Sanjiang-Renault Espace et Trafic : les inconnues chinoises (ou presque)
L’annonce en 2012 de la création d’une joint-venture Dongfeng Renault pour la production du Kadjar en Chine en a supris plus d’un : d’une part parce que Dongfeng reste tout de même le partenaire privilégié de PSA dont il est l’un des grands actionnaires ; d’autre part parce qu’on avait fini par croire que Renault s’était résigné à faire de la figuration en Chine, restant l’un des rares grands constructeurs mondiaux à ne pas disposer d’usines d’assemblage dans l’Empire du Milieu.
Pourtant, sans que cela se sache vraiment, Renault est présent en Chine depuis…1993, date à laquelle fut créée la société Sanjiang-Renault Automotive Co Ltd (SRAC) dans la province du Hubei. Cette entreprise appartenait pour 55 % à Sanjiang Space Group (une entreprise d’état d’aéronautique et de matériel militaire) et pour 45 % à Renault. L’idée de départ consistait à assembler en CKD (kits importés de France) des véhicules Renault, avant de passer à une vraie production. A cette époque, Renault est déjà en retard par rapport à Peugeot, présent depuis les années 80 en Chine (lire aussi : Gangzhou-Peugeot).
Le badge Sanjiang RenaultPour attaquer le marché chinois, Renault va d’abord miser sur les utilitaires et minibus très prisés là-bas. L’usine de Xiaogan (qui aura nécessité un investissement de 98 millions $) est opérationnelle fin 93, et les premiers Sanjiang-Renault Trafic sortiront en 1994. Pour compléter son offre, Renault va opter pour un deuxième modèle qu’il pense adapté ce à nouveau marché : son monospace vedette, l’Espace 2, rebaptisé Renault Univers.
L’Espace 3 sera lui aussi « fabriqué » en Chine, succédant à l’Univers (Espace 2)Ce premier Espace Chinois se fait assez discret aujourd’hui, et la difficulté à en trouver des photos prouve qu’il s’est sans doute très peu vendu, à tel point que beaucoup ont fini par croire qu’il n’avait jamais été fabriqué. De toute façon, pour vous donner l’ampleur de l’échec de Renault à cette époque, on dit que seuls 4096 exemplaires du Trafic auront été fabriqués entre 1994 et 2003 (c’était pourtant le best-seller) et Renault affirme avoir produits en Chine 6000 véhicules au total entre 1994 et 2003. Cela voudrait dire qu’un peu moins de 2000 monospaces auront été fabriqués sur la même période, en deux modèles distincts : l’Univers (Espace 2) puis l’Espace (Espace 3) à partir de 2000.
C’est ce deuxième modèle qui nous intéresse aujourd’hui car grâce à la sagacité de deux lecteurs, Samuel (dont la page Facebook est à lire ici : China Car Spotting) et Navigator84, qui bien souvent me ramène d’excellentes informations et photos de Chine. Ces photos attestent de la réalité de cet Espace 3 en Chine. Pourtant, en observant bien la voiture en tous points identique à celle que nous connaissons en France, ses vitres signées St Gobain, sa documentation en français, on peut affirmer sans soucis qu’il s’agit plus d’un « faux » CKD : la voiture était sans doute importée déjà montée, et seuls quelques détails étaient assemblés sur place (rétroviseurs, ou roues, ou autre petit détail) permettant par un tour de passe passe administratif de transformer une importation en voiture « made in China ».
De toute façon, il semblerait que Renault se soit vite désintéressé de sa joint-venture chinoise, a priori pour cause de désaccord avec Sanjiang, de trop grandes différences culturelles, et bien entendu pour cause de mévente de ses Trafic comme de ses Espace. D’ailleurs, dès 2000, Renault va tenter de trouver un autre partenaire, en la personne de BAIC qui va produire 300 exemplaires de la Renault Scénic en CKD cette année-là, avant que l’accord de partenariat ne capote. De toute façon, depuis 1999, la situation avait changé pour Renault, avec la création de l’Alliance avec Nissan. A cette époque, Nissan était au plus mal, et il n’est pas à exclure que Renault se soit un peu sacrifié en Chine, marché sur lequel Nissan était installé depuis longtemps.
La production par Sanjiang-Renault va donc cesser en 2003, sans pour autant que la société disparaisse, devenant une sorte de coquille vide. Dès lors, Renault va surtout importer des véhicules, subissant de lourdes taxes et se condamnant à faire de la figuration, avec seulement 900 véhicules vendus en 2008 (la Talisman I en est l’illustration, lire aussi : Renault Talisman 1). Mais en conservant sa participation de 45 % dans Sanjiang-Renault, notre ex-Régie gardait un atout dans sa poche : une licence de constructeur automobile généralement difficile à obtenir pour un constructeur étranger. Lorsque les discussions commencèrent avec le chinois Dongfeng, cet argument n’était pas des moindres. Après 10 ans de négociations ou presque, Renault annonçait son come back en 2012 avec la création de Dongfeng-Renault Automotive ! La création ? Pas tout à fait, puisque la manœuvre se fit en deux temps : Dongfeng racheta d’abord les 55 % que Sanjiang Space Groupe détenait dans SRAC, puis on renomma l’entreprise.
Aujourd’hui, Renault semble avoir de nouvelles ambitions avec son allié chinois (qui semble aimer les frenchies) et espère produire 150 000 voitures annuellement avec notamment son nouveau SUV, le Kadjar ! Il aura pourtant fallu 20 ans pour enfin s’installer en Chine avec des objectifs sérieux et un partenaire compétent. Reste à savoir si la mayonnaise prendra !
Crédit photo: Samuel Faulkner, Navigator84, Le Point