CLASSICS
ITALIENNE

Alfa Romeo 1750 Berlina : « L’Alfamiliale »

Par Jean-Jacques Lucas - 05/08/2022

Alfa Romeo vit des temps difficiles. L’ancien petit constructeur au prestige acquis en compétition avant-guerre, aux si désirables autos Dolce Vita, a construit de dynamiques familiales, que l’on chercherait plutôt dans la production germanique actuelle. L’Alfa Romeo 1750 berline était une routière confortable et énergique, construite autour d’un moteur brillant dont peu de constructeurs pouvaient alors faire le pendant dans ce registre de véhicule.

Le prétexte de la citation historique

En 1967, l’Anonima Lombarda Fabrica Automobili se remettait de l’effondrement de sa production descendue à moins de 60 000 exemplaires en 1966. Avec une hausse de 28 %, elle atteignait près de 77 000 exemplaires produits. Aussi, lorsque le 18 janvier 1968, la firme présenta, à Vietri sul Mare, dans la province de Salerne, la gamme 1750, la croissance industrielle était à nouveau bien engagée. En 1968, Alfa Romeo produisit plus de 97 000 véhicules, quantité jamais atteinte jusqu’alors. Peu après, la gamme faite du coupé 1750 GT Veloce, du spider « Duetto » de 1966 ainsi augmenté en cylindrée et de la berline familiale 1750, était présentée au 47ème salon automobile de Bruxelles. Alors que le modèle Giulia incarnait l’Alfa Romeo des années 1960, la firme puisait dans son patrimoine du temps de l’ingénieur Vittorio Jano (1891-1965), la référence « 1750 » de 1929 à 1932.

La presse automobile française du printemps-été 1968 (les semaines précédentes ne s’étant pas prêtées à la célébration de la chose roulante) rappelait le prestige de l’originelle 1750 à 6 cylindres, présentée 39 années plus tôt, en janvier 1929 à Rome, époque où Alfa Romeo (malgré ses succès en compétition) restait un tout petit constructeur en termes de production civile. La 1750 de 1968 remontait l’évocation aux origines et rompait avec l’hypothèse de continuité immédiate malgré l’évidence mécanique. La berline Alfa Giulia, produite de 1962 à 1977 en une quinzaine de définitions à plus de 550 000 exemplaires dominait la production de son registre, la berline statutaire 2600 faisant de la figuration commerciale malgré ses qualités (2 038 exemplaires produits entre 1961 et 1968). La berline 1750 rappelait la généalogie avec laquelle, pourtant, elle n’avait rien à voir, pas de six cylindres et une extrapolation de la Giulia 1600 TI de 1962-1967 (et aussi TI Super en 1963-1964, Giulia Super en 1965-1971 et 1600 S en 1968-1970).

Une berline familiale au-dessus du lot

L’ingénieur Orazio Satta Puliga (1910-1974), entré chez Alfa Romeo en 1938, avait supervisé l’élaboration du moteur de cette 1750 à partir du 1 600 (1 570 cm3) de la Giulia pour développer une familiale rapide susceptible de forts chiffres de production industrielle. La berline 1750, plus longue que la Giulia (439 cm contre 414 cm) gagnait 6 cm sur l’empattement au profit des passagers arrière, mais était avant étirée sur les porte-à-faux, de 6,2 cm sur l’arrière et 12,8 cm sur l’avant. Elle ne gagnait pas en largeur en regard de la Giulia (156,5 cm contre 156 cm), ni en hauteur (143 cm), mais sa surcharge pondérale la grevait d’un quintal de plus que la Giulia 1600 Super contemporaine, 1 110 kg contre 1 020 kg. Une berline Peugeot 504 possédait des cotes supérieures en tous points sans disposer de la même énergie mécanique.

Le bloc-cylindres de la Giulia 1600 (1 570 cm3, 78×82), issu lui-même du 1 290 cm3 de la déjà lointaine Giuletta de 1954, passe ici à 1 779 cm3 principalement par l’augmentation de la course (80×88,5). Le presque 1,8 litre, alimenté par deux DC Weber ou Dellorto sortait 118 ch DIN ou 132 ch SAE à 5 500 tr./min contre 102 ch DIN ou 112 ch SAE à la Giulia 1600 Super. En ces temps de vignette, la 1750 émargeait au niveau déjà onéreux des 10 cv fiscaux. À l’instar du six cylindres de la 2600 Sprint, Jean-Paul Thévenet décrivait un moteur « plus rond », plus homogène sur une plus large plage de régime exploitable dans son essai du n° 266 de juin-juillet 1968 de la revue L’Automobile. Le couple de 17,5 mkg était atteint à 2 900 tr./min.

Voilà une berline familiale susceptible d’atteindre la vitesse considérable à ce niveau de gamme de 180 km/h. Dans la production française d’alors et dans des cylindrées approchantes, on ne trouve guère que la Peugeot 504 injection (1 796 cm3, 103 ch SAE/97 ch DIN) pour apercevoir de telles performances, et encore d’assez loin, sinon les BMW 1800 TI (1964-1968, 1 773 cm3 et 110 ch DIN) de l’ère Neue Klasse et surtout TI/SA (1964-1966, 130 ch DIN). Même la Lancia Flavia Milleotto berline (1967-1970) ne saurait la suivre (1 816 cm3, 92 ch) dans ce seul registre de performances primaires. Enfin, Fiat avait remisé son 1800 et présenté en 1967 la 125 au 1,6 litre  « Super Carré » (1 608 cm3, 80×80) de 90 ch DIN puis 100 en version Spécial, s’inscrivant un cran en-dessous, notamment en termes de distinction. De même, les berlines familiales à boîte à cinq vitesses n’étaient alors pas légion.

Une routière rapide, docile et sûre, c’est presque une contradiction

Jean-Paul Thévenet avait loué la souplesse du moteur et l’insonorisation favorables au confort routier. Il la définissait comme une routière rapide, docile et sûre mais aux suspensions fermes, maniable et disciplinée pour reprendre chacun de ses qualificatifs. Il louait le freinage, l’absence de bruits dits aérodynamiques à haute vitesse, qui devait se situer au moins autour de 150 km/h. En revanche, il soulignait, en essayeur poussant l’auto dans ses retranchements sans coup férir, « le talonnement de la roue extérieure au virage, lorsque l’on soulage l’essieu arrière très rapidement sur un mauvais revêtement », une « tendance à sautiller des quatre roues sur de très mauvaises routes » et «les sursauts de l’essieu arrière lors d’accélérations très vives ». Où l’on voit que les journalistes du monde automobile  rendaient aussi compte, à leur corps défendant, de l’état routier parfois aléatoire.

L’essayeur insistait sur la précaution à n’en pas faire une « grosse Giulia ». Il s’agissait bien d’une autre automobile, cossue mais vive, dont il avait comparé les performances avec la Giulia 1600 sur le 400 m d.a. (17’’3/10è contre 18’’ 7/10è) et le kilomètre d.a. ( 32’’ 3/10è contre 34’’ 3/10è) « avec deux personnes à bord ». Il avait relevé un niveau de performances conséquent dans l’étagement de la boîte, 50 km/h en 1ère, 80 km/h en 2ème, 120 km/h en 3ème  et 170 km/h en 4ème, évocation inimaginable aujourd’hui. De même, les chiffres de consommation de carburant pour cette voiture ainsi menée atteignaient 12 l/10 km en moyenne, allant de 8,2 litres à moins de 15 litres.

Une auto à peine retouchée durant sa production, au dessin tout en sobriété

La berline Alfa Romeo 1750 a connu deux périodes et se vendit bien dès la première année, avec 29 000 exemplaires produits dont 141 à injection mécanique Spica destinés au marché nord-américain. La présentation du modèle retouché eut lieu au Salon automobile de Turin d’octobre-novembre 1969. Le pédalier articulé sur le plancher était désormais suspendu, le circuit de freinage renforcé et le premier volant en plastique noir remplacé par un cerclage de bois. L’offre du seul tissu proposé était complétée par une sellerie en simili-cuir, en ces temps du skaï à profusion. Une longue liste de détails distingue la version 1968-1969 de la version 1970-1972. On sait reconnaître la première aux clignotants avant posés sur les extrémités du pare-chocs, comme sur la 2600 Sprint, et à ses enjoliveurs chromés au disque noir à l’enseigne du constructeur. L’élégance mobilière flatte le conducteur et le passager. Le long bandeau de bois verni du meuble de bord est juste interrompu par l’échancrure de la colonne de direction. La partie supérieure du tableau de bord noir reçoit les gros deux cônes, séparés, du compte-tours à gauche et du tachymètre à droite. Les quatre cadrans circulaires de la jauge, du thermomètre, du manomètre et de la montre peuplant le haut de la console garantissent une information dynamique d’auto à connotation sportive.

L’élégance intérieure de l’auto résulte de la netteté et du dégagement de ce mobilier animé par un volant suggestif à trois branches en aluminium portant les touches d’avertisseur, ton italien évidemment, et le levier de vitesses sortant encore en diagonale de la console. Cette auto a quelque chose « comme il faut », énergique sans patauderie aucune, chromes et bois sans excès, au dessin lissé et tendu. Deux plis animent le profil de la caisse, l’inférieur tracé depuis le bas du tableau arrière coiffe l’arche de roue et rejoint, affiné, le bas de la calandre. Le pli supérieur signe la ligne de caisse. Ainsi, la courbe habite peu le dessin de l’auto, si ce n’est à l’arche avant et aux plis du pavillon. Le montant arrière large assoit la dynamique dominée par l’horizontale.

La 1750 était une voiture moyenne de catégorie supérieure

La berline Alfa Romeo 1750 était vendue 18 750 francs en 1968, soit le prix d’une DS 20 (103 ch DIN) en 1970, à rapporter aux 13 100 francs de la toute nouvelle Peugeot 504. En 1972, la 1750 voyait sa cylindrée portée à 1 962 cm3 (132 ch DIN), donnant ainsi la 2000 produite jusqu’en 1976. Entre-temps, l’Alfetta (1972-1984) prenait le relai de façon avantageuse. En effet, la première série de l’Alfetta, reprenant l’équipage de la 1750 porté à 122 ch, fut produite à près de 105 000 exemplaires entre 1972 et 1974, bien plus que la 1750 produite à 91 308 exemplaires entre janvier 1968 et mai 1972 auxquels il faut ajouter plus de 10 000 exemplaires destinés au monde anglo-saxon et « étatsunien ». La 2000 continuait la carrière jusqu’en mai 1976 avec plus de 86 000 exemplaires fabriqués.

Il manque aujourd’hui le bruit du moteur vigoureux de ces autos, chics et sobres, à l’allure fière. Il est devenu rare de voir des enfants rejoindre une berline Alfa à la sortie d’une école. Peut-être un Stelvio plutôt qu’une Giulia et surtout pas diesel. C’était pourtant une auto familiale. Je me souviens (et même de la plaque minéralogique, encore et toujours Pérec) d’une 1750, première série, de couleur bordeaux, munie de deux projecteurs supplémentaires à longue portée, conduite par une maman trentenaire assurant le transport scolaire de ses trois enfants. C’était l’une des trois ou quatre Alfa de ma petite patrie natale. Désormais, si la rouille, réalité et lieu commun sur l’automobile européenne de cette époque et plutôt italienne, n’est pas venue à bout des bas de caisse et de portières, il est de ces berlines 1750 bien conservées accessibles entre 15 000 et 20 000 €.

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