Renault AE Magnum : le dernier des Mohicans
Je ne suis pas un fanatique des poids-lourds, mais certains ont marqué ma mémoire, allez savoir pourquoi. Sans doute parce qu’on les voyait souvent circuler, ou bien que leur look détonnait dans le paysage (lire aussi : Camions Bernard), ou bien tout simplement parce qu’ils étaient sortis à un moment où j’étais le plus curieux de tout. En 1990, j’avais 15 ans, je venais de découvrir MVS Venturi et je commençais à m’intéresser plus sérieusement à l’automobile, après avoir initié ma culture à coup de cartes de jeux (lire aussi : Top Ace: le jeu d’Atout de Ducale). En 1990, Renault Véhicules Industriels présentait aussi son nouveau camion, l’AE (qui deviendra en 1992 Magnum) et sa sortie ne passait pas inaperçue à mes yeux.
Avec l’AE, on rentrait enfin dans la modernité, loin des camions à l’ancienne, et, cocorico, c’était une marque française qui le lançait. A l’époque, j’étais encore très chauvin, et le savoir fabriqué à Bourg en Bresse flattait mon orgueil. Sa ligne rendait enfin un camion beau : normal, on doit son design à Marcello Gandini. Il restera en service jusqu’en 2013, avec seulement quelques retouches, mais sans dénaturer le dessin initial. Durer 23 ans avec la même gueule, et sans donner l’impression de vieillir, c’est la preuve qu’en matière d’automobile comme de poids-lourds, tout est une question de justesse du trait.
En 1990, ce camion était non seulement beau, mais aussi révolutionnaire dans sa conception, particulièrement celle de sa cabine. Moteur et cabine étaient en effet séparés, une première, permettant un plancher plat et un espace inconnu jusqu’alors pour un camion. Suspendu pneumatiquement, l’habitacle offre espace certes, mais surtout un confort encore inégalé. L’intérieur moderne rend la conduite encore plus agréable (paraît-il).
Le Magnum reçoit son premier lifting en 1997Côté technique, il y avait aussi de quoi ravir l’adolescent fièrement français que j’étais à l’époque. Si en entrée de gamme, l’AE/Magnum proposait un 6 cylindres en ligne Renault Turbo Diesel de 374 ch (AE 380), l’offre haut de gamme permettait de s’offrir un V8 Mack Turbo diesel de 503 ch (AE 500). Quoi ? Un moteur américain dans un camion français ? Oui et c’était cela qui me plaisait, car malgré la déroute de Renault aux USA et la revente d’AMC à Chrysler en 1987, RVI avait pris le contrôle total du constructeur de poids-lourds américain Mack, grignotant années après années depuis 1979 des parts du capital, pour finir par détenir 100 % en 1990. Voilà pourquoi notre nouveau AE/Magnum pouvait s’offrir un gros V8 américain de 16 litres. De l’autre côté de l’Atlantique, les Mack hériteraient quant à eux des châssis français. Cocorico (bis).
Deuxième lifting en 2001L’étude du nouveau camion a justement commencé en 1979, l’année où justement Renault achetait ses premiers 10 % de Mack Trucks. A partir de 1980, l’étude V.I.R.A.G.E.S (Véhicule Industriel de Recherche pour l’Amélioration de la Gestion de l’Energie et la Sécurité) prend vraiment corps, et donnera naissance à deux prototypes, le VE10 en 1985 et le VE20 en 1988, jetant les bases du camion du futur selon Renault. En 1990, l’AE est prêt, et impressionne le monde du transport routier. En 1991, l’AE est élu « camion de l’année »… En 1992, il est rebaptisé Magnum, ce qui n’était jusqu’alors qu’une finition : la longue carrière du nouveau camion était lancée, et bien lancée.
3ème lifting en 2006En 1997, il reçoit un premier restylage, vraiment léger : sa ligne reste globalement la même (il en sera de même en 2001, puis 2006 : remis au goût du jour sans jamais vraiment changer). Ces petits arrangements cosmétiques permettront au Magnum de toujours rester dans le coup. Entre temps, les mécaniques évolueront aussi… En 1996, le V8 Mack propose deux niveaux de puissance supplémentaires : 520 et 560 ch. En 2001, le V8 est abandonné au profit de 6 cylindres étudiés conjointement par Renault et Mack, de 400, 440 et 480 ch suivant les versions. Cette année-là, malgré la fusion ratée de Renault et Volvo en 1993 (lire aussi : La fusion ratée de Renault et Volvo), RVI passe sous le contrôle de Volvo Trucks dont Renault prend 20 % du capital.
Cette intégration de RVI (qui deviendra Renault Trucks) à Volvo offrira à partir de 2005 de nouveaux moteurs au Magnum : les DXi12 en 2005 (12 litres et 440 à 480 ch) puis DXi13 en 2006 (500 ch) d’origine Volvo . Adieux moteurs français ou américains, place aux mécaniques suédoises. Un peu moins cocorico cette fois-ci, mais peu importe, puisque le Magnum continuait sa longue carrière avec brio. Il marquera les esprits des plus jeunes amateurs d’automobiles en squattant les paddocks des Grand Prix de Formule 1, équipant les écuries Renault, Red Bull ou Lotus par exemple.
C’est en 2013 que le vénérable Magnum tirera sa révérence, après 23 ans d’une carrière riche et remplie. Le 21 juin de cette année, le dernier Magnum, frappé du numéro 129 346, sort des chaînes de Bourg en Bresse. Place aux T-Series dont le design semble presque grotesque à côté de son frère aîné ! On a pas toujours la main heureuse. De toute façon, depuis le Magnum, plus aucun camion « moderne » ne m’a intéressé. Question d’âge sans doute, de centres d’intérêt, ou de désintérêt plutôt. Le Magnum est sans conteste le dernier des Mohicans, dernier représentant d’une époque où tout ce qui roulait impressionnait les gamins. Maintenant, seules les supercars fascinent, avec leurs puissances démesurées et leurs performances incroyable, et c’est bien dommage !