Tatra 603 : un parfum de Guerre Froide !
J’ai toujours aimé la marque Tchèque Tatra, sans savoir vraiment pourquoi. Sans doute est-ce du au fait d’être tombé amoureux de Prague lors d’un voyage en 1991, à une époque où la ville gardait encore un parfum de guerre froide, un peu surannée, comme une carte postale sépia des années 70 montrant les pays socialistes comme des pays de rêves. A cette époque, il circulait encore dans les rue de la capitale « tchécoslovaque » (oui oui) un sacré paquet de Tatra 613 (lire aussi : Tatra 613) et quelques exemplaires de sa devancière la 603, baroque, séduisante, presque punk pour tout dire !
La 603 ne peut pas laisser indifférent, même si l’on aime pas la voiture, et sa naissance se fit par hasard à une époque où le COMECON, l’organisation économique internationale gérant la production industrielle des pays sous influence soviétique, avait pourtant contraint Tatra à ne plus produire que des camions. En effet, on rigolait pas à cette époque avec la production industrielle : pour les voitures particulières, ce serait Skoda, pour les voitures de luxe (entendez par-là destinées aux pontes du parti), ce serait des GaZ, tandis que Tatra (qui rentrait en concurrence avec GaZ sur un petit marché) serait rayée de la carte automobile et cantonnée aux poids-lourds.
Certains ingénieurs de la firme ne l’entendirent pas de cette oreille, et sous couvert d’un nouveau projet de bus, appelé T400, ils s’attelèrent à partir de 1952 à travailler sur une berline de standing au doux nom de code de «Valuta». Grand bien leur avait pris, car en 1953, la donne allait changer. Les cadors du parti communiste tchécoslovaque commencèrent à se lasser sérieusement des délais de livraison pour une limousine russe et, pour les rares qui en avaient perçu, de leur piètre qualité. Hors de question de rouler comme la Plèbe (un comble) en Skoda. Le gouvernement s’adressa donc à Tatra pour concevoir au plus vite une alternative digne de ce nom. Le projet avancé de la Valuta tombait bien. Un souci cependant : les ingénieurs n’avaient pas prévu qu’on leur demanderait un V8 d’au moins 3,5 litres de cylindrée, prestige oblige, et n’avaient pas ça en catalogue. Une solution intermédiaire fut trouvée : on équiperait la nouvelle 603 d’un V8 plus petit qui avait le mérite d’exister déjà, de 2,5 litres de cylindrée, refroidi par air, et développant 95 ch le temps de développer un nouveau moteur plus gros. En fait, ce moteur restera jusqu’à la fin sous le capot arrière de la 603, augmentant juste sa puissance à 105 ch en 1963. Ce n’est qu’avec la 613 qu’une telle cylindrée sera atteinte.
La 603 a plusieurs caractéristiques originales : son moteur à l’arrière donc (c’est une propulsion), refroidi par air on l’a vu, mais aussi des suspensions arrières hydrauliques et surtout, surtout un design de ouf ! Sorte de croisement entre une Cox et une belle américaine, mêlant cul rebondi et flèches acérées, avec des petits airs de Turbo Traction de chez Spirou, elle arbore un regard des cyclopes à ses débuts, entre 1956 et 1962, avec ses trois phares sur la calandre. Le premier restyling de 1962 lui offrira 4 phares plus conventionnels. Dans la sphère d’influence soviétique, à la fin des années 50, on ne peut pas parler de succès commercial, puisque la 603 est interdite à la vente aux particuliers, mais les « apparatchiks » en raffolaient, et les gamins de l’époque devaient sans doute en rêver secrètement.
Pourtant, tout ne fut pas simple pour la 603, puisqu’elle faillit bien disparaître deux ans après sa naissance. Si les soviétiques avaient accepté de ne plus exporter leurs limousines (ça tombait presque bien pour eux), pas question pour autant que tout le monde s’y mette. Or en Allemagne de l’Est, la firme Sachsenring (qu’on connaît mieux pour avoir produit ensuite la fameuse Trabant, lire aussi : Trabant 601 Tramp) s’était mise en tête de produire elle aussi sa limousine, la P240. Le Comecon, qui ne rigolait pas à l’époque avec la rationalisation de la production des pays frères, somma les deux gouvernements de se mettre d’accord. Il faut croire que les ministres Tchécoslovaques ne voulaient pas renoncer à leur confortable Tatra puisque la 603 sortit vainqueur du match. L’histoire ne dit pas quelle concession la Tchécoslovaquie fit à la RDA pour sauver sa limousine, mais Tatra continuera à produire des 603 jusqu’en 1975.
Pourtant, si le look de la 603 est d’enfer (et presque subversif pour une voiture réservée aux membres éminents du Parti) et les performances étonnantes (en ligne droite), tout se gâte en virage ou sur terrain glissant, à telle point qu’une blague locale attribue à la 603 plus de mort au sein du Parti que les purges staliniennes. On peut d’ailleurs constater la tenue de route hasardeuse de la 603 dans le film « Fallait pas » avec Gérard Jugnot, Martin Lamotte et Jean Yanne en gourou hystérique.
La 603 se vendit au total à 20 422 exemplaires entre 1956 et 1975. S’il y eut bien quelques tentatives d’exportation vers l’Ouest (sans succès), la Tatra trouva son marché surtout dans les pays frères, dits socialistes, qui appréciaient son luxe et sa sophistication. Fidel Castro fut un client fidèle (admirez le jeu de mot) et quelques exemplaires seront exportés à Cuba. Dans les années 60, le gouvernement Tchécoslovaque, satisfait de la 603, lança le programme de sa remplaçante, la 613, dessinée par Vignale qui rentrera en production en 1973. Les deux modèles cohabitèrent deux ans, le temps que la production de la 613 puisse satisfaire la demande.
Si les 603 ne furent jamais exportées en France, elles sont recherchées par les amateurs et collectionneurs depuis quelques années, ce qui explique qu’on puisse en trouver quelques exemplaires un peu partout en Europe. Si vous cherchez une voiture totalement décalée, complètement décadente, et même, autant le dire, complètement folle, pour épater la galerie, c’est bien la Tatra 603 qu’il vous faut. Reste à la trouver !