Tatra T613 : la belle praguoise !
En écrivant récemment sur la Wartburg 353 (lire aussi: Wartburg 353), je me suis mis à repenser à l’un de mes modèles favoris (on ne rit pas s’il vous plaît), la Tatra T613. J’en avais écris un article au tout début de Boîtier Rouge (lire aussi : Tatra T613 et T700) mais je ne suis pas totalement satisfait : j’avais envie d’en dire encore un peu plus sur cette étrange voiture, pas forcément belle, souvent dérangeante pour les occidentaux que nous sommes, et qui m’avait sidéré lorsque j’en avais vu une pour la première fois en 1991 à Prague.
La chute du mur n’était pas si lointaine, et on pouvait en voir rouler encore de beaux exemplaires dans cette si belle capitale tchèque dont je suis tombé amoureux. D’ailleurs, si la T613 n’était pas praguoise, mais fabriquée à Pribor (lire aussi : l’usine Tatra de Pribor), je trouve qu’elle ressemblait beaucoup à cette ville : fantasque, baroque, si familière et pourtant si différente de ce que je connaissais déjà.
Les commentaires de certains lecteurs sur la Wartburg m’ont donc fait repensé à ma chère Tatra, au point d’en écrire un deuxième article. En relisant le premier, je le trouve finalement trop succint. Commençons donc par le commencement : ma rencontre avec la Tatra 613. La première que j’ai vu était garée pas loin du palais présidentiel. Elle m’avait parue majestueuse malgré son dessin daté. Sa longueur y faisait sans doute pour beaucoup, mais aussi son intérieur très luxueux (intérieur cuir, boiseries), et semblait toute neuve. Il devait sans doute s’agir d’une 613/4, sortie cette même année grâce à laquelle la division automobile de Tatra (grand constructeur de camions devant l’éternel) comptait simplement survivre.
En cette fin des années 60, la Tchécoslovaquie (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître) expérimente le « socialisme à visage humain ». L’heure est à l’ouverture, et quand il s’agit de remplacer la vieillissante (et perfectible) 603, les pontes de chez Tatra n’hésitent pas à faire appel à l’étranger pour proposer une ligne moderne à sa future berline. C’est donc vers l’Italie que se tourne la firme tchécoslovaque, et après avoir éliminé Bertone et Michelotti, c’est finalement Vignale qui sera retenu. Pour le reste, tout est du plus pur Tatra, qui reste fidèle à sa tradition : le moteur à l’arrière refroidi par air.
Ce moteur d’ailleurs est un V8. Il dérive de celui de la 603, mais est finalement totalement différent, passant de 2,5 à 3,5 litres, et de 105 à 165 ch. De quoi donner un certain standing à cette belle de l’Est. Contre toute attente, le Printemps de Prague et sa répression n’entrave pas la collaboration avec Vignale, qui présentera 3 prototypes en 1969. L’un d’eux sera présenté au premier ministre en personne, Lubomir Strougal, qui, séduit par la voiture, ordonnera de la garder pour son usage personnel. Il faudra toute la persuasion du responsable du projet, Milan Galia, pour récupérer le précieux prototype.
Malgré un budget ridicule (voire inexistant), la priorité étant donnée aux camions fabriqués par Tatra, la 613 arrive à corriger les défauts de la 603. Son moteur est désormais quasiment sur l’essieu arrière, améliorant la tenue de route catastrophique de sa devancière (on a un exemple de cette fâcheuse tendance à chasser du cul de la 603 dans le film « Fallait pas », conduite par les sbires de Jean Yanne, lire aussi : Tatra 603).
La 613 mettra encore 4 ans avant d’être prête à entrer en production, mais celle-ci tardera encore un peu pour une raison simple : la voiture n’est pas vraiment destinée aux particuliers, mais à l’Etat, aux administrations, et aux cadors du parti. Tant que les budgets ne sont pas là pour renouveler le parc de 603, il serait illusoire de lancer la production. D’ailleurs, Tatra ne dispose pas d’un réseau de concessionnaires comme on l’imagine en Occident : une usine et puis c’est tout !!
Finalement, la production commence courant 1973. Etant donnée la cible, les volumes ne sont pas démentiels : les premières années, ce sont environ 1000 exemplaires par an qui sortiront des chaînes de Koprivnice. Un rythme quasi artisanal qui va le devenir de plus en plus à partir de 1978, quand la majorité du parc étatique aura été remplacé. En 1979, sans doute pour conquérir quelques hauts dirigeants du parti épris de reconnaissance et d’aisance, Tatra sortira une version rallongée (empattement rallongé de 16 cm), la T613 S (qui sera produite à 133 exemplaires tout de même), sans pour autant redresser les ventes de façon sensible. La longue descente aux enfers durera jusqu’au milieu des années 80, avec une production de 200 exemplaires par an environ. Pourtant, en 1980, la T613/2 voit le jour. Principal changement, et on ne rigole pas : le moteur gagne 3 chevaux, pour atteindre 168 ch. La même année, Tatra produit un exemplaire surprenant, une 613 dotée d’un moteur porté à 3,7 litres et 174 ch, destinée à servir de Pace Car. En 1984, la 613 a droit à un premier restyling, gagnant en modernité.
Magie du marketing de l’Est, cette version restylée garde l’appellation T613/2 jusqu’à l’année suivante, date à laquelle elle prend le nom de T613/3 grâce à l’ajout de répétiteurs de clignotants sur les ailes. En 1984, Tatra produit aussi 5 exemplaires de la fabuleuse 613K, une version landaulet destinée aux parades et défilés (lire aussi : Mais c’est quoi un Landaulet ?). La deuxième moitié des années 80 est une période un peu plus faste pour Tatra (si l’on peut dire) : les premiers modèles sont à remplacer, sans compter les quelques 603 encore présentes dans les administrations qu’il s’agit d’éradiquer définitivement. Les ventes remontent et oscillent entre 400 et 600 exemplaires par an. Entre temps, Tatra s’est diversifiée en produisant des versions ambulance de sa berline, la T624, et enfin quelques exemplaires de la T623 RT destinée aux services aéroportuaires.
La T613 aurait pu continuer longtemps comme cela, sur ce rythme de sénateur, mais l’Histoire en décidera autrement. La chute du mur et du rideau de fer (que les moins de vingt ans etc…) prive Tatra de son unique débouché. Sans compter les quelques ventes à l’export vers des pays frères qui elles aussi se tarissent (à une certaine époque à Moscou, rouler en Tatra, c’était comme rouler en Saab en Occident : une manière de se différencier, et certains membres du parti montraient leur singularité en choisissant la marque tchèque plutôt qu’une Zil, lire aussi : ZIL 41044).
La fin du Comecon, l’arrivée brutale de l’économie de marché, l’absence de préparation à ce nouveau challenge, tout cela fut d’une certaine manière fatal à Tatra. Ce n’est pas faute d’avoir essayer. D’une part, un projet assez enthousiasmant verra le jour avec le soutien de Tatra, la fameuse MTX V8 produite par Metalex, et surnommée Supertatra (lire aussi : MTX V8 Supertatra) qui fit connaître le nom de la marque dans le monde entier, et d’autres part, Tatra s’attachera à moderniser sa belle berline. Ainsi naquit la T613/4 de 1991 dont je vous parlais au début de cet article, rehaussée aux standards de luxe occidentaux. En 1993, c’est la T613/4 Electronic qui pointe le bout de son nez, avec un ordinateur de bord (oui oui!) et surtout 200 ch sous le capot arrière. Entre 1990 et 1995, 23 exemplaires de la T613 RZP (version surélevée) verront aussi le jour. En 1993 toujours, une version T613 Mi Long disposant d’une boîte 5 vitesses. En 1995, la T613 laisse la place à la T700. Entre 1973 et 1995, elle aura été produite à 11 009 exemplaires, tous modèles confondus.
Entre temps, Chrysler a pris 15 % du capital de l’ensemble du groupe, auto et camions compris. J’imagine que le groupe américain se voyait en sauveur tout comme Volkswagen l’avait fait avec Skoda, l’autre marque tchèque. Le carnet de route envisageait sans doute de monter au capital, mais cela ne se fera jamais : la tâche devait sans doute être trop ardue, entre une marque automobile confidentielle, sans réseau de distribution digne de ce nom, et peut-être trop marquée « époque communiste », et une marque de camion certes performante, mais demandant de lourds investissements pour être amenée aux standards européens et américains. Le groupe sera donc revendu à un autre américain, ASC.
En 1996, c’est donc une version remaniée et plutôt réussie (à mon goût) que présente Tatra : la T700 (lire aussi : T700). Elle a été redessinée sur la base de la T613 par l’anglais Geoff Wardl. Honnêtement, elle méritait un succès un peu plus grand. En trois ans de production, elle ne sera produite qu’à 129 exemplaires. Je suis d’ailleurs curieux de savoir quelles étaient les motivations de ces 129 clients. Il fallait sans doute être amoureux de la marque pour s’en offrir une, ou bien nostalgique de la grande époque du communisme. C’est en tout cas le modèle que j’aimerai posséder. Le design très 70’s de la T613 avec cette touche de modernité qui la ferait passer pour néo-rétro, moi, j’aime. Mais je suis sans doute resté bloqué sur mes souvenirs de 1991. Comme quoi les goûts automobiles ne se jouent pas à grand chose.
Après une année 98 catastrophique en terme de ventes (avec seulement 12 exemplaires de la T700 produits), les nouveaux propriétaires américains décident d’arrêter les frais d’une division automobile pas assez populaire d’une part, et sans reconnaissance internationale d’autre part. Et puis malgré les apparences de la modernité, la T700 date tout de même des années 60. ASC se consacrera sur les camions, jouant sur leur efficacité en tout terrain, sur leur robustesse, et sur leurs prix attractifs, participant même avec succès au Paris-Dakar devenu par la suite « le Dakar » (lire aussi : Tatra Trucks). C’était sans doute la bonne décision, mais je la regrette. A l’heure où certains grands groupe ou investisseurs font revivre des marques, je rêve qu’un doux dingue comme moi se pique de faire revivre Tatra, avec une voiture originale, fidèle à son histoire, de grand luxe et performante. Un jour peut-être !!!
A lire d’urgence : l’aventure anglaise des Tatra 613