Austin Allegro: mauvais tempo ?
Bide : ce mot ne désigne pas seulement la surcharge pondérale d’un buveur de bière mais aussi n’importe quelle chose ou acte n’ayant pas rencontré le succès escompté. Et s’il y a un domaine dans lequel définir un bide est complexe, c’est bien l’automobile. Cela dépend généralement de plusieurs facteurs : investissements, chiffres de production, fiabilité…. Je vais donc prendre un exemple : l’Austin Allegro. Même si on ne peut pas vraiment la qualifier de bide, l’Allegro marque pourtant le début de la fin pour l’industrie automobile britannique. Alors, tâchons de voir son niveau de « bidonnage ».
Tout d’abord, replaçons-nous dans le contexte : depuis 1968, les groupes British Motor Holding et Leyland s’allient afin de créer la BLMC (British Leyland Motor Corporation) regroupant désormais une dizaine de marques autos. Une fausse bonne idée : Des gammes vieillissantes, des modèles entrant en concurrence les uns les autres ou se vendant mal, outils de production dépassés, aucune synergie entre les différentes marques… Plus une trésorerie des plus réduites. Rajoutez par-dessus ça des grèves et mouvements sociaux et vous trouverez tous les ingrédients pour un mauvais départ.
Chez Austin, il y a certes la Mini, qui, si elle continue de bien se vendre, accuse déjà le poids des années, mais la relève peinera à venir. Un cran au-dessus, les 1100/1300 (ou ADO16) ont également fait leur temps. Ces modèles ayant beaucoup plu sur leur marché national, mais également sur le continent dans certains beaux quartiers ou en Espagne par exemple. C’est justement dans ce pays qu’aura lieu en mai 1973 la présentation de leur succession, l’Allegro, bien qu’elle n’y fût jamais vendue malgré la présence du groupe via Authi.
Alors que la Grande-Bretagne vient d’accéder à la CEE (on est loin du Brexit…), l’Allegro doit représenter un certain renouveau pour la marque : si sous le capot les motorisations se partagent entre les blocs A+ (leurs origines remontant à…1948 !) 1100 (46ch) et 1300 (58ch) des Mini et ADO16, et les 1500 (69ch) et 1750 (91ch) repris de la Maxi (sorte de R16 sauce à la menthe, lire aussi : Austin Maxi), elle se signale par ses dimensions accrues et un style disons… gonflé. Dans tous les sens du terme !!!
Au moment où la mode est aux lignes anguleuses, il fallait oser et ça ne manquera pas de susciter la controverse, tant dans la presse qu’auprès du public. En vérité le dessin original, due à Harris Mann présenter une allure plus profilée que les contraintes de production malmèneront au final. On note notamment l’absence de hayon, accessoire de plus en plus répandu. L’Allegro fut d’ailleurs souvent comparé aux Alfasud et Citroën GS, souffrant du même handicap.
A l’intérieur, un autre élément fera jaser : le volant appelé « Quartic », de forme carrée avec les coins arrondis, genre écran télé Grandin de mamie. On expliquera sa présence par une amélioration d’accès à bord et de lisibilité de l’instrumentation, d’ailleurs peu fourni sur les premiers modèles. Il s’avérera, dans les faits, peu pratique en manœuvre.
L’innovation est également au rendez-vous côté suspension : après l’Hydrolastic, voici venir l’Hydragas : les roues de chaque côté sont interconnectées (comme sur une 2CV !!!) par transfert de fluide. Mais les cônes en caoutchouc de sa devancière sont remplacés par des sphères remplies d’azote… Un genre d’hydropneumatique discount en quelque sorte… En France, bien qu’annoncée pour le début de l’année 1974, il faudra attendre octobre pour la voir débarquer chez nous avec une gamme de 3 modèles : 1100 deux portes, 1300 quatre portes et 1500 Spécial quatre-portes. Chose originale : chaque version dispose de sa propre calandre avec des barrettes verticales, horizontales ou dessin hexagonal.
En Italie, Innocenti produit une version locale nommée Regent depuis janvier. Mais proposée à un tarif excessif face aux Alfasud et Fiat 128, c’est peine perdue et après 11.213 exemplaires, la fabrication est stoppée à peine 18 mois plus tard… Les conflits sociaux influant sur la qualité de fabrication et les problèmes de mise au point (notamment de suspension) et de fiabilité auront raison d’elle et lui vaudront une mauvaise réputation durant toute sa carrière.
Les anecdotes sur le sujet sont légions : sur les premiers modèles, on risquait par exemple d’éclater la lunette arrière si on levait l’auto pour remplacer la roue arrière en cas de crevaison. Les défauts de fabrication aussi valent le détour : des filets de caisse peints non assortis de chaque côté ou une planche de bord baladeuse, tombant au gré des chocs… Ou encore des peintures « peau d’orange » ou des suspensions mal serrée… Et cette légende d’un exemplaire sorti en deux portes d’un côté et quatre-portes de l’autre !!!
Vous en voulez encore : un ami m’a raconté qu’à l’époque, un de ces potes eu l’idée (saugrenue ?) d’acheter une Allegro, neuve qui plus est. Peu de temps après son achat, en claquant un peu fort la portière, le ciel de toit lui est tombé dessus ! British Leyland réglera ces problèmes au fil du temps, la production des modèles destinés au continent sera désormais assurée par l’usine belge de Seneffe, permettant à l’Allegro de gagner en fiabilité. Mais pendant ce temps, la part de marché de la British Leyland s’effondrait. Ford et Vauxhall, qui proposaient des modèles plus attractifs, prirent le dessus sur le marché britannique qui s’ouvrait alors à la concurrence européenne du fait de son entrée dans la CEE, mais aussi japonaise. L’année 1975 verra en juin l’apparition d’une variante break nommée « Estate ». D’allure utilitaire, il présente la particularité de n’être disponible qu’en 3 portes, à l’instar de l’Alfasud Giardinetta. Une version qui sera peu diffusée de ce côté-ci du Channel.
Peu de temps après, l’Allegro, sous l’appellation « série 2 », subit un certain nombre d’améliorations au niveau de l’habitabilité (tablier avancée et banquette reculée de 7,5 cm) et de la suspension (assouplissement à l’avant, durcissement à l’arrière et diminution de la pression des pneus !). Les cardans ainsi que les supports moteurs sont également modifiés et la calandre est unifiée.
Autre évolution notable : la disparition du volant Quartic, déjà abandonné sur certaines versions destinées au marché britannique. Et justement sur ce marché, alors que British Leyland est nationalisée, l’Allegro atteindra avec peine la 5ème place des ventes les meilleures années. C’est loin des objectifs espérés. En France pour 1976, ce sont seulement 3580 exemplaires qui seront écoulés cette année-là. Pour 1977, les choses ne s’arrangent pas : l’usine de Longbridge se trouvant régulièrement bloquée par les grèves successives, une partie des autos destinées pour la Grande-Bretagne sont désormais construites… en Belgique ! Cela n’empêche toutefois pas l’introduction d’une variante à boite automatique dans la gamme. Disposant de quatre rapports, cette nouvelle transmission est fournie par la société Automotive Products, à l’instar de celle utilisée sur la Mini. Sa fiabilité plus que discutable accélèrera le retrait de cette version du catalogue…
Sur le continent, l’usine belge prend l’initiative de généraliser le montage des double-optiques rondes déjà vus sur certaines versions. Cela au bénéfice de l’éclairage qui était jusque-là digne d’une Mobylette ! Toutefois, sur le plan esthétique, cette modification donne désormais à l’Allegro un regard quelque peu ahuri ! Chez nous, l’Allegro est dépassée en termes de ventes par les Toyota Corolla et Mazda 323, bien qu’assujettis aux quotas. Pourtant, près de 4000 unités furent vendus dans l’Hexagone, l’année précédente marquant le zénith commercial du modèle. 1979 verra la naissance de l’Equipe, série limitée à 2700 exemplaires. Destinée à concurrencer la Golf GTI (??) mais surtout à rajeunir l’image du modèle, elle se distingue par sa caisse à 2 portes alliée au 1750 de 91ch accouplé à une boite cinq-vitesses, mais surtout par sa décoration noir mat et ses bandes rouges et oranges.
Deux mois plus tard, en septembre, débarque la « série 3 » qui voit l’avènement du « tout plastoc » noir mat avec pare-chocs, essuie-glaces, rétros, baguettes et spoiler, ce dernier abaissant le Cx (0,44 à 0,40) et la conso (de 6 à 14%). Bien que la partie arrière est retouchée, l’Allegro se passe toujours de hayon, un élément devenu indispensable pour une auto de cette catégorie. D’ailleurs, à la même époque, la GS adopte une 5ème porte en se muant en GSA. L’Alfasud fera de même l’année suivante…
Pour le reste, la suspension est une nouvelle fois revue et le moteur 1,5l voit sa puissance grimper à 78ch grâce à l’adoption de deux carbus. A l’intérieur, une nouvelle planche de bord est montée, utilisant des éléments d’autres autos du groupe (aérateurs de Jaguar, commodos de SD1…) et à l’équipement enrichi. Mais cette dernière tentative de relance de l’Allegro restera lettre morte (comme les autres…) d’autant qu’elle subit dès lors la concurrence interne de la Triumph Acclaim (Honda Ballade rebadgée) et même de la Metro (munie d’un hayon, elle). L’Allegro vivra, ou plutôt survivra jusqu’en mars 1982 après 642.350 exemplaires produits dont quelques 21.000 vendus en France. Il faudra cependant attendre un an avant de voir apparaitre sa remplaçante : la Maestro.
Alors ? L’Allegro, vraiment un bide ? Pour ce qui est des chiffres, il est vrai que comparer au presque-million d’Alfasud, au quasi-2,5 millions de GS (GSA comprises) citées plus haut ou même au 1,1million de sa cousine Morris Marina (lire aussi : Morris Marina) sans parler de la Golf contemporaine, l’Allegro est plutôt dans le bas du classement. Et bien que les gros problèmes de mise au point et de qualité de fabrication lui causeront du tort, ce n’était pourtant pas une si mauvaise voiture notamment en termes de tenue de route.
On ne peut pas pour autant l’accuser de l’agonie de la British Leyland, mais son début de carrière chaotique qui durera pourtant près de 10 ans en fait un symbole de cette période. Et aujourd’hui ? Si l’on excepte quelques variantes vraiment exclusives comme la convertible de chez Crayford (18 exemplaires seulement !) ou la baroque version Vanden Plas (avec boiseries et cuir svp !), la chasse à l’Allegro sera ardue ! D’après Challenges, en août 2016, il ne restait plus que 170 exemplaires, toutes versions confondues ! Alors si certains d’entre-vous désirent acquérir cette anglaise méconnue, bon courage !
Pour en savoir plus sur ce modèle : l’Allegro sur AROnline
Texte : Quentin Roux