Si la BX est connue de tous depuis plusieurs décennies déjà — au moins au travers d’une physionomie pour le moins clivante —, son avatar le plus rare est aussi méconnu que contesté. La 4TC ambitionnait théoriquement de rivaliser, en toute simplicité, avec les machines de course les plus performantes de son temps mais les desseins de ses concepteurs se fracassèrent sur une longue série de réalités implacables. Ainsi, dès l’abord on pouvait craindre que l’engin connût une destinée aussi funeste que météorique en raison des travers typiquement français qui avaient jalonné sa conception ; en l’espèce, les bricolages approximatifs ne pardonnent pas et, de fait, le bilan de l’opération pourrait s’apparenter à un désastre absolu si l’on ne se souciait pas d’examiner en détail une voiture que ses multiples insuffisances pourraient finir par rendre singulièrement attachante…
Une course à la puissance
Cela fait quarante ans que la BX essuie les quolibets des imbéciles — en général des individus dépourvus de toute culture automobile —, en dépit des grandes qualités techniques de l’auto, d’un design signé Gandini et d’un succès commercial qui ferait rêver les dirigeants actuels de Citroën. Ayant extrait la firme aux chevrons d’un marasme persistant qui aurait pu la mener à une disparition pure et simple, cette sympathique et talentueuse familiale aura multiplié les variantes en douze ans de carrière, de la fourgonnette à moteur Diesel aux versions sportives les plus échevelées. Toutefois, peu de gens savent qu’en plus des BX « civiles », Citroën a également lancé le modèle dans l’aventure de la compétition, et au plus haut niveau, sous la forme de la 4TC qui nous intéresse aujourd’hui. L’épopée fut aussi héroïque que brève, pour des raisons que nous allons inventorier (en nous efforçant de nous montrer aussi peu acrimonieux que possible). C’est au début de 1982 que notre histoire commence, au moment où la Fédération Internationale du Sport Automobile (FISA) officialise la naissance du groupe B. Situé au sommet de la hiérarchie du championnat du monde des rallyes, celui-ci concerne des voitures dont les caractéristiques techniques ne connaissent pour ainsi dire aucune limite ; la seule contrainte imposée aux constructeurs consiste à produire un minimum de 200 exemplaires des voitures engagées sous la forme de dérivés homologués pour une utilisation routière. Plusieurs firmes se lancent dans l’affaire et, dans les quatre années qui vont suivre, donnent naissance à des automobiles entrées depuis dans la légende — qu’elles aient couru ou non — qu’il s’agisse de la Peugeot 205 Turbo 16, de la Porsche 959, de la Ferrari 288 GTO, de la Lancia Delta S4 ou de l’Audi quattro…
Quand on n’a pas les moyens de sa politique…
De son côté, Guy Verrier, le responsable de Citroën Compétition, ne reste pas les bras croisés malgré des moyens sans rapport avec ceux dont Jean Todt (le patron de Peugeot Talbot Sport) a pu bénéficier pour développer les 205 engagées en course. Dans un premier temps, c’est la Visa 1000 Pistes qui est chargée de représenter la marque en rallye, compensant son déficit de puissance par un poids remarquablement bas (un peu plus de 700 kilos !), ce qui lui permet d’afficher un palmarès honorable — mais évidemment pas de lutter à armes égales avec les ténors du plateau. Or, Verrier et les dirigeants de Citroën, piqués au vif par la réussite de la 205 — dont les succès en course sont de surcroît synonymes de retombées commerciales très positives —, n’ont pas l’intention d’en rester là et, à l’encontre des souhaits de la direction générale de PSA, mettent en chantier une nouvelle voiture, aux ambitions bien plus étendues que celles assignées à la Visa. Malheureusement, le budget alloué au nouveau programme témoigne d’une misère qui contraste violemment avec l’enthousiasme de la petite équipe en charge du projet ; comme on va le voir, la suite de l’histoire va s’apparenter à une longue série d’expédients dont chacun reflète tantôt le manque de temps, tantôt le manque d’argent, tantôt une absence récurrente de lucidité, trop souvent étouffée par un orgueil dévastateur — et souvent les trois à la fois !
… on a la politique de ses moyens
En premier lieu, on peut trouver surprenant le choix de la BX pour développer une machine de compétition. Il ne s’agit en effet ni d’un coach comme la 205 T16, ni d’une berlinette comme la Ford RS200, mais d’une berline cinq portes qui, faute de moyens, va conserver l’essentiel de sa structure. Citroën n’avait tout bonnement rien d’autre en magasin et il n’était bien sûr pas question de partir d’une feuille blanche, comme ç’avait été le cas chez Peugeot… Et comme souvent à cette époque dans les situations difficiles (on se souvient par exemple du restylage prématuré de la Visa), c’est le carrossier Heuliez qui est mis à contribution pour transformer à peu de frais la BX en voiture de course vouée, comme l’exige le règlement de la FISA, à connaître une production en toute petite série. Sous la férule d’Yves Dubernard, les hommes de Cerisay se mettent au travail et la liste des modifications est impressionnante. De la sorte, à l’avant de la caisse — profondément renforcée — l’organisation du compartiment moteur est bouleversée par l’implantation longitudinale d’un moteur déjà ancien mais réputé pour sa robustesse, puisqu’il s’agit du célèbre groupe « Roc » conçu chez Simca par Georges Martin et inauguré par les infortunées Chrysler 160/180 en 1970. Provenant en droite ligne de la 505 Turbo, la version retenue pour la BX 4TC, d’une cylindrée de 2142 cm3, reçoit comme sur la Peugeot le renfort d’un turbocompresseur Garrett T3, mais affublé ici d’un compresseur électrique censé réduire son temps de réponse, l’alimentation étant pour sa part confiée à une injection Bosch L-Jetronic. La partie de Meccano se poursuit avec une boîte de vitesses de SM, la direction à rappel asservi bien connue de la plupart des conducteurs de CX (hélas, aucune autre BX n’en bénéficiera…) et un pont arrière de 505, tandis que les citroënistes invétérés auront reconnu les jantes de la CX 25 GTi Turbo, associées comme il se doit à des pneumatiques Michelin TRX.
Quatre roues motrices (à temps partiel)
L’implantation du moteur en porte-à-faux a dicté un accroissement spectaculaire de la longueur de l’auto, de l’ordre de 28 centimètres ; non seulement l’allongement démesuré de la proue détruit l’harmonie du profil, mais il engendre par-dessus le marché un déséquilibre préjudiciable au comportement de la voiture dans certaines circonstances. Avec 64 % du poids sur l’avant, on peut s’attendre à un sous-virage endémique que la transmission aux quatre roues n’est en mesure de combattre que très partiellement car, là encore pour des raisons financières, la 4TC se voit privée d’un différentiel interponts pourtant indispensable pour répartir en permanence le couple entre les deux essieux. Moyennant quoi, on se trouve en présence d’une simple traction avant dont la transmission arrière peut être enclenchée, si les conditions d’adhérence se dégradent, à l’aide d’un petit levier blotti contre la console centrale. Possible à l’arrêt ou en roulant, cette manœuvre doit cependant être proscrite sur sol sec, sous peine de soumettre les organes de la transmission ainsi que les pneumatiques à des contraintes qui en précipiteront l’usure et se traduiront par un cortège d’exhalaisons et de grincements aussi sinistres qu’éprouvants pour l’équipage. Faut-il rappeler que, chez Audi, le système quattro a été équipé d’un différentiel interponts dès 1980 ? Les avantages d’une véritable transmission intégrale sont connus et, même sur le sec, ses bénéfices en termes de motricité ne sont pas niables, en particulier à partir d’un certain niveau de puissance. Or, la BX ainsi gréée dispose tout de même de 200 ch à 5250 tours/minute, alors que le couple maximal atteint 30 mkg dès 2750 tours. Dans ces conditions, et comme l’écrit André Costa en décembre 1985 dans l’Auto-Journal, « si, en première ou en seconde (…) la puissance est tout à coup délivrée à 100 %, le train avant s’égare dans des écarts dont l’impact sera nettement perçu au volant ». S’y ajoute un freinage « on-off » typique de la marque et difficile à doser, associé à des phénomènes de plongée dont l’ampleur inusitée peut carrément amener l’avant de la voiture à venir frotter le bitume, y compris lorsque la route est rigoureusement plane !
L’enfer est dans un cœur vide
Avec ses peintures de guerre qui rappellent — et pour cause — celles de la Visa Chrono (toutes les BX 4TC, sauf un exemplaire peint en noir, sont blanches), ses quatre projecteurs longue-portée enclavés entre les optiques principales, ses ailes hypertrophiées (de même que les portières arrière : l’auto est plus large de 17 centimètres qu’une BX normale) et son aileron hérité de la Sport, l’engin n’essaie pas de passer inaperçu (mais après tout, une 205 Turbo 16 « série 200 » n’est pas particulièrement discrète non plus…). L’habitacle est quant à lui plus proche du modèle de série et reprend pour l’essentiel l’aménagement de la Sport, la seule différence notable résidant dans le combiné instrumental Jaeger, spécifique à la 4TC, dont les sept cadrans et dix-neuf témoins lumineux renseignent le conducteur dans un style déjà démodé au milieu des années 1980. Pour le reste, la seule groupe B « familiale » conserve la praticité de ses quatre portes comme de de son hayon arrière et sait préserver les vertèbres de ses occupants grâce à la suspension hydropneumatique maison, fidèle au poste même si elle a été sensiblement raidie. Tarifée 248 500 francs au début de 1986 — c’est-à-dire moins cher qu’une 205 T16 mais deux fois et demie le prix d’une BX Sport —, c’est peu dire que la 4TC ne suscite pas un enthousiasme délirant de la part de la clientèle visée, sans doute parce que celle-ci est à peu près inexistante. Car qui peut bien décider d’investir une telle somme (qui permettrait de s’offrir une BMW 628 CSi ou une Porsche 944 copieusement optionnée) dans une voiture aussi inaboutie et dont les calamiteuses prestations en course (une sixième place au rallye de Suède assortie d’une série d’abandons) ne font rien pour améliorer son image ? Citroën n’achève même pas la saison 1986, marquée par la mort d’Henri Toivonen et de Sergio Cresto lors du Tour de Corse, qui provoque la suppression du groupe B. Sur les deux cents 4TC routières construites, seules 86 ont trouvé preneurs et Citroën, comme ç’avait été le cas pour la GS Birotor, s’est par la suite efforcé de racheter les voitures à ses clients afin de les détruire. Le nombre de survivantes est donc particulièrement réduit de nos jours et certains amateurs s’intéressent à cette automobile à l’histoire aussi torturée que son esthétique ; lors de la vente organisée par Artcurial dans le cadre du salon Rétromobile 2023, l’une d’elles s’est vendue près de 100 000 euros. L’heure de la réhabilitation aurait-elle sonné ?
Texte : Nicolas Fourny