans les années 80. Si l’utilisation du nom avait pu être négocié pour le concept de 2002, c’était une autre paire de manche pour la voiture de série. Safir fut-il trop gourmand, ou Ford trop pingre ? Difficile à dire, mais les négociations échouèrent, obligeant Ford à se rabattre sur une appellation plus sobre, GT, qui perdure aujourd’hui. Finalement, ce n’était pas un mal, histoire de se différencier de sa glorieuse aînée. Elle lui ressemblait déjà beaucoup malgré une longueur et largeur sans commune mesure, alors porter le même patronyme, cela aurait fait sans doute un peu trop.
La production des GT commença en octobre 2004 (AM 2005). Pour construire cette « petite série » (4500 exemplaires prévus), Ford va devoir mettre en place un meccano industriel des plus complexes. Les faux châssis étaient assemblés chez TK Budd Milfab à Détroit. Ils étaient ensuite envoyés chez Mayflower Vehicle Systems à Norwalk, dans l’Ohio. L’assemblage y était fait en partie avant de partir chez Saleen, à Troy, Michigan, où les voitures étaient peintes et recevaient leurs trains roulants. Ensuite, direction Wixom, Michigan, dans les ateliers de Ford SVT, où les GT recevaient leur boîte de vitesse, et leur moteur, assemblé lui à Romeo, Michigan. Elles recevaient aussi leurs finitions intérieurs, et les hommes de SVT procédaient aux tests. Certes, cela restait dans une aire géographique restreinte, mais quel balai de camions allant de l’un à l’autre des lieux de production !
Côté moteur justement, la GT recevait un gros V8 Triton de 5,4 litres à compresseur issu de la Mustang GT500 duquel on avait pu tirer quelques chevaux supplémentaires, atteignant 558 chevaux. Châssis alu, carrosserie mêlant alu, plastique, et carbone, et seulement 1545 kg sur la balance : de quoi profiter du moindre cheval produit par le V8 ! Pas forcément la plus efficace des supercars, ni la plus performantes, mais là n’était pas la vocation de la GT : tout en elle rappelle l’Amérique, son aïeule, la force brutale, et vous ôte l’envie de la comparer.
Au début de la commercialisation de la GT, l’engouement fut tel que le prix officiel de 140 000 dollars devint vite beaucoup plus important : celui qui faisait le plus gros chèque emportait sa voiture avant les autres. La première GT (en fait la n°10, les 9 premières ayant servis aux tests de Ford), vendue dans le cadre d’une œuvre caritative, atteignit la somme faramineuse de 557 000 $. Petit à petit cependant, l’hystérie se calma et les prix redevinrent « normaux ». A tel point qu’il fut même difficile à Ford d’écouler autant d’exemplaires que prévus : seuls 4 038 exemplaires (dont 101 seulement pour l’Europe) furent fabriqués jusqu’en 2006, sans jamais atteindre l’objectif de 4 500.
Peut importe à vrai dire… Ford faisait son retour parmi les « grands » de la voiture de sport, avec un véhicule à la hauteur des espérances, mêlant habilement nostalgie et performance brute. Mais il est vrai qu’avec son deuxième opus de GT, Ford va encore plus loin, s’affranchissant du passé pour aller vers l’avenir, jouant la voiture de course plus que le néo-rétro, bousculant les habitudes avec un V6 Biturbo Ecoboost plutôt qu’un bon vieux V8. Autant dire qu’une GT 2005 vous offrira une certaine nostalgie sans dépenser les millions que coûte une GT40, tandis qu’une GT 2017 vous permettra de profiter pleinement d’une bête de course (mais à quel prix?). De toute façon, aucune de ces 3 là n’est vraiment à notre portée hein ! Mais le rêve n’a pas de prix !