Ferrari 288 GTO : la première supercar de Maranello !
« Lorsque vous la contemplez de l’arrière, cette largeur inusitée, combinée à la proéminence inédite du becquet et à l’impudeur de la boîte de vitesses dont le carter s’exhibe sans vergogne à la vue de tous, évoque instinctivement la course, la quête obsessionnelle de la performance, la répudiation de tout compromis »
Lorsque l’on évoque les sportives des années 1980, le groupe B s’invite fréquemment dans la conversation. Au demeurant, cette catégorie du championnat du monde des rallyes n’a existé que quatre ans durant — de 1982 à 1986 — mais cela lui a suffi pour se transformer en mythe dans l’esprit de bien des amateurs aux goûts très diversifiés, car on y côtoie des engins aussi dissemblables que la Citroën Visa 1000 Pistes ou la Lancia Delta S4. Toutefois, on le sait, le groupe B a connu une fin brutale, précipitée par la FIA à la suite de plusieurs accidents mortels survenus en course, de sorte que plusieurs modèles développés initialement en vue d’évoluer dans cette catégorie n’ont tout bonnement jamais pu courir. Tel fut le sort de la Porsche 959 dont nous vous avons déjà narré l’histoire, mais aussi de sa rivale directe, matrice de toutes les supercars Ferrari — nous avons nommé la 288 GTO !
Née pour la course
Évidemment, lorsque l’on contemple l’objet sa connexion avec le rallye ne saute pas spontanément aux yeux, contrairement à la Porsche précitée dont l’avatar développé pour la course a tout de même remporté le Paris-Dakar en 1986, aux mains de René Metge. Pour autant, on se souvient aussi des 308 GTB engagées par Charles Pozzi et qui, grâce au talent de Jean-Claude Andruet, remportèrent notamment le Tour de France auto en 1981 et 1982, démontrant par-là même les capacités de la berlinette italienne à résister aux mauvais traitements qu’impliquent des épreuves de ce type ; cette expérience n’est sans doute pas étrangère à la décision prise par Ferrari, en 1983, de développer une machine susceptible de croiser le fer avec la fine fleur du groupe B, cette discipline dans laquelle Lancia, une autre marque du groupe Fiat, engrangeait les succès avec sa 037 (championne du monde pour le titre constructeurs en 1983), qui refusait avec ténacité de capituler face aux Audi quattro. Et, tout comme la Lancia devait beaucoup à la Montecarlo, la nouvelle GTO allait dériver plus ou moins directement de la 308 — plus ou moins car, comme on va le voir, les différences entre les deux modèles s’avérèrent bien plus significatives qu’un profane aurait pu le croire.
Une identité ambiguë
En premier lieu, il convient de rappeler les principales caractéristiques de la 308, berlinette archétypale dont la ravissante silhouette fut chargée d’incarner la Ferrari d’entrée de gamme (si l’on ose dire) durant une bonne quinzaine d’années. Comme l’indique son matricule, l’auto était animée par un V8 d’environ 3 litres de cylindrée — 2927 cm3 pour être précis — disposé transversalement en position centrale arrière. C’est donc à partir de cette base que les responsables du projet vont élaborer une machine dont les caractéristiques vont en faire, en toute simplicité, la Ferrari la plus puissante de son temps, revendiquant un niveau de performances d’un tout autre niveau que la 308. À l’instar de la 959, dont la cellule centrale trahit la filiation directe avec la 911, on reconnaît aisément le profil de la 308 mais, de même que chez Porsche, une analyse comparative ratifie des dissemblances suffisamment profondes pour que l’on puisse parler d’une nouvelle voiture, dont la dénomination — de même que celle de la Testarossa présentée la même année — a pu paraître suspecte, comme toutes les récupérations patrimoniales de ce style. « GTO » (pour Gran Turismo Omologato) n’est certes pas un acronyme anodin à Maranello, même si ce clin d’œil quelque peu capillotracté a pu s’expliquer par les exigences du groupe B qui, pour obtenir l’homologation en course, imposait la production d’un minimum de deux cents exemplaires destinés à la route.
Exclusive et bestiale
Par rapport à la 308, l’empattement s’est accru de 11 centimètres en raison de l’implantation du moteur, désormais longitudinal, réduisant sensiblement le porte-à-faux arrière. Les trois ouïes obliques qui scarifient chacune des ailes postérieures constituent une référence évidente à la 250 GTO de 1962, tandis que l’élargissement des voies se traduit directement en termes d’encombrement (l’auto est plus large de 19 centimètres !) et, surtout, d’assise sur la route ; lorsque vous la contemplez de l’arrière, cette largeur inusitée, combinée à la proéminence inédite du becquet et à l’impudeur de la boîte de vitesses dont le carter s’exhibe sans vergogne à la vue de tous, évoque instinctivement la course, la quête obsessionnelle de la performance, la répudiation de tout compromis — ce que confirme par exemple, d’un point de vue pratique, l’absence de tout coffre à bagages. De fait, la 288 GTO n’est pas un véhicule de plaisance conçu pour les week-ends à la campagne ou l’indolence des départementales côtières ; il s’agit bien d’une machine de compétition plus ou moins civilisée en vue d’un usage routier que l’on devine forcément occasionnel. Trois ans plus tard, l’exacerbation du concept nous donnera la F40 mais, au Salon de Genève de mars 1984, nous n’en sommes pas encore là et les visiteurs du Palexpo s’ébahissent devant l’auto qui va, quelques mois plus tard, apparaître en couverture d’un mémorable numéro de l’Auto-Journal entièrement consacré à Ferrari…
Première de cordée
Si le bloc-moteur est bien issu de la 308, le tipo F114B conçu pour la GTO s’en distingue à de nombreux égards. Ainsi, la réduction de l’alésage a conduit à une cylindrée de 2855 cm3, définie en raison du coefficient de 1,4 alors en vigueur pour les moteurs suralimentés — ce qui permettait de ne pas atteindre la limite théorique des 4 litres. Car ici le V8, qui a par ailleurs conservé ses culasses à 32 soupapes, bénéficie d’une double suralimentation, sous la forme de deux turbocompresseurs IHI. Dans ces conditions, la puissance atteint 400 chevaux à 7000 tours/minute alors que le couple maximal s’élève à 490 Nm à 3800 tours. En 1985, Pierre Dieudonné essaie la voiture pour Automobiles Classiques et atteint les 307 km/h en pointe, le kilomètre départ arrêté descendant tout juste sous les 22 secondes. Il y a près de quatre décennies, ces chronos étaient quasiment surnaturels et, de façon assez brève, ils expédièrent la 288 GTO au sommet d’une hiérarchie que la suite des événements allait néanmoins très vite bousculer, la 959 plaçant la barre un peu plus haut encore. Mais pour le collectionneur d’aujourd’hui, les kilomètres/heure ou les secondes gagnés çà et là n’ont plus guère d’importance ; bien au-delà de ses performances chiffrées, c’est son rôle de précurseur qui confère tout son intérêt et toute son importance historique à la GTO, laquelle a ouvert la voie à une glorieuse série de supercars frappées du Cavallino Rampante, comme elle construites à très peu d’exemplaires (au final, et afin de répondre la demande, 279 GTO furent assemblées). Certes moins charismatique qu’une F40, elle recèle à tout jamais le charme si particulier des automobiles pionnières ; les véritables connaisseurs le savent et les rares voitures proposées à la vente ne tardent jamais à trouver preneur !
Texte : Nicolas Fourny