Si d’aventure on vous interrogeait au sujet d’une petite sportive européenne à traction avant apparue en 1976, vous songeriez probablement en premier lieu à la VW Golf GTI. Et ce serait logique : désormais statufiée et élevée au rang de mythe, la compacte allemande a littéralement évacué la totalité de ses rivales de la mémoire collective, à l’exception de quelques collectionneurs encore capables d’une certaine ouverture d’esprit ou, comme ici, amoureux inconditionnels des créations dieppoises. Car, ainsi qu’on va le voir, la 5 Alpine n’avait pas usurpé son appellation, les responsables du projet ne s’étant pas contentés d’apposer des logos « A5 » sur une banale R5 de base. Il s’agissait d’une authentique sportive, même si elle ne portait pas les trois lettres magiques et en dépit d’un déficit de puissance qui aura, en son temps, alimenté bien des conversations de bistrot. Quarante-huit ans plus tard, et alors que la future Alpine A290, fille spirituelle de la R5, achève son développement, les écarts chronométriques n’ont plus guère d’importance ; ce qui compte, c’est le caractère – et cet attachant petit engin n’en manquait certes pas !
La star de Billancourt
Apparue en 1972, la Renault 5 a puissamment marqué son époque en étant la première citadine moderne à traction avant et hayon arrière, le tout bénéficiant d’un design novateur, joyeux et rafraîchissant – sans oublier un marketing offensif et un discours publicitaire que sa pertinence a transformé en cas d’école. Le résultat est connu : 5,6 millions d’exemplaires écoulés en douze ans de carrière, une pénétration allant jusqu’à 18 % du marché français les meilleures années et une concurrence réduite à jouer les seconds rôles, du moins jusqu’à l’apparition d’une certaine 205… Modèle économique par excellence, l’auto séduit avant tout par son style, sa praticité et sa polyvalence d’usage (à condition d’éviter la version L, vraiment sous-motorisée). Par surcroît, ses exigences réduites en carburant sont arrivées à point nommé ; un an après sa présentation survenait le premier choc pétrolier, avec les sinistres conséquences que l’on sait… Pour autant, la 5, bien plus sophistiquée et pimpante que la rustique 4L, ne va pas se borner à assurer les déplacements urbains et péri-urbains des jeunes couples ou des petites familles. Dès le mois d’avril 1974, l’apparition de la LS amorce une course à la puissance qui va se poursuivre tout au long de la carrière du modèle. Bien sûr, à ce stade il n’est pas encore question de sport ; la 5 LS est une auto vive et dynamique, calibrée pour séduire les conducteurs pressés dont le quotidien consiste davantage à circuler sur les routes et les autoroutes qu’à demeurer englués dans les embouteillages des métropoles.
L’avènement du tourisme sportif
Dans la grande tradition de la Régie, dont les motoristes sont passés maîtres dans l’art d’agréger des composants a priori disparates afin de compenser certains archaïsmes techniques (dont la 5 n’est pas exempte, avec ses moteurs à arbre à cames latéral dont, par-dessus le marché, la disposition « en long » pénalise l’habitabilité), la LS s’est contentée de reprendre le « Cléon-fonte » 1289 cm3 de la 12 TS, associé à la boîte de vitesses de la 16 TX. Ses 64 ch entraînent l’ensemble à 155 km/h, allure qui peut faire sourire de nos jours mais qui, il y a cinquante ans, vous permettait déjà de tenir de confortables moyennes. Gréée de la sorte, la 5 n’est déjà plus très loin des capacités d’une Autobianchi A112 Abarth et rejoint le coupé Peugeot 104 ZS sur le segment des citadines rapides, en le surpassant nettement en termes d’habitabilité. Puis, fin 1974, Renault enfonce le clou en diffusant, à un millier d’exemplaires, un kit destiné à optimiser les performances et le comportement routier de la LS – le moteur étant alors poussé à 87 ch –, qui va même connaître une version « Coupe » vouée à un championnat monotype, mais dont l’existence sera néanmoins éphémère puisque, dès mars 1975, lui succède une TS aux caractéristiques identiques et à l’accastillage légèrement modifié. C’est sur cette base que la 5 Alpine va s’épanouir, avec de tout autres ambitions…
Une TS améliorée
La voiture est présentée exactement un an après l’apparition de la TS, en mars 1976. C’est la première fois que Renault utilise le nom d’Alpine – dont la Régie a pris le contrôle depuis 1973 – pour désigner l’une de ses voitures. Et c’est aussi la première fois que l’usine historique de Dieppe va construire autre chose qu’une sportive « maison ». Après l’échec de la 12 Gordini, il ne s’agit pas de se louper ; de fait, les responsables du projet ont eu du flair en choisissant d’investir le créneau encore balbutiant de ce que l’on n’appelle pas encore les « GTI ». Et pour cause : la VW ainsi nommée, bien que présentée sous la forme d’un prototype dès le Salon de Genève 1975, ne débutera sa prodigieuse épopée qu’à l’automne suivant. Pour l’heure, la 5 Alpine présente une physionomie qui ne laisse aucun doute quant à ses ambitions, avec son spoiler avant noir intégrant une paire de phares antibrouillard, ses jantes Fergat empruntées à la 12 Gordini et montées sur des pneumatiques de 155 de large (Mazel tov !) et ses logos « A5 » généreusement distribués sur le capot, les flancs et le hayon arrière. Agressive à souhait, cette livrée tonitruante correspond fidèlement aux ressources de l’engin, dont le moteur, s’il s’agit toujours du sempiternel « Cléon-fonte » n’en a pas moins subi une sérieuse préparation.
Sans rivale (mais pas longtemps)
Ainsi, suite au réalésage effectué en partant du groupe de la TS, la cylindrée s’élève dorénavant à 1397 cm3 tandis que, par rapport à celle-ci, la puissance fait un bond de 45 %, le pilote disposant à présent de 93 ch à 6400 tours/minute. Les chronos sont à l’avenant avec une vitesse de pointe de 175 km/h, les mille mètres départ arrêté étant abattus en 32,5 secondes d’après les mesures publiées par l’Auto-Journal au printemps 1976, le légendaire André Costa soulignant en particulier l’agilité supérieure à la moyenne de la 5 Alpine, qui séduit immédiatement les conducteurs sportifs, aucun constructeur français n’étant alors en mesure de concurrencer la Renault. Si les performances, le tempérament du moteur et le comportement général de l’auto sont salués par les essayeurs, l’on regrette unanimement la lourdeur de la direction, la commande de boîte, lente et desservie par des débattements dignes d’une Estafette, n’étant pas non plus à mettre à l’actif de la voiture. Cela n’empêche pas la plus sportive des Renault 5 de remporter un réel succès commercial, malgré un tarif plutôt inamical puisque situé 35 % au-dessus de celui d’une TS. En l’espèce, la Golf ne fera pas de cadeau à sa rivale française puisque la voiture de Wolfsburg, à son lancement, est légèrement moins onéreuse que la 5 Alpine, tout en s’avérant bien plus convaincante à plusieurs égards…
La grand-mère a de beaux restes
Il faut en convenir : la GTI, même si elle propose encore une boîte quatre vitesses à ses débuts – versus cinq pour la Renault –, domine sa rivale dans presque tous les compartiments du jeu, à l’exception d’un freinage déficient en conduite sportive et qui constituera longtemps son talon d’Achille. Dotée d’un moteur plus moderne et alimenté par injection, la Volkswagen dispose de 17 ch supplémentaires et d’une habitabilité supérieure, sans parler d’une finition et d’une qualité de construction assez éloignées du côté « quincaille » de la 5, dont la définition technique demeurera figée cinq années durant. Il faudra en effet attendre l’automne de 1981 pour voir débarquer la 5 Alpine Turbo qui, grâce aux bons soins du docteur Garrett, tutoyait enfin la Golf en revendiquant, elle aussi, les 110 ch fatidiques ; la recette sera d’ailleurs reprise sans grands changements dans la Supercinq GT Turbo. Cela posé, et même si les quelque 50 000 5 Alpine atmosphériques construites de 1976 à 1981 font pâle figure en comparaison des 500 000 Golf GTI assemblées dans le même laps de temps, les collectionneurs d’aujourd’hui se promènent rarement avec l’œil rivé sur le chronomètre et, dans l’absolu, la voiture demeure extrêmement plaisante à emmener, se prêtant de bonne grâce à tous les styles de conduite grâce à la souplesse de sa mécanique. En témoigne une cote en constante augmentation depuis quelques années ; les Renault 5 de première génération sont devenues rarissimes et l’Alpine n’est certes pas la moins convoitée du lot !
Texte : Nicolas Fourny