Tatra 613-K : une puissante odeur de Guerre Froide
La Tatra 613 a aujourd’hui plus ou moins disparu des rues de Prague, à mon grand regret. Pourtant, malgré une faible production, on pouvait en apercevoir à chaque coin de rue lorsque je m’y rendis pour la première fois en 1991. Il faut dire qu’elle était encore en production à cette époque-là, ne rendant les armes qu’avec la Tatra 700 en 1998 ! Le look particulier mêlant Est et Ouest, l’architecture étrange conservant jusqu’au bout son V8 refroidi par air à l’arrière, le luxe paradoxal (et relatif) pour une voiture issue d’une « démocratie populaire », tout en elle me séduisait. Enfin, pour les besoins du peuple tchécoslovaque, elle connut une ribambelle de production spéciale, dont la fameuse 613-K, allias «Landaulet ».
Si le Landaulet a toujours eu sa place dans l’histoire automobile, et en particulier dans les garages des états eux-même (pour nous français, les 2 plus célèbres restent les Citroën SM Présidentielles), il a été un outil politique particulièrement apprécié à l’Est du Rideau de Fer, notamment en URSS dont les ZIS et les ZIL permettaient autant les défilés militaires que les réceptions protocolaires (lire aussi : ZIL 41044). Aussi n’est-il pas étonnant que des « pays frères » aient eu envie de se doter de telles voitures d’apparat ! Mais à chacun sa méthode.
En RDA, l’industrie automobile centrée sur les populaires (Trabant et Wartburg Wartburg) ne permettait pas la réalisation d’un modèle nationale. Or Honecker cherchait à marquer sa différence avec le grand frère soviétique, tout en satisfaisant sa passion pour la voiture occidentale (particulièrement Volvo et Citroën) : il se fit donc réaliser par le suédois Nilsson un Landaulet sur base de Volvo 264 TE.
En Tchécoslovaquie, on avait gardé une industrie plus haut de gamme contre vents et marées, avec Tatra, mais les Tatra 603 n’avaient jamais connu de dérivé Landaulet : l’état se contentait de ZIS. Avec la 613, les ingénieurs de chez Tatra se dirent, à la fin des années 70, qu’il était possible de réaliser leur propre version, apte à augmenter le prestige tchécoslovaque lors des défilés et visites d’Etat. On confia en premier lieu à la carrosserie Metalex (qu’on connaît mieux pour sa fabuleuse MTX V8 SuperTatra) l’étude d’un tel modèle. Mais c’est avec la sortie de la 613 Special, version rallongée de 16 cm destinée exclusivement au Président, aux membres du gouvernement et aux officiels haut placés, en 1979, que Tatra s’attaqua sérieusement à la réalisation d’un Landaulet sur la même base.
Comme pour la Special, la 613-K (son petit nom) n’était pas destinée au grand public : qu’en aurait-il fait ? Il s’agissait bel et bien de répondre à la demande de l’administration désireuse d’obtenir un véhicule de prestige et d’apparat national. Un premier exemplaire fut réalisé en 1979 ou 1980 (les dates sont floues), sans doute afin de faire valider le concept par les organes officiels concernés. Il s’agissait d’une Special donc, dotée du classique V8 « air cooled » de 3.5 litres et 168 chevaux, mais équipée d’une boîte automatique 3 vitesses Borg-Warner permettant la conduite à vitesse réduite en souplesse, mais sans climatisation.
Stylistiquement, la 613-K subissait une ablation de l’arrière du toit (les sièges avant restaient sous un toit rigide), remplacé par une capote souple très complexe à mettre en place, et un léger renforcement pour plus de rigidité (mais ces voitures n’étaient pas destinées à rouler vite, peu importait). Il semblerait qu’un hard top rigide était aussi disponible, sans qu’aucune photo ne le prouve jamais (pour l’instant). Cette Tatra 613 séduisit les décideurs puisqu’il fut décidé d’en produire 4 exemplaires en 1984, à Pribor (lire aussi : l’usine Tatra de Pribor). Une fois opérationnelles, les 5 Tatra 613-K furent mis en service pour 2 d’entre elle à Prague, 2 autres à Bratislava, la cinquième restant disponible comme « véhicule de secours » (sans doute l’exemplaire de 1980).
Aujourd’hui, les 5 exemplaires ont été retirés du service, mais ils existent toujours : 3 sont exposés dans différents musées, et 2 sont aux mains de collectionneurs. Il est donc possible d’en voir un jour surgir une lors d’une vente aux enchères. Il existe enfin une réplique réalisée elle aussi sur la base d’une 613 Special. Dans l’absolu, ces voitures n’ont aucun intérêt (à part culturel et historique) sauf à être un fanatique (et richissime) amateur de la marque tchécoslovaque, mais il faut bien admettre qu’elles dégagent un parfum exotique (une puissante odeur de guerre froide) qui ne laisse pas indifférent !