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BERLINE
ITALIENNE

Alfetta : le fromage d'Alfa Romeo

Par Nicolas Fourny - 25/05/2023

« Dessinée en interne, la voiture affichait une physionomie à la fois plaisante et équilibrée, suggérant la conduite active sans jamais se départir de l’élégance seyant à son blason »

L’an dernier, on a fêté les cinquante ans de la berline Alfetta. Un anniversaire passé à peu près inaperçu en France, hormis bien sûr chez les alfistes invétérés — même s’ils ne sont pas très nombreux, en définitive, à rendre les hommages qu’elle mérite à cette berline dont les fondamentaux ont tout de même permis à la firme lombarde de sauver les meubles deux décennies durant. Bien sûr, on peut observer le même phénomène ailleurs ; les coupés et les cabriolets bénéficient presque toujours d’une certaine prépondérance dans le cœur des collectionneurs, au détriment des carrosseries à quatre portes dont le délaissement nourrit la raréfaction : de la sorte, il est devenu beaucoup plus facile de trouver un coupé GT ou GTV que la familiale qui leur a donné naissance ! Néanmoins, certains amateurs éclairés et peu suspects de conformisme ne l’entendent pas ainsi et s’attachent à préserver les dernières survivantes…

Avoir été (et ne plus être)

Connaissez-vous l’Autodrome Italian Meeting ? Cette attachante manifestation, qui a lieu chaque année à Montlhéry au début de l’automne, regroupe comme son nom l’indique les amateurs d’automobiles italiennes de toutes époques et de toutes marques. Naturellement, Alfa n’y est pas la moins représentée du lot et, sur la piste comme parmi les modèles exposés en statique, chacun peut admirer à loisir les coupés Bertone, les berlines Giulia tipo 105 ou les GTV (types 116 et 916), qui voisinent avec des youngtimers telles que les 156 et 147 GTA. En revanche, y découvrir une berline Alfetta s’avère rarissime et, dès qu’un exemplaire de l’auto fait son apparition, le public s’y intéresse souvent davantage qu’aux Ferrari ou aux Maserati de noble lignée stationnées non loin. C’est un fait : sur la route, il est devenu moins fréquent de croiser une Alfetta qu’une Lamborghini Countach (j’exagère à peine). Où sont donc passées les quelque 450 000 voitures construites de 1972 à 1984 ? S’il existe un paradis pour les familiales de caractère, nul doute que la plupart d’entre elles y coulent des jours heureux, tant la corrosion, l’ingratitude de leurs premiers acquéreurs et les ravages de l’oubli ont décimé leurs rangs…

 

L’âge de l’extinction

Naturellement, l’Alfetta est loin d’être la seule dans ce cas : toutes les berlines moyennes contemporaines ont peu ou prou subi le même sort, qu’il s’agisse des Opel Ascona, des Peugeot 504, des Lancia Beta, des Ford Taunus, des Audi 80 ou des Renault 20, expédiées sans vergogne au broyeur après de longues années de bons et loyaux services (et, bien souvent, une cohorte de propriétaires de plus en plus impécunieux). Cela se vérifie à tous les coups : plus onéreux et donc moins diffusés durant la vie commerciale d’un modèle, les dérivés récréatifs du type coupé ou cabriolet affichent un taux de survie toujours supérieur parce qu’ils sont systématiquement collectionnés très en amont des berlines dont ils sont issus. Chez Alfa, bien des gens ont ainsi oublié que le coupé tipo 116 a débuté sa carrière sous le nom d’Alfetta GT, alors que la quatre-portes ferraillait depuis déjà quatre ans sur un marché très disputé et dans lequel elle avait fait une irruption remarquée. Initialement destinée à remplacer les berlines 1750 et 2000 alors à leur couchant, l’auto s’efforçait de renouveler le concept de la berline sportive de moyenne cylindrée — c’est-à-dire celui-là même qu’Alfa Romeo avait inventé vingt ans plus tôt. Une démarche rendue d’autant plus ardue qu’entre-temps, une firme bavaroise bien connue avait elle aussi décidé d’investir ce segment de marché, aussi peu fréquenté que rémunérateur !

Freude am Fahren vs virus Alfa

L’apparition de la BMW Neue Klasse, en 1961 — soit un an avant la commercialisation de la Giulia — avait ressemblé à un avertissement sans frais ; dorénavant, les Italiens n’étaient plus les seuls à aguicher les pères de famille soucieux de ne pas renoncer aux joies de la conduite dynamique et, tout au long des sixties, Munich avait sans cesse développé sa gamme, tandis que Fiat avait lancé, en 1966, son propre quatre-cylindres double arbre sous la forme du Lampredi qui allait notamment faire les beaux jours de Lancia… À l’orée de la décennie suivante, la nouvelle Alfetta jouait gros ; baptisée en référence à la monoplace 158 de 1938 avec laquelle elle partageait certaines spécificités (boîte et embrayage rejetés à l’arrière et pont De Dion avec parallélogramme de Watt), la berline milanaise peut surprendre aujourd’hui par sa compacité. Avec seulement 4,28 mètres de long, elle était plus courte de dix centimètres que la berline tipo 105, et son habitabilité s’en ressentait (confortable pour quatre occupants, elle se révélait nettement moins hospitalière pour un cinquième passager). Dessinée en interne, la voiture affichait une physionomie à la fois plaisante et équilibrée, suggérant la conduite active sans jamais se départir de l’élégance seyant à son blason.

Souviens-toi… le siècle dernier

Essayée en 1973 par Bernard Carat dans l’Auto-Journal, l’Alfetta parvient à séduire un rédacteur pourtant peu favorable aux productions étrangères : « … Alfa Romeo frappe un grand coup pour démontrer sa suprématie technique. Pour un prix raisonnable, il offre une quatre portes quatre places avec des performances très élevées et surtout une tenue de route étonnante en toutes circonstances. De même, la suspension est une grande réussite ainsi que la conception de la boîte cinq vitesses à l’arrière. » De fait, moins volumineuse qu’une BMW 520, la berline italienne — pourtant tarifée 20 % moins cher — domine largement sa rivale germanique au chapitre des performances et ne lui cède en rien en matière de comportement routier. Le légendaire bialbero maison reprend encore une fois du service et délivre joyeusement ses 122 chevaux sur la base d’une cylindrée de 1779 cm3, dans un crépitement caractéristique qui réjouit le connaisseur ; les conducteurs adroits peuvent exploiter la puissance sans arrière-pensée, compte tenu des qualités du châssis auquel on ne peut reprocher qu’une relative faiblesse du freinage en conduite active. Relire la presse spécialisée de l’époque un demi-siècle plus tard permet de mesurer à quel point l’Alfetta dominait alors les débats, sans coûter beaucoup plus qu’une Peugeot 504 Ti ou qu’une Audi 100 GL, machines certes valeureuses et sérieusement conçues mais bien ternes en comparaison. En d’autres termes, Alfa Romeo disposait là d’une atout décisif, le rapport prix/plaisir du modèle étant à peu près imbattable !

Un dernier sursaut avant l’abîme

Malheureusement, si le succès est au rendez-vous durant les premiers millésimes, les ventes chutent dès 1974. À l’instar des autres manufacturiers de modèles sportifs et/ou de prestige, Alfa subit de plein fouet les conséquences du premier choc pétrolier et, dès lors, va faire feu de tout bois pour maintenir sa berline à flot, d’autant qu’à partir de 1977, l’Alfetta prend la succession de l’ancienne 2000 en récupérant son moteur et doit dès lors assurer l’intérim en haut de gamme en attendant le lancement sans cesse retardé de la grande Sei, laquelle ne fera d’ailleurs que de la figuration. À Arese, on commence à manger son pain noir… Le lugubre Diesel VM vient compléter l’offre ; la carrosserie s’allonge de dix centimètres et gagne ainsi en respectabilité ce qu’elle perd en dynamisme, alors que les restylages successifs en alourdissent l’ornementation ; les dernières 2 litres Quadrifoglio Oro, certes très généreusement équipées, sont loin de l’espièglerie aérienne des premiers modèles — comme de juste, les plus convoités de nos jours. Arrêtée à la fin de 1984, l’Alfetta va cependant se survivre à elle-même, tout d’abord sous la forme d’une très discutable réactualisation baptisée 90, dont le spoiler avant mobile, l’instrumentation candidement futuriste et la valise amovible intégrée à la planche de bord ne feront guère illusion. Puis, faute de moyens, Milan va littéralement user le concept jusqu’à la corde ; la Nuova Giulietta de 1977, puis la 75 de 1985 et les SZ/RZ de 1989 en ont semblablement repris l’architecture avant que, sous l’égide de Fiat, Alfa se convertisse à la traction… Pour beaucoup de puristes, l’Alfetta est la dernière création authentique de la firme, son ultime morceau de bravoure avant une lente descente aux enfers qui ne semble hélas pas terminée, l’actuelle Giulia n’ayant pas trouvé son public en dépit d’un indéniable faisceau de qualités. Nul doute que, dans les années qui viennent, le modèle saura susciter un désir croissant ; à vous de jouer avant qu’il soit trop tard !





Texte : Nicolas Fourny

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