Les années 1980 ont vu s’épanouir une catégorie qui balbutiait encore durant la décennie précédente : celle des petites sportives à traction avant, baptisées « GTi » en référence à son chef de file apparu en 1976 – nous voulons bien entendu parler de la sacro-sainte Golf originelle. Dans la roue de cette dernière, puis de la Renault 5 Alpine, une myriade de concurrentes plus ou moins abouties firent progressivement leur apparition, chaque constructeur généraliste, qu’il soit européen ou japonais, étant alors désireux de croquer une part d’un gâteau aussi rémunérateur en termes de marges bénéficiaires que d’image de marque. Et, de façon très inattendue, cette lame de fond n’épargna pas la plus baroque des citadines de ce temps-là, c’est-à-dire la Citroën Visa, a priori étrangère à toute velléité sportive. Pourtant, si les premières tentatives de dévergondage du modèle ne furent guère concluantes, le laideron de l’ex-quai de Javel allait finir par accoucher d’une réjouissante série de voitures « à conduire » dont la GT fut l’une des premières représentantes…
Un visa pour une renaissance
Il n’est pas excessif d’affirmer que la Visa a connu deux vies. De 1978 à 1981 tout d’abord, les premiers modèles – que, de nos jours, les amateurs surnomment aimablement « groin » en raison de l’étrange protubérance en plastique gris dont la proue de la voiture se trouve affublée –, sont censés à la fois remplacer l’Ami 8 et permettre à Citroën de prendre enfin pied sur le marché des citadines polyvalentes, alors dominé par la Renault 5. Née dans la douleur, la Visa découle d’un projet aux multiples rebondissements, car initié en 1972, à l’époque des accords conclus entre Fiat et Citroën, puis finalisé sous la férule sourcilleuse du groupe PSA. Ayant dû finalement adopter, pour des raisons budgétaires aisément compréhensibles, la plateforme de la 104, l’auto, pourtant dessinée sous la direction du talentueux Jean Giret, souffre de proportions maladroites – admirez la litote – et de détails esthétiques que les esprits les plus bienveillants qualifieraient aujourd’hui de disruptifs. Moyennant quoi, tout en étant bien plus évoluée techniquement que la R5, la Visa souffre commercialement dans ses premières années, à tel point que Citroën missionne dans l’urgence le studio de design de la carrosserie Heuliez, chargé de replâtrer la physionomie de l’engin. En dépit d’un budget misérable, les hommes d’Yves Dubernard font des miracles et, dès le printemps 1981, la Visa II trouve enfin sa clientèle !
Méfiez-vous des cousines moches
Avec sa physionomie mélancolique et ses mécaniques mièvres, la Visa des premiers temps est totalement ignorée des conducteurs sportifs. Ne parlons pas des souffreteuses bicylindres d’entrée de gamme, pensées pour les déplacements de conducteurs paisibles habitués des départementales et qui ont récupéré le moteur de l’Ami 8 mais, même en haut de gamme, la version Super et son quatre-cylindres Peugeot de 57 ch n’a rien de particulièrement affriolant. Il faut attendre le mois de juillet 1980 pour voir apparaître une Super X dont, à certains égards, l’accastillage annonce déjà la Visa II et que la publicité présente comme un « enfant terrible » dont la fiche technique a cependant du mal à suivre, les 64 ch délivrés par son 1219 cm3 lui permettant tout juste d’égaler les capacités d’une R5 TS. Il ne s’agit donc toujours pas d’une sportive, mais d’une petite routière plus performante que la moyenne et capable de sortir des villes dans des conditions acceptables – sous réserve, toutefois, d’oublier le cinquième rapport de l’engin, que sa longueur démesurée cantonne à l’autoroute, et uniquement sur le plat. Reconduite après le restylage évoqué plus haut, la Super X ne remportera pas un grand succès et disparaîtra dans l’indifférence générale à l’été 1982, au profit de la GT qui nous occupe aujourd’hui…
De la Chrono à la GT
Grâce à Jean-Paul Parayre, qui préside aux destinées de PSA de 1977 à 1984, le groupe français a pu mettre sur pied une véritable banque d’organes dans laquelle ses différentes marques peuvent puiser selon leurs besoins. Cette initiative de rationalisation industrielle, devenu la norme aujourd’hui, constitue une véritable innovation en ce temps-là ; c’est elle qui va permettre l’essor de la gamme Visa, tirée vers le haut par des variantes sportives au typage très éloigné des premiers modèles. Dans ce contexte, la GT prend en quelque sorte la suite de la tonitruante Chrono, diffusée en série limitée au printemps 1982 et dont les 2160 exemplaires se sont écoulés sans difficulté – prouvant par-là même qu’il existe bel et bien une clientèle potentielle pour une Visa sportive… Cette fois cependant, il n’est plus question d’un tirage numéroté mais d’une version de série en bonne et due forme qui, par surcroît, ne s’adresse pas tout à fait à la même clientèle que la Chrono, dont la mécanique – empruntée pour l’essentiel à la 104 ZS2 – et la présentation évoquaient sans vergogne les versions « Trophée » du modèle développées par Citroën Compétitions. La GT (dont le logo reprend le style de la CX GTi) cherche au contraire à intégrer le petit monde des citadines « sportivo-bourgeoises », capables de rouler vite mais sans bousiller les vertèbres ni les tympans de leurs utilisateurs !
L’agent X à la rescousse
Sous son capot, on retrouve donc le 1360 cm3 de la Chrono, mais sérieusement dégonflé puisqu’il ne développe plus que 80 ch à 5800 tours/minute. Cette configuration du fameux moteur « X » fera long feu chez PSA puisqu’on la retrouvera dans la 104 ZS « 80 hp », les Talbot Samba GLS et Rallye et même, jusqu’en 1987, dans les 205 GT et XT. Bien sûr, un tel niveau de puissance n’a plus rien d’impressionnant aujourd’hui mais, il y a quarante ans, il suscitait déjà le respect – ce d’autant plus que, dans la légère Visa (840 kg à vide), ce groupe moderne, tout alu et à arbre à cames en tête, n’est pas loin d’accomplir des miracles, ainsi que le confirme André Costa en conclusion de l’essai qu’il publie dans l’Auto-Journal en septembre 1982 : « Si l’on considère la GT avec les yeux de l’amateur sportif, la réussite est indéniable. Rapide, nerveuse, souple, tenant fort bien la route et vive dans ses réactions, la nouvelle Visa est une véritable petite routière, capable de mener la vie dure à bien des berlines plus importantes ». En plus des qualités routières de l’auto, le célèbre essayeur a apprécié à leur juste valeur des chronos plutôt flatteurs (plus de 166 km/h en pointe, le kilomètre départ arrêté en 33,6 secondes) associés à un comportement routier de haut niveau, l’ensemble permettant déjà de s’amuser au volant, sans pouvoir cependant rivaliser avec la Golf GTi, beaucoup plus puissante… et aussi nettement plus chère !
La Visa, ça décoiffe encore
De fait, tarifée 47 900 francs au début de l’année-modèle 1983 (soit environ 18 000 euros de 2022), la Visa GT ne navigue évidemment pas dans les mêmes eaux que la déjà mythique Volkswagen, vendue plus de 64 000 francs dans sa récente version 4 portes. Les Peugeot 104 ZS et Talbot Samba GLS sont légèrement moins onéreuses que la Citroën, mais n’existent qu’en coach 3 portes, tout comme d’ailleurs les Renault 5 TS et TX, elles aussi proposées à des prix voisins. Nantie du moteur et du train avant de la 205 éponyme, la Visa GTi n’arrivera que deux ans plus tard, mais sans égaler l’homogénéité de la GT, que certains concessionnaires Citroën, plus futés que leurs confrères, réussirent d’ailleurs à fourguer à des acheteurs de BX refusant de tolérer les très longs délais de livraison d’icelle en début de carrière… Déclinée par la suite en deux séries spéciales « Tonic » puis « Challenger » très inspirées de la Chrono, la GT survivra jusqu’à l’été 1986. Elle aura brillamment accompagné le dépoussiérage de l’image de son constructeur, opéré à partir du début des années 1980 sous le slogan « En avant Citroën ! » ; de son côté, la Visa s’était mise à franchement décoiffer, n’hésitant pas à présenter le « beau cul » (sic) de la GT dans certaines publicités… À l’heure actuelle, c’est sans doute l’une des versions les plus intéressantes à traquer pour les amateurs de youngtimers atypiques. Vite oubliée puis ringardisée, comme les autres Visa, par des cuistres qui n’en avaient jamais pris le volant, décimée par les primes à la casse successives, la GT est devenue plus difficile à trouver en bel état qu’une Porsche 959. Quatre décennies après son apparition, son agrément de conduite, son charme décalé et ses citroënismes méritent amplement d’être redécouvert ; qui sait, c’est peut-être votre prochain daily driver !
Texte : Nicolas Fourny