Celle que l’on appelle souvent « GTV », par commodité de langage, a commencé sa vie sous le nom d’Alfetta GT – puisqu’il s’agissait bien d’un coupé étroitement dérivé de la berline éponyme. Privée de l’aura des coupés Bertone auxquels elle a succédé et synonyme d’une forme de déclin pour le constructeur milanais, l’auto a longtemps fait figure de lot de consolation pour ceux qui n’étaient pas (ou plus) en mesure de s’offrir l’un de ses glorieux devanciers. Pourtant, elle mérite bien mieux que cela et, depuis quelques années, les connaisseurs ont appris à redécouvrir cette machine élégante, emblématique du design de la décennie 1970 et animée par des moteurs dignes de leur blason. Tout à coup, l’on se souvient qu’elle fut dessinée par l’un des ténors du design italien, l’on s’attarde sur les détails d’un style merveilleusement daté et l’on retrouve avec une délectation tardive la magie du bialbero – sans parler du V6 « Busso » dont elle hérita pour sa fin de carrière. Fort heureusement, il n’est pas trop tard pour en profiter…
La fin d'une époque
Quand l’Alfetta GT est officiellement présentée, au printemps de 1974, le catalogue Alfa Romeo se singularise autant par son foisonnement que par son syncrétisme – il est alors, pour ne prendre que cet exemple, bien plus étendu que celui de BMW, ce qui rend d’autant plus regrettable l’indigence de la gamme actuelle… De l’Alfasud, compacte à traction avant et moteur quatre-cylindres à plat, à la Montreal, coupé de grand tourisme animé par un sulfureux V8, sans oublier les berlines et spiders, la firme italienne est en mesure de répondre aux attentes d’une clientèle très diversifiée. C’est pourtant la fin d’un âge d’or qui se profile, mais personne ne le pressent encore ; le nouveau modèle assure ainsi avec brio la succession des fameux « coupés Bertone » issus de la Giulia, alors à leur couchant et qui, s’ils excitent aujourd’hui bien des collectionneurs, sont frappés d’une sénescence bien compréhensible après plus d’une décennie de carrière. En comparaison, ce premier dérivé de l’Alfetta – il y en aura bien d’autres – s’inscrit dans une modernité revendiquée, à commencer par son design dû à Giorgetto Giugiaro et qui pourrait à lui seul servir d’illustration aux tendances stylistiques des années 70, avec sa ligne en flèche, ses arêtes vives et son postérieur à pan coupé.
Les paradoxes de la modernité
À l’intérieur aussi, l’Alfetta GT tourne résolument le dos à la tradition avec une planche de bord digne d’un concept-car, le bloc instrumental étant scindé en deux parties ; de façon inusitée en grande série, le compte-tours trône, solitaire, face au conducteur, tandis que les autres cadrans sont regroupés au centre du mobilier. Cette disposition, très critiquée à l’époque, sera abandonnée lors du restylage intervenu pour le millésime 1981 ; à notre sens, il est permis de regretter ce retour au classicisme – pour ne pas utiliser de qualificatifs plus désagréables –, la planche de bord initiale s’avérant certes moins ergonomique mais bien plus intéressante à contempler. Le reste de l’habitacle se révèle suffisamment accueillant pour quatre personnes, à condition qu’elles ne soient pas trop grandes, et le coffre, auquel on accède par un vaste hayon – formule osée pour une « grand tourisme » mais que l’on retrouvera sur les Porsche à moteur avant – est assez logeable pour envisager de partir en vacances, le tout en profitant du crépitement caractéristique du double arbre maison (uniquement proposé en version 1,8 litre au début). Ce dernier, si son tempérament et sa joie de vivre peuvent à eux seuls justifier l’achat de la voiture, suscite néanmoins quelques critiques, n’ayant pratiquement pas évolué par rapport aux coupés Giulia alors qu’il doit à présent emmener une caisse plus lourde de cent kilos…
Des moteurs avant tout
Dans ces conditions, les performances de l’engin, en quelque sorte, « déçoivent en bien » ; très compétitives dans l’absolu, elles marquent cependant une forme de stagnation par rapport aux devancières de l’Alfetta GT qui, à l’instar de la berline, ne va toutefois pas tarder à évoluer, à la fois vers le bas, avec une version 1,6 litre principalement destinée au marché italien, et surtout vers le haut, par le truchement du 2 litres qui accompagnera le modèle jusqu’à sa disparition. Cette variante, dénommée GTV pour Gran Turismo Veloce – reprenant ainsi une appellation glorieuse –, apparaît en juin 1976 et constitue indéniablement le climax de la première série, son moteur se comportant de façon plus satisfaisante que le 1,8 litre. Pour autant, le coupé Alfetta ne s’est pas débarrassé de certains défauts, dont une direction à la dureté excessive et une commande de boîte exaspérante de lenteur – caractéristique bien connue des conducteurs d’Alfa « transaxle » dans lesquelles, comme chacun sait, la boîte de vitesses est rejetée à l’arrière, aux côtés du différentiel. Cette disposition, très favorable à la répartition des masses, peut engendrer certains inconvénients si la tringlerie n’est pas étudiée avec suffisamment de soin et, à l’usage, la boîte de l’Alfetta présente un réel déficit d’agrément pour les conducteurs les plus exigeants à qui, néanmoins, l’on pourra utilement rappeler qu’une GT n’est pas une sportive pure et dure !
La magie du Busso
À l’été de 1980, l’auto connaît de profondes modifications ; le nom « Alfetta » est abandonné au profit de l’appellation « GTV », qui se généralise, tandis que la gamme se circonscrit à deux moteurs. Le bialbero 2 litres est conservé en entrée de gamme, mais il se voit à présent épaulé par le merveilleux V6 dessiné par Giuseppe Busso et apparu l’année précédente dans la peu appréciée berline Sei. Il y a beau temps que tout a été écrit sur ce groupe d’anthologie, à la fois infatigable et musical, et qui trouve là un écrin à la mesure de son talent. L’avènement de la GTV 6 – telle est sa désignation officielle – transfigure le typage de l’auto et ses 160 ch lui apportent le surcroît de performances qui lui faisait défaut, les chronos surclassant la Lancia Gamma 2500 et n’étant pas très éloignés de ceux d’une BMW 628 CSi. C’est sans conteste la version la plus désirable, les confidentielles Turbodelta de 1979 ou GTV8 (celle-ci, développée sur l’initiative de l’importateur allemand, ayant récupéré le moteur de la Montreal) évoluant dans un autre univers en raison de leur grande rareté (alors que plus de 20 000 GTV6 sont sorties d’usine en six ans de production).
Le moment d’acheter
En juin 1981, André Costa essaie la GTV 6 pour l’Auto-Journal. S’il regrette, comme dans le cas de la version à quatre cylindres, la lenteur de la boîte et l’absence de direction assistée, le moteur a visiblement séduit le célèbre essayeur : « Le V6 à 60° de la GTV 6 est non seulement d’une puissance très agréable à tous les régimes mais il fait preuve en outre d’une souplesse et d’un équilibre général très supérieurs à la moyenne. Sur autoroute, en montagne ou en ville, la GTV est partout à l’aise, avec un velouté qui n’a d’égal que la beauté du bruit à l’échappement. » Bien sûr, on peut préférer la finesse et les chromes de la première série, l’arrivée du V6 s’étant accompagnée d’un restylage très typé eighties et dont il est permis de regretter le manque de subtilité, mais cette grande pourvoyeuse de plaisirs épicés – à condition que vous sachiez vous en servir – vous ensorcellera à coup sûr si vous en prenez le volant, ne serait-ce que pour quelques kilomètres. D’autant que le modèle est encore très accessible : moins de 20 000 euros peuvent suffire pour repartir au volant d’une GTV 6 en bel état, et 15 à 17 000 euros pour une quatre-cylindres. Profitez-en, quelque chose nous dit que ça pourrait ne pas durer…
Texte : Nicolas Fourny