SOMA : les espoirs déçus de Peugeot et Renault au Québec
Les années 60 furent pour les constructeurs automobiles français l’occasion d’aller se frotter à l’international après avoir consolidé leurs positions sur le marché français dans les années 50. L’environnement économique s’y prêtait, tandis que les événements politiques créaient parfois des conditions favorables. Cette envie de conquête amena certaines réussites, mais aussi quelques déconvenues, comme celles que rencontrèrent Peugeot et Renault dans leur conquête du Canada.
Depuis 1958, le Général de Gaulle est au pouvoir avec une « certaine idée de la France ». Farouche défenseur d’une France indépendante, mais aussi puissance mondiale, il dotera le pays de l’arme nucléaire, se retirera de l’OTAN en 1965, et tenta de proposer une « troisième voie » entre les deux géants américains et soviétiques. Si cette position ne favorisait pas les constructeurs français aux Etats-Unis, il en était tout autre au Canada, du moins au Québec. Car depuis 1960, Jean Lesage, du parti Libéral du Québec, dirige la province avec la ferme intention de rendre le pouvoir économique aux Francophones, qui ne détiennent alors que 7 % des entreprises.
Les Peugeot sont présentées comme des « canadiennes »Ainsi, dès le début des années 60, des fonds d’investissements sont créés afin d’aider les francophones à développer des entreprises, souvent en partenariat avec des entreprises françaises. C’est le cas de la Société Générale de Financement (SGF) qui va devenir le bras armé économique du gouvernement dans sa reconquête économique. Dans le même temps, les liens avec la France se resserrent, profitant de cette 3ème voie ouverte par le Général de Gaulle, et qui aboutira en 1967 à la fameuse phrase « Vive le Québec Libre », qui fit jaser dans les chancelleries.
Mais revenons à nos moutons automobiles. Désireux d’avoir sur ses terres un constructeur automobile, la SGF se rapproche de la Régie Renault. Les discussions commencent en 1963 entre Gérard Fillion, directeur de la SGF, et Pierre Dreyfus, PDG de Renault, et le 20 novembre 1964, un accord est signé : la SGF financera à hauteur de 3,5 millions de dollars une usine à Saint-Bruno, la Société de Montage Automobile (Soma), qui se chargera de monter en CKD des modèles Renault. Charge ensuite à Renault Canada Ltd de revendre les modèles sur le marché canadien.
La R16 ne se vendra jamais beaucoup ! Il en reste 4 roulantes aujourd’hui au Québec !Dès le début de l’année 1965, l’usine est prête à assembler des Dauphine, R8 et R10, mais aussi des Peugeot 404, dénommées « Alouette », ainsi que des 204 après que Peugeot se soit joint à l’affaire. Les conditions semblaient idéales, mais, car il y a un mais, tout ne se passera pas comme prévu. Malgré le lien évident de la francophonie, les dirigeants québécois mais aussi français avaient oublier une chose : proposer des véhicules adaptés aux conditions climatiques rudes du Québec. Les modèles proposés par Renault et Peugeot semblaient bien fluets aux québécois, habitués aux modèles américains depuis de longues années.
Commencent alors de longues galères. L’usine perd de l’argent, et les relations s’enveniment entre le gouvernement québécois et Renault, le plus engagé des deux constructeurs français. Malgré l’introduction de la Renault 16, les ventes peinent à décoller, et chacun accuse l’autre de ne pas jouer le jeu. Certains chez Renault disent même avoir été à reculons au Québec, poussés par le gouvernement français dans une histoire perdue d’avance.
En 1973, tout doit disparaître !!!En 1972, l’affaire est tellement mal engagée que l’usine ferme quelques mois, pour reprendre en 1973 avec de grands espoirs pour la Renault 12. Peine perdue. L’usine, dont les capacités atteignaient 15 000 véhicules annuels, n’atteindra jamais ce chiffre. Il faut dire que Renault dès le début des années 70 voulaient se défaire de cet accord bancal : selon la Régie, produire au Canada lui coûtait 150$ de plus par véhicule que d’importer ses véhicules d’Europe. La Soma chercha bien des partenaires pour rentabiliser l’usine, notamment japonais, mais tous déclinèrent l’offre. L’usine fermera définitivement en 1974. C’en était fini de l’aventure industrielle de Renault (et Peugeot) au Québec.